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Pour un micro-crédit ouvert et sans idéologie

Publié le 20 mai 2008 par Levidepoches

Lu sur Les Echos

Le microcrédit est l'objet d'un périlleux succès d'estime. Il rencontre un mélange de préoccupations humanistes (le « droit au crédit », le scandale d'une interdiction d'accès à toute facilité de crédit de personnes tombées sous le coup d'interdictions bancaires, ou autres sanctions ou ostracismes), de soucis de responsabilisation ; de désir d'en finir avec la société du don (que je n'ai pour ma part que rarement rencontrée) soit parce qu'elle opprime, soit parce qu'elle démobilise, incite à s'endormir sur ses lauriers. L'idée de microcrédit occupe des escadrons de penseurs vertueux en mal de conciliation entre l'ordre du marché et l'ordre de l'homme, conciliation pour une part improbable et pour une autre plausible car, pas plus que l'homme ne vit que de pain, les banques ne vivent que de profit. Et il n'est pas extravagant de penser que, voulant cultiver leur image, elles sont prêtes à faire des sacrifices qui peuvent au reste tourner un jour à leur avantage. L'échelle à laquelle l'idée a, jusqu'à présent, trouvé à s'incarner demeure en revanche modeste, pour ne pas dire dérisoire. Peut-être ne serait-il, dès lors, pas vain que celles des expériences qui, même sans atteindre une dimension tout à fait significative, ont eu le mérite d'exister, fassent l'objet d'une auscultation attentive, plutôt que de s'en remettre à de nouvelles cohortes d'investigateurs pour réinventer un eldorado d'autant plus fascinant qu'il demeurera hors de portée.Au nombre de ces expériences, celle du Secours catholique, dont une remarquable étude de Georges Gloukoviezoff et Jeanne Lazarus devrait incessamment révéler les mérites et les faiblesses, quand elle aura enfin pu voir le jour une fois surmontées les contraintes de mise au point, de validation, de publication. Mais peut-être n'est-il pas, au vu des prémices de ce travail, impossible d'approcher ce qui fait sens, et ce qui ne le fait pas.

Nul doute qu'il faille, côté banques, creuser plusieurs aspects de la démarche : intervention ou non au profit de clients déjà fichés ou surendettés ; bancarisation obligatoire ou non des emprunteurs et à quel stade ; taux appliqué aux crédits consentis, pourcentage, modalités et supports de la garantie du microcrédit ; taux de sinistralité accepté ; délais et conditions de la mise en oeuvre de la garantie ; perception ou non de frais sur les impayés ; inscription ou non au fichier des impayés.

Nul doute qu'il faille, côté mouvements et travailleurs sociaux, professionnels ou bénévoles, procéder à quelques vérifications de conscience, en vue de s'assurer, cumulativement ou alternativement, qu'on ne nourrit pas les puissances d'argent, qu'on n'encourage pas les pauvres à la facilité, qu'on ne les fourvoie pas, qu'on est en état de proposer des formes d'appui et d'accompagnement dignes de ce nom et aux demandeurs de crédit éligibles, et à ceux des demandeurs de crédit qui ne peuvent y accéder, ne s'agirait-il pas d'interlocuteurs déjà connus.

Il est moins évident qu'il faille se crisper sur le vocabulaire : microcrédit social, personnel, de projet, ou autre chose encore ? Qu'importe après tout. « Social » n'est pas forcément diminutif, dépréciatif ; ne connote pas forcément un faux crédit, un demi-don. « Projet » risque de présumer trop - peut-on vraiment faire un projet quand on est plongé dans la précarité, menacé de marginalisation ou d'exclusion ? Sans doute est-ce, dans plus d'un cas, trop demander, et déjà exclure. Pas plus que la peur de l'argent ne doit nourrir de la part des militants de solidarité trop de soupçon ou de dégoût pour le monde des banques, il ne faut que la défiance à l'égard d'un ordre qu'il réprouvent, sans se sentir en droit en ou état de le subvertir, ou de ruser avec lui, ou la défiance à l'égard des faiblesses des pauvres, ne conduise à s'autocensurer et à censurer leurs clients potentiels.

Il y a place, en vérité, pour une pluralité de conceptions du microcrédit, pour une pluralité de stratégies pour gérer l'accès à celui-ci, l'accompagnement des emprunteurs, les exigences en matière de remboursement. Sachant que l'objet de la mise en place du microcrédit est tout à la fois d'améliorer en temps réel grâce au crédit la situation de certaines personnes déjà connues ou non, de familiariser les intéressés avec un usage prudent du crédit, de les détourner des formes meurtrières de crédit à la consommation, de favoriser un changement du regard que portent les banques sur les clientèles faibles, d'inciter les banques à développer des formes d'accueil adaptées aux clientèles faibles ou fragiles. Et aussi de découvrir à l'occasion de l'offre de crédit et de nouveaux publics en état de besoin à qui l'on permettra, si c'est possible, d'accéder au crédit, et à qui, si le crédit n'est pas la réponse pertinente, on proposera un autre type d'aides.

C'est cela qu'il faut donner à entendre, en démontrant le mouvement en marchant plutôt qu'en multipliant les précautions, les solennités et les émerveillements imaginaires, pendant que nombre de guichets, d'intermédiaires, de prescripteurs, d'accompagnateurs restent l'arme au pied et nombre de demandeurs d'aide sur leur faim.

JEAN-MICHEL BELORGEY est vice-président du Conseil d'Etat et président du Comité d'évaluation du dispositif crédit projet personnel.

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