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Nicolas Sarkozy vu par Catherine Nay

Publié le 12 juin 2007 par Argoul

The French journalist Catherine Nay loves Aristotle political animals. Nicolas Sarkozy, today President of France, is one of them. Militant when he was 19, President of his party 30 years after, he is audacious, ambitious and hard-working. The book gives 22 lessons to become a President. This biography, American style, is well-informed but easy to read, with people’s chats. A very interesting, fascinating manual to become a leader.

Le pouvoir est-il un tramway ? Il est en tout cas « nommé désir » comme le film d’Elia Kazan, tiré d’une pièce de Tennessee Williams, dans la dernière biographie de la star-journaliste Catherine Nay, une capricorne de 63 ans. Célèbre pour avoir biographé François Mitterrand en 1984 (soldé 2.75 euros sur E-Bay), sous le titre stendhalien « Le Noir et le Rouge », ne voit-elle pas Nicolas Sarkozy en Marlon Brando ? Elle est en tout cas fascinée par le pouvoir, cette mordante ‘executive woman’. Editorialiste, elle écrit ‘people’, dans le style Europe 1. C’est très vivant, extrêmement documenté (2 ans d’enquête), captivant. Le livre a été publié en janvier 2007, avant que la campagne ne rende les gens sourds et stupides sur leur favori ou adversaire. C’est mesurer l’intérêt de ce livre.

Passons sur l’enfance, marquée par le divorce des parents, la disparition du père et l’énergie optimiste d’une mère qui reprend ses études et devient avocate. L’âge de Nicolas lors de la séparation et sa position en second dans la fratrie l’ont rendu plus conscient et plus sensible à la fois. Il a besoin qu’on l’aime, il fait tout pour se faire remarquer - et si on le considère il est capable de succès inouïs. Etre fils d’immigré et enfant de divorcé, dans la France guindée des quartiers catholiques à Paris, apprend pour la vie ce que peut être « le mépris social ». De quoi aiguiser le désir de revanche et faire aimer le conflit pour prouver qu’on est méritant.

Et c’est là l’intérêt principal de cette biographie, à mes yeux. Catherine Nay distille, chapitre après chapitre, des leçons à la Mazarin pour être l’homme politique efficace. Laissons de côté la bio people pour nous arrêter sur elles :

1- « qui veut arriver ne peut compter que sur soi ». p.45 Saisir sa chance quand elle passe, demander toujours plus pour recevoir beaucoup (à 38 ans, Nicolas est le benjamin du gouvernement Balladur).
2- Dévorer les biographies de ceux qui ont marqué l’histoire : Louis XIV, Napoléon, de Gaulle, Georges Mandel. Faire des fiches sur les gagneurs contemporains, chercher à comprendre pourquoi. 64
3- Cultiver la synthèse, la parole, la réplique. 66 Ecrire pour organiser la pensée, hiérarchiser les arguments, préciser les convictions. 184 Ne jamais user de langue de bois mais être bonhomie et fraîcheur, simplicité et pédagogie. Toujours répondre aux questions qu’on vous pose. Ecrire un livre, les Français aiment les écrivains.
4- Pas d’improvisation : « tout ce qui est pensé avant peut être fait après. » 302
5- Ne respecter les usages et les principes que s’ils servent à quelque chose ; quand ils deviennent obstacles, les oublier. Exemple : Jacques Chirac.
6- Ne rien laisser au hasard, répéter, corriger, millimétrer les interventions. Exemple : Valéry Giscard d’Estaing.
7- S’intéresser aux sans-grades, attirer les jeunes en mêlant politique et show-biz, toujours trouver un travail à faire aux militants, exiger des résultats.
8- Flatter les anciens du parti, être toujours aimable, disponible.
9- Se choisir un parrain aussi haut placé que possible, lui rester fidèle dans l’échec. Se nourrir de son expérience, mais l’abreuver de sa jeunesse, de son inventivité. 92
10- Toujours avoir « soif de savoir, de s’imprégner et surtout la volonté de ne rien décider sans comprendre » (Nicolas face aux technocrates de Bercy). 208
11-  De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! Pousser le vieux vers la sortie, mais à condition de s’imposer et de se faire reconnaître suffisamment tôt par l’opinion comme successeur légitime. « Avoir les crocs », toujours.
12-  Mener une campagne « à l’américaine » en distinguant les publics, les âges, les hobbies, les tendances. N’oublier personne, identifier chacun avant de le rencontrer personnellement. 116 Rencontrer inlassablement les élus, les militants, les notables, la presse locale.
13-  Se montrer, quadriller le terrain, parler : « le jour où l’on n’a plus envie de voir les gens, il faut changer de métier », dit-il. 132 Aller à la rencontre du pays réel (comme cette hallucinante nuit de Nicolas, passée sur la ligne de bus Saint-Ouen-La Courneuve…)
14-  Faire rire, manier l’humour, en France  ceux qui font rire gagnent toujours. A la naissance de Louis, son dernier fils, il l’annonce ainsi aux chiraquiens : « mauvaise nouvelle pour vous, il y a un nouveau Sarkozy depuis ce matin… » 260
15-  Soigner les journalistes, rappeler toujours, remercier d’un article ou d’une émission (ce qui est « rare » selon Catherine Nay qui connaît bien ce milieu de requins). 210
16-  Ne jamais priver d’herbe une « vache sacrée » (par exemple de subvention le théâtre des Amandiers dirigé par Chéreau).
17-  Faire une croix sur ses ressentiments lorsque l’intérêt le commande.
18-  S’imposer. Sa maxime favorite : « quand je ne suis pas invité à dîner, j’arrive avec le repas et il est bien rare qu’on ne me garde pas à dîner ». 169 S’applique aux négociations comme aux équipes des mentors politiques, arriver avec des solutions vaut mieux qu’avec des problèmes. On perd quand on arrête de prendre des risques. Exemple : Edouard Balladur.
19-  Proposer sur le champ à son meilleur adversaire de travailler avec vous.
20-  Quand on a de mauvaises nouvelles à annoncer, toujours y mettre les formes. 189
21-  « En politique, il ne faut pas demander, il faut prendre » (à Jean-François Copé) 189
22-  Savoir que rien n’est jamais perdu. Toujours élargir sa base électorale pour mieux résister en cas de coup dur.

Que de leçons à apprendre et à appliquer de façon systématique… Nicolas Sarkozy a mis 30 ans pour devenir Président de son parti, après avoir milité à l’âge de 19 ans. Parti du plus bas, il a gravi un à un tous les échelons de la militance. Il n’est pas « né », il n’a pas profité d’un réseau social ou de la mafia énarchique, il n’a pas trouvé un patron qui l’ait couvé sous son aile pour en faire son successeur. Nicolas Sarkozy est un self made man – c’est en cela qu’il est « américain ».

Mais « Sarkozy n’est pas atlantiste. Il n’est pas un libéral, il n’est pas un idéologue mais un pragmatique », dit de lui Jacques Attali qui le connaît bien. 464 L’épreuve d’anglais l’a d’ailleurs rendu inadmissible à Science Po… Il est plus volontariste que laisser-faire, plus sportif qu’hédoniste. Selon Catherine Nay, « il organise un compromis entre un Etat très présent avec une forte option dirigiste, et l’acceptation des lois du marché et de la mondialisation, dans les limites de ce qui lui paraît acceptable pour la société française. » 473

Qu’on se le dise. Voilà un bel animal politique. Une sorte de Louis de Funès du show-pol. Et pourquoi l’accuser d’aimer la télé, lui dont la génération est la première à être née avec ? Il est peut-être un Chirac jeune, avec la même « niaque », mais pas seulement avec un grand mât et de belles voiles – avec une quille aussi ! De quoi mieux comprendre comment sera exercé le pouvoir dans les 5 ou 10 ans à venir.

Catherine Nay, Un pouvoir nommé désir, biographie de Nicolas Sarkozy, Grasset janvier 2007, 476 pages. 
Vidéo interview sur France 24 : Catherine Nay raconte Nicolas Sarkozy avec Sylvain Attal


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