Il existe dans de nombreux endroits où peuvent porter nos pas de randonneurs de petits « édicules » situés auprès de maisons déjà anciennes. Quels sont-ils et quelle est leur fonction ?
Moine à Jussarupt (88) : la taille est d’environ un mètre au-dessus du sol.
Oui, quelle EST leur fonction car nombreux sont ceux qui sont encore en usage. Il s’agit de constructions de briques, plus ou moins hautes, de forme carrée à la base et qui s’élèvent de un à plusieurs mètres. Ils sont chapeautés par une sorte de « casserole » à couvercle. En fait un réservoir en tôle. La forme de cet ajout fait penser à la coiffure de certains moines du Moyen âge, ce qui a été une explication de leur nom.
Moine à Jussarupt (88) accolé à une maison. Le tuyau extérieur est celui d’arrivée d’eau.
Moine à Jussarupt (88) où l’on a une idée de la hauteur grâce aux éléments voisins.
Une autre explication viendrait de l’origine du mot « moine » (le membre du clergé régulier) : le mot latin monachus qui signifie « solitaire » permettrait de trouver une analogie entre la solitude du moine et celle de cette « sentinelle » toujours seule près d’une maison ou d’un groupe de maisons. À moins que ce ne soit, tout simplement, un nom donné en références aux compétences acquises par les moine dans la gestion de l’eau, comme peut en témoigner le système de régulation du niveau d’eau dans un étang, qui porte le même nom de « moine » et qui consiste à construire un seuil sur l’exutoire du plan d’eau …
Au temps où l’adduction d’eau n’existait pas dans nos villages, un propriétaire de maison, ou plusieurs propriétaires, captait l’eau d’une source pour amener l’eau dans la maison. En montagne, il n’y avait pas les mêmes problèmes techniques pour cette opération. L’eau de la source captée était recueillie dans une « chambre de fontaine » et de là irriguait la maison en contrebas. En fond de vallée, l’eau de la source était dirigée vers le moine, et plus précisément dans le réservoir métallique chapeautant la « tour » de briques. Un clapet fermant l’arrivée d’eau selon le niveau désiré dans ce réservoir empêchait tout débordement. De là, un ou plusieurs tuyaux allaient distribuer cette eau dans les maison raccordées à ce moine.
Moine à Blanchefeigne (Granges/Vologne) où l’on voit les différents tuyaux (arrivée et départ).
C’est ici qu’il faut s’arrêter sur une pratique communautaire fort intéressante. Il faut bien se rendre compte que les travaux nécessaires à toute cette opération demandait du temps et de l’énergie. C’est pourquoi, en bien des cas, plusieurs propriétaires s’unissaient afin de mener à bien la captation et la distribution de l’eau. Du réservoir partent de la sorte un ou plusieurs tuyaux de distribution. On m’a dit avoir vu des tuyaux de diamètres différents, proportionnels à l’apport financier de chacun des « actionnaires ».
Un « moine » un peu particulier : l’église de Jussarupt (88) possède, au sommet de sa tour un réservoir destiné à alimenter en eau l’ensemble des cités ouvrières de l’agglomération. Eglise et cités sont l’oeuvre des industriels installés ici au XIX° siècle.
L’adduction d’eau et la reprise des eaux usées ont rendus inutiles, dans bien des cas, ces moines qui disparaissent petit à petit par manque d’entretien ou simplement parce qu’ils ne sont pas d’une esthétique renversante. Certains sont toujours en activité, et même réparés avec soin lorsqu’un accident les a mis à bas.
Moine remis à neuf à Genazeville (Granges/Vologne) après démolition par un camion ayant mal manoeuvré.
Pour la petite histoire, un moine de belle taille au coin d’une propriété de maître, inutilisé pour sa vocation première, sert périodiquement de support à l’affichage publicitaire, ce qui amène nombre de personnes à considérer qu’il ne s’agit là que d’un substitut des colonnes Morris urbaines … La mémoire s’enfuit et avec elle les traces d’un patrimoine témoin d’une forme de structuration sociale bien vite oubliée.