La-bas

Par Cotesoleil

Il m’a suffit de mettre un pied dans la voiture du chauffeur qui me ramenait sur Tana, pour que toute l’émotion contenue se déverse en cascade.

L’émotion. Le dernier thème évoqué en classe. J’en avais profité pour leur demander dans quel état ils se sentaient : gais, tristes, fâchés, … et pourquoi. Je veux des phrases entières ! Ils ont commencé par me dire qu’ils étaient gais (ils le sont toujours), avant de rajouter "Triste, parce que tu pars", comme un feu aux poudres, une contagion.

Et moi donc !

Comment vous exprimer tout ce que je ressens ?

Il me suffit de vous regarder, vous treize, vos doux et si expressifs visages, vous entendre rire, vous chamailler, vous regarder travailler, vous concentrer, jouer, pour savoir que je ne vous oublierai jamais.

Que d’échanges, de partage, de fous-rires,

… et de complicité.

Contrairement à l’an passé (où j’avais 60 élèves par jour), j’ai dû hausser le ton plus d’une fois, pour obtenir un peu de calme et du silence. Je me suis même surprise à lâcher un "Fermez-la !", ferme, intransigeant – et aussi étonnant que cela puisse paraître, le message est passé en un éclair. Une bien horrible expression, que vous avez dû entendre sans doute pour la première fois. Avec du recul, cela me fait sourire. Comment ai-je osé ?  Il est vrai que ma patience a ses limites. Il ne faut pas m’en vouloir.

Et sans aucune rancune, vous m’aviez  – en silence, dans la foulée  – préparé de merveilleux dessins complétés de vos mots, avec vos fautes d’orthographe, pour me remercier de ces quinze jours passés ensemble.

Puis, là encore, à mon grand étonnement, la voix d’Aslin s’est faite entendre, pour chanter en malgache. Un chant repris en choeur par le reste de la classe. Vous m’avez eue ! Cette fois, c’est moi qui suis restée muette … de bonheur, tant c’était beau. Et quand je vous ai demandé ce qu’il signifiait, vous m’avez répondu tout simplement "Merci".

Comment ne pas craquer ?

Qu’il va être dur de vous quitter ! Chaque année, je me fais piéger et j’en redemande ! J’ai tant besoin de vous tous.

Plantée sur l’estrade en pierre grise, je vous ai alors demandé de venir tous ensemble, pour vous enlancer. Je n’avais pas assez de mes deux bras pour vous presser tout contre moi.

Qu’il sera dur de se dire au revoir !

"On ne va plus se revoir jamais ?" me demande Honorette les larmes aux yeux.

J’aimerai tant aimé te répondre "mais si, bien sur ! … un jour mon ange."

Honorette, un petit amour à la voix exceptionnellement mélodieuse.

Aslin, le clown de service, mon plus grand fan.

Sabrina, la gracieuse, ma "copine".

Mirana, la plus douée de tous.

Léonce, doué, mais un vrai garnement qui ne pouvait s’empêcher de déconcentrer, embêter ses camarades.

Shakira, la benjamine, ma petite crevette aux yeux verts / oranges et au sourire angélique.

Tous des amours, auprès de qui j’ai alterné thématique du jour – de manière conventionnelle et ludique – leçons de morale (à en avoir moi-même la chair de poule) pour les stimuler, les encourager, les motiver, … et les calmer. Leur donner l’envie d’aller plus loin, encore plus loin, de se dépasser. Ils le peuvent, en ont les capacités.

J’espère juste qu’il restera quelque chose de cet enseignement. J’espère avoir réussi à semer ma petite graine, marqué vos esprits joueurs, rêveurs et passionnés.

"Tu es comme une maman" me répète Honorette en pleurant. Le plus beau compliment jamais reçu.

Allez ma Douce. Sèche tes beaux yeux et chante, chante encore une chanson en malgache.

La dernière, pour que je puisse l’emporter avec moi. A jamais.

Jacquelin, Sabrina, Noella, Honorette, Mirana, Erina, Louissia, Shakira, Edwige

Léonce, Aslin, Oliva, Georzalin