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Le parc de Madame

Par Ibars

Barcelonnette, Enchastrayes, Alpes, Parc, Manoir, Glorielle

J’ai quitté le chemin balisé, le pas de côté, toujours le plus intéressant…

Je suis entré par effraction dans un petit parc en friche, accueilli par les notes douces d’une source qui faisait déborder un vieux lavoir à deux bacs en ciment comme celui qu’avaient mes grands-parents et un abreuvoir de pierre moussue qui lui était accolé.

Bordant une allée de tilleuls très touffus, d’érables et de noisetiers dont les feuilles s’empourpraient en touchant le soleil, elle était là, demeure au petit bois dormant, avec ses volets clos, sa porte cadenassée, ses murs galeux. Pas une ruine cependant, le toit semblait solide, une des cheminées avait été refaite et l’autre sembla tout soudain s’animer lorsque coïncida sur elle le panache blanc d’un long courrier dans le ciel bleu.

Devant une des façades envahie par les ronces, les églantiers et quelques roses encore hardies, j’ai vu cette gloriette en bois, enfin ce qu’il restait de son ossature, faisant un abri dérisoire à une table ronde de jardin au plateau de tôle perforée, tout rouillé, entourée de  chaises et de fauteuils en fer forgé aux volutes encore blanches et gracieuses.

Le lavoir, la gloriette, la table et les chaises, le parc abandonné, tout cela m’a soudain rappelé le domaine dans lequel mon grand-père était régisseur, des années 40 jusqu’en 70. Le parc était en face de la petite maison qui lui était attribuée, dans laquelle ont vécu ma mère et ses sœurs et où, enfants, nous venions souvent, toute une cousinade, dans les années 60, à donner bien du tracas à pépé et mémé…

Le parc était celui du manoir de la marquise, la patronne de pépé, avec laquelle il « s’engueulait » une fois par an, lorsqu’elle venait pendant les vendanges donner des conseils qu’il ne voulait jamais suivre. Il avait plus de cent hectares de vignes et une « colle » de quarante vendangeurs à gérer, alors, la marquise, qui descendait de Paris en pleine « campagne » des vendanges, c’était de trop… On l’appelait Madame. C’est tout. Mémé disait : « A partir de demain, vous n’allez plus dans le parc, Madame vient. »

Et Madame arrivait, dans sa Simca Plein-Ciel que mes souvenirs peignent en rouge, avec un foulard flottant au vent comme une gaze. Elle garait le bolide dans une remise et elle disparaissait dans son manoir après avoir dit à mémé que nous avions grandi sans bien savoir de qui nous étions les enfants. Et on ne la voyait plus. De toute façon, ce qui nous fascinait, c’étaient les chevaux, il y en a eu jusqu’à onze, les tracteurs aussi, qui peu à peu remplaceraient les bêtes, les comportes pleines à ras bord de raisin "quiché" à la masse, englouti par l’immense pressoir, le bruit des machines, les coups de marteau du forgeron sur les fers rougis et l’odeur âcre de la corne brulée quand il ferrait un cheval, la vie des vendangeurs et de leurs familles qui séjournaient dans de grands bâtiments, tout près, et jetaient, le soir, des escargots et des pommes de terre sur les braises en chantant au son d’une guitare une rauque complainte andalouse. Ils étaient pauvres, dépensaient le minimum pendant tout le mois que durait la campagne, puis ils partaient vers Bordeaux pour un mois de plus, les vendanges là-bas étant plus tardives.

Et quand octobre chassait enfin la furie des vendanges, le domaine était calme et le parc redevenait notre terrain de jeu. Alors, voilà, ce petit parc tout buissonnant — à plus de 400 kilomètres du beau parc de Madame — a rallumé l’écran des souvenirs de mon enfance. C’est cela, la magie toujours renouvelée du pas de côté.

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