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Quand le chat d'Alice entre au pays des merveilles quantiques

Publié le 12 août 2014 par Blanchemanche


Les physiciens aiment bien donner des noms originaux à certains phénomènes physiques qui apparaissent étranges et captivent l’imagination, tels les jumeaux de Langevin ou le chat de Schrödinger. Une expérience qui a été réalisée montre que l’on peut dissocier, dans l’espace, un neutron de son spin tout comme le sourire du chat d’Alice au pays des merveilles peut se séparer de l’animal imaginé par Lewis Carroll. Il existe bien ce que l’on appelle des chats du Cheshire quantiques.
Le 11/08/2014  - Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
Une représentation du chat du Cheshire, le fameux félin d'Alice au pays des merveilles. Il devient aujourd'hui le symbole d'une expérience en physique quantique qui vient d'être réalisée. Celle-ci montre que le monde quantique est tout aussi étrange que celui d'Alice. Il prend donc place au côté du fameux chat de Schrödinger. © Leon FilterUne représentation du chat du Cheshire, le fameux félin d'Alice au pays des merveilles. Il devient aujourd'hui le symbole d'une expérience en physique quantique qui vient d'être réalisée. Celle-ci montre que le monde quantique est tout aussi étrange que celui d'Alice. Il prend donc place au côté du fameux chat de Schrödinger. © Leon Filter
Le paradoxe du chat de Schrödinger était à l’origine une expérience de pensée destinée à démontrer que les lois magiques de la physique quantique impliquaient qu’un chat pouvait être à la fois vivant et mort dans certaines circonstances. Lorsqu’il l’a proposée en 1935, Erwin Schrödinger entendait montrer que les mystères de la dualité onde-corpuscule et de la quantification de l’énergie des systèmes physiques n’étaient qu'incomplètement résolus par l’interprétation dite de Copenhague deséquations de la mécanique quantique. Comme Einstein, il pensait que quelque chose leur manquait et qu'elles n'étaient que des approximations des vraies lois quantiques.
Wojciech Hubert Zurek et Hans Dieter Zeh étaient d’un avis contraire et, au cours des années 1970, ils ont proposé une solution dans le cadre de ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie de la décohérence, vérifiée en 1996 par le prix Nobel de physique Serge Haroche et ses collègues.
Le physicien Yakir Aharonov et son éternel cigare. © Hayadan.orgLe physicien Yakir Aharonov et son éternel cigare. © Hayadan.org
Il existe bien d’autres paradoxes et énigmes en physique quantique notamment lorsque l’on cherche à savoir ce que veut dire exactement mesurer une caractéristique d’un système quantique et ce que celle-ci révèle. Les physiciens sont encore très divisés sur cette question et certains, comme Max Tegmark, préfèrent raisonner dans le cadre de l’interprétation dite des mondes multiples d’Everett plutôt que celle construite en 1927 par Bohr, Heisenberg et Born. Voici deux ans, le célèbre Yakir Aharonov avait proposé avec ses collègues une autre expérience de pensée destinée à sonder encore plus profondément les arcanes de la théorie quantique et ses prédictions dans certaines situations. Les physiciens introduisaient à cette occasion le concept de chat du Cheshire quantique. Il s’agit, bien évidemment, d’un clin d’œil au félin qui apparaît dans le célèbre romanAlice au pays des merveilles de Lewis Carroll.
L’interféromètre de Mach-Zehnder
Le raisonnement des chercheurs confirmait que le monde quantique est aussi surréaliste que l’univers de Carroll. Dans ce dernier, le chat du Cheshire a la possibilité de disparaître en ne laissant flotter temporairement dans l’air que son sourire, lequel se trouve donc dissocié de l’animal. Selon Aharonov et ses collègues, si on prenait un photon (le chat quantique) et son état de polarisation (le sourire), il est possible d’utiliser un interféromètre de Mach-Zehnder pour mesurer en un endroit où ne se trouverait pas un photon, sa polarisation. Dit autrement, une expérience avec un chat du Cheshire quantique utilise en quelque sorte deux détecteurs dont l’un mesure la présence d’un photon en un endroit tandis que sa polarisation est évaluée par un autre détecteur, dans un lieu où il ne peut pas se trouver.
Quand le chat d'Alice entre au pays des merveilles quantiques
Le principe de l’interféromètre de Mach-Zehnder est représenté sur ce schéma expliqué plus en détail dans le texte ci-dessous. On peut le réaliser aussi bien avec des photons qu’avec des ondes de matière. © Université Technique de Vienne
À première vue absurde, cette situation se rencontre pourtant dans notre monde réel comme vient de le montrer une équipe internationale de chercheurs qui a publiée dans Nature Communications, les résultats d’une expérience qu’ils ont réalisée avec les faisceaux de neutrons disponibles à l'institut Laue-Langevin (ILL) de Grenoble.
L’interféromètre de Mach-Zehnder classique fonctionne avec de la lumière. On utilise ses 2 lames semi-transparentes et ses deux miroirs pour réaliser des expériences illustrant les principes de la physique quantique. Avec la plus connue d’entre elles, une première lame sépare un faisceau de lumière en deux faisceaux qui vont suivre des chemins séparés que l’on fait se réfléchir sur deux miroirs pour qu’ils se recombinent finalement sur la seconde lame, comme le montre le schéma ci-dessus. Deux détecteurs peuvent alors enregistrer de la lumière. Avec des photons et si les deux trajets sont de longueurs égales, le détecteur placé horizontalement enregistrera toujours leur arrivée alors que celui qui est vertical n’en observera jamais. Si l’on cherche à savoir par quel chemin, de celui du haut ou celui du bas, passent les photons, par exemple en interposant un troisième détecteur, les deux premiers indiqueront l'arrivée de ces quanta de lumière. Des variantes de cette expérience existent avec la production de franges d’interférences reliée à des phénomènes physiques précis.
Des ondes de matière polarisées
Dans le cas de l’expérience réalisée à l’institut Laue-Langevin, les photons sont remplacés par des neutrons polarisés (leur moment cinétique propre, le spin, est orienté dans une direction bien définie de l’espace) qui se comportent donc en partie comme des ondes à l’instar des photons. Ceux qui ont un spin parallèle à leur mouvement et orienté dans le même sens empruntent le chemin du haut sur le schéma précédent. Tandis que ceux dont le spin est antiparallèle suivent le chemin du bas. On peut utiliser un champ magnétique capable d’entrer en interaction avec le moment magnétique du neutron. Celui-ci découle du fait que, bien que sans charge globale comme l'électron, le neutron se comporte comme une toupie aimantée (on peut s’en convaincre par exemple en considérant qu’il contient des courants électriques parce qu’il est constitué de quarkschargés en mouvement).
D’ordinaire, une mesure perturbe fortement un objet quantique, la détection d’un photon revient très souvent à l’absorber par exemple. Cependant, comme l’ont montré Yakir Aharonov et d’autres, il est possible de faire des mesures perturbant faiblement certains systèmes quantiques. Dans l’expérience de Grenoble, on montre par cette méthode que tout se passe comme si un seul neutron avait voyagé selon le chemin du haut alors que son moment magnétique, donc son spin, était mesuré « faiblement » à l’aide d’un champ magnétique dans le parcours du bas. On le voit avec des franges d’interférences que l’on peut produire avec des faisceaux de neutrons. La particule semble donc se comporter bel et bien comme un chat du Cheshire quantique puisque son spin se retrouve mesuré dans un lieu où elle ne devrait pas exister.
Selon les chercheurs, cet étrange phénomène devrait avoir des applications dans les domaines de la métrologie de haute précision et de la technologie de l’information quantique.

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