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Grand Theft Auto 4 devrait battre tous les records de vente d'un jeu vidéo : avec lui, le jeu entre en concurrence avec Hollywodd, et la polémique sur la violence virtuelle redouble

Publié le 01 mai 2008 par Levidepoches

Lu dans Libération

LE JEU VIDEO À L'AGE ADULTE
Le jeu vidéo «Grand Theft Auto IV» sort mondialement mardi. Violent, amoral et addictif, il s’annonce comme le produit culturel le plus vendu au monde. OLIVIER SÉGURET  

Attention, un phénomène peut en cacher un autre, voire deux: GTA IV est un jeu vidéo déjà promis à l’un des plus gros succès de l’histoire; mais c’est aussi un prisme extraordinaire pour diffracter et comprendre l’état d’une industrie qui continue, dans un contexte pourtant globalement récessif, à connaître une exubérante santé. Le secteur du jeu a connu plus de 40 % de croissance en 2007 et le premier trimestre 2008 a démarré sur les chapeaux de roues.

Pour le dire en une formule concise, «Grand Theft Auto IV jouit de nombreux appâts commerciaux: du contenu téléchargeable, un marketing massif, un mode multijoueurs, un gameplay "bac à sable" et une forte base installée de consoles», ainsi que le résume Jesse Divnich, analyste pour le site Gamasutra.com, sur lequel on trouve aussi cette vertigineuse estimation : Take Two, l’éditeur et diffuseur de GTA IV, escompte en écouler plus de 4 millions sur le territoire américain pour le seul mois d’avril.

DES records annoncés

Des sources proches de Take Two, propriétaire du studio Rockstar qui a développé le jeu, ont aussi laissé fuiter auprès de Variety, bible professionnelle du cinéma et de l’entertainment, ces chiffres ahurissants : 6 millions d’exemplaires pourraient être vendus mondialement la semaine du lancement. Cela équivaut à un chiffre d’affaires de 400 millions de dollars, c’est-à-dire presque autant que le record atteint et toujours détenu par le film Pirates des Caraïbes: jusqu’au bout du monde (404 millions de dollars mondialement et en 6 jours). La comparaison n’est évidemment pas fortuite et conduit Variety à s’interroger : «GTA IV sera peut-être le plus grand succès jamais connu par un produit culturel.» A telle enseigne, d’ailleurs, que les spécialistes du box-office du Hollywood Reporter craignent qu’un film comme Iron Man, qui sort en même temps autour de la planète, n’en subisse la fâcheuse concurrence.

La sortie de Gran Theft Auto IV s’annonce ainsi comme la plus fracassante jamais connue par l’industrie du jeu. Avant même sa mise en bacs officielle, le titre n’a cessé de crever tous les records, les précommandes par les grands réseaux de distribution et les réservations par les joueurs ayant outrepassé toutes les prévisions. Cela s’explique bien sûr par la fidélité des gamers à une franchise (la série des GTA) et à un développeur (Rockstar) qui leur ont déjà procuré d’innombrables heures de bonheur virtuel. Exactement comme dans l’industrie du blockbuster hollywoodien et de ses sequels juteux, c’est sur la promesse d’une expérience renouvelée, produite sur un terrain à la fois remanié et connu, que se fonde la logique industrielle qui condamne GTA IV au succès. Une telle success story ne pouvant qu’exciter les convoitises, Take Two se trouve actuellement sous la pression d’une offre de rachat hostile par l’acteur numéro 1 mondial du secteur, l’Américain Electronic Arts.

Pour bien comprendre ce qui se joue autour d’un phénomène tel que GTA IV, il faut donc avoir présents à l’esprit les trois plans superposés sur lesquels ce titre a des choses à nous dire : d’abord le jeu lui-même, quatrième volet d’une saga de très grande qualité ludique, ensuite son extravagante popularité globalisée, son influence déterminante sur la création de jeux vidéo depuis dix ans et sa place parmi les «produits culturels» les mieux vendus, en France comme ailleurs ; enfin le contexte industriel dans lequel il intervient, ce florissant business du jeu vidéo dont tout indique qu’il est appelé à croître encore longtemps, l’activité ludique occupant une place toujours plus grande dans les pratiques humaines comme dans la psyché collective.

un jeu Violent et subversif

Il n’est pas anodin que ce triomphe concerne un jeu à la fois brillant et problématique, dont les épisodes récents (Vice City, San Andreas) ont soulevé de nombreuses tempêtes polémiques. Les raisons qui dressent ses ennemis contre GTA sont les mêmes que celles qui soulèvent l’enthousiasme de ses admirateurs : le jeu est violent, subversif, immoral, profondément incorrect, très fréquemment grossier et diaboliquement addictif. Les ligues de vertu de tout poil ne s’y sont pas trompées, qui ont fait depuis longtemps du label GTA le symbole maléfique d’une industrie de toute façon suspecte.

Certes, GTA IV dégage davantage un parfum d’hormones que de savon. Comme ses illustres prédécesseurs, l’épisode promet d’être à la hauteur de la réputation de la série en termes de grossièretés, d’écarts sexuels, de cynisme mafieux et de crime gratuit (ou payant, ce qui est pire). Mais s’arrêter à cette surface adolescente et provocatrice serait ne rien comprendre. Peu de jeux offrent comme GTA un tel sentiment de liberté, une si profonde qualité immersive, une telle générosité dans le gameplay, dont les possibilités infinies promettent aux plus fervents amateurs des dizaines, parfois des centaines, d’heures de jeu.

du fun online

Parmi les grandes nouveautés qui accompagnent ce quatrième volet de la saga, la plus éloquente est certainement le mode online désormais proposé, et qui prend la forme de missions spécifiques s’ajoutant, optionnellement, au programme du jeu. Avant que les joueurs ne délivrent leur verdict sur ce point, on peut parier que c’est toute l’industrie qui chaussera dès demain les lunettes GTA pour mieux comprendre ce qui lui arrive et mieux anticiper ce que l’avenir immédiat lui réserve. Car le mode online signe de façon spectaculaire le début d’un basculement irréversible : la grande migration programmée vers la dématérialisation du jeu vidéo. L’industrie en est en effet convaincue : adieux galettes, coffrets, DVD ou Blu-ray. Les joueurs achèteront bientôt leurs jeux en ligne et les téléchargeront sur leurs consoles, pour des parties solo ou multijoueurs. A quelle échéance ? Dans une confidence récente à Business Week, des dirigeants de Sony estimaient que, dans dix ans, 90 % du business des jeux se ferait online.

Parmi les qualités spécifiques à la série des GTA et qui expliquent en partie son aura, il faut aussi citer son fun inimitable, l’encouragement permanent à la digression, l’acuité du style et des graphismes, le soin apporté aux choix musicaux (une profusion de vraies radios dédiées est disponible dans le jeu). Mais tout succès garde une part de mystère. Si GTA fait aussi fortement écho chez les jeunes générations contemporaines, c’est aussi au nom de motifs plus sensibles : elles y retrouvent sans doute une certaine dureté du monde moderne, son pessimisme instable et son insécurité foncière, mais transfigurés dans un espace de jeu et de liberté. Il est donc temps de regarder en face cet abondant coffre à jouets virtuel que les jeunesses du globe se sont choisi pour soupape.

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