Récif corallien dans les Petites Antilles, dans la mer des Caraïbes en juin 2011. © Sébastien Motreuil/CNRS Photothèque
Une étude parue dans le journal Science en mai 2014 dévoile que la distribution actuelle des poissons coralliens serait un reflet de la diversité des coraux au cours du Quaternaire.
Véritable paradis pour les amateurs de plongée, le Triangle de corail, dans l’Océan Pacifique, concentre la plus grande biodiversité de poissons marins au monde : cette région comprend les eaux qui baignent la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines et les îles Salomon. Jusqu’ici, pour expliquer une telle diversité, les études ont traditionnellement fait appel aux conditions environnementales actuelles. Mais une poignée de chercheurs australo-franco-helvético-danois se sont posé une question différente : et si la distribution actuelle des poissons coralliens était liée non pas aux conditions environnementales actuelles, mais à l’histoire des coraux ? Est-il possible d’y déceler l’empreinte du climat passé ?
Les poissons clowns (Aphiprioninae, famille des Pomacentridae) appartiennent aux espèces inféodées aux coraux . © ninacoco/Flickr
Ces chercheurs ont publié leurs récentes découvertes dans la revue Science du 30 mai dernier [1]. A partir d’enregistrements sédimentaires, ils ont reconstruit la distribution passée des récifs coralliens au cours du Quaternaire (de -2.6 millions d’années à nos jours). Ils se sont aperçus que certaines zones, dont le Triangle de corail, avaient conservé tout au long de cette période des conditions environnementales propices au maintien des coraux. Mais alors, si les coraux se sont maintenus dans ces zones « refuges », les poissons auraient-ils pu du même coup y trouver un abri pour faire face aux nombreuses glaciations du Quaternaire ? Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont regardé s’il y avait une relation entre diversité (nombre d’espèces) de poissons coralliens en un endroit donné et distance au refuge le plus proche. Leur intuition s’est avérée juste : plus on s’éloigne du refuge, et moins il y a d’espèces. Incroyable mais vrai, c’est cette distance au refuge qui explique à 62% la distribution de la diversité actuelle des poissons coralliens ; cette variable est même davantage déterminante que les conditions environnementales actuelles ! « L’originalité de notre étude, c’est d’avoir trouvé le moyen de quantifier la variable ‘isolement aux zones refuges’ et d’avoir montré qu’elle est vraiment importante » témoigne Fabien Leprieur, chercheur au laboratoire ECOSYM à Montpellier et co-auteur de cette étude.
Coraux. © Laszlo Ilies (gauche) et Johnmartindavies (droite)/Wikimedia Commons
Ainsi donc, la stabilité des coraux dans certaines zones dites refuges pendant le Quaternaire aurait permis aux poissons de se maintenir au cours du temps, donc de limiter leur extinction par rapport aux régions voisines. C’est pour cette raison que le Triangle de corail abrite des espèces anciennes (apparues il y a plus de 3 millions d’années). Mais ce n’est pas tout ! Ces zones présentent également des espèces jeunes. Comment se fait-ce ? Eh bien la fragmentation est la raison pour, comme l’explique Fabien Leprieur. A l’intérieur-même de ces refuges qui ont persisté au cours du temps, « il y avait des coraux dans certaines zones à un moment donné, et d’autres où il n’y en avait pas. Cela a créé probablement de la spéciation allopatrique ». Autrement dit, si les coraux ont persisté au cours du Quaternaire dans ces zones refuges, ils n’étaient pas distribués de manière homogène à l’intérieur de ces zones mais sous forme de récifs isolés les uns des autres, chacun abritant sa marmaille de poissons. Depuis, les groupes de poissons auraient évolué chacun de son côté, en accumulant des mutations jusqu’à ce que ces populations ne soient plus interfécondes : ainsi naquirent de nouvelles espèces.
Ces zones refuges sont donc à la fois un musée et un berceau de la biodiversité des poissons. Musée en ayant protégé les poissons de l’extinction, et berceau par le biais de la fragmentation entre les récifs qui aurait engendré la création de nouvelles espèces. « Ce qu’on observe actuellement est un fantôme du passé » résume Fabien Leprieur. « Pour pouvoir bien prédire ce qui va se passer dans le futur, il est important d’interroger le passé. Parce que les espèces ont une histoire évolutive, et donc l’âge des espèces, leurs relations avec les autres espèces, reflètent les changements de l’habitat passé ».Ces résultats laissent également présager de l’importance des zones refuges dans une optique de conservation des poissons coralliens. « On travaille actuellement sur des études qui montrent que ces zones qui ont été des zones refuges au Quaternaire ne le seront peut-être plus dans le futur avec le changement climatique annoncé. Donc ce sont des habitats à préserver avant tout ».
Sources :
- [1] Pellissier, L., Leprieur, F., Parravicini, V., Cowman, P. F., Kulbicki, M., Litsios, G., Olsen, S.M., Wisz, M.S., Bellwood, D.R., Mouillot, D. 2014. Quaternary coral reef refugia preserved fish diversity. Science 344:6187
- Communiqué de presse CNRS : http://www2.cnrs.fr/presse/communique/3575.htm
- Merci à Fabien Leprieur d’avoir pris le temps de me recevoir et de répondre à mes questions.