L'an passé, à même époque, paraissait le premier volume du cycle de Gérimont. Le lecteur savait qu'il y aurait une suite, intitulée La lueur bleue. Il ignorait encore que cette suite ne serait pas la seule et qu'il y en aurait huit autres...
Le cycle de Gérimont, "projet littéraire épique, baroque et postmoderne", explique Stéphane Bovon dans une note liminaire au deuxième roman de cette série de dix, "est une manière de Rougon-Macquart du XXIe siècle qui pose une Suisse fantasmée en toile de fond et propose une lecture sur de multiples strates, parfois en apparence éclatées et digressives mais les apparences sont trompeuses; le créateur et ses doubles savent très bien où ils vont."
Pour le lecteur qui n'aurait pas lu Gérimont, ou qui en aurait oublié la trame, Stéphane Bovon fait précéder Gérimont II d'un résumé du premier épisode. Dans ce réumé, il rappelle que "Gérimont vit en paix entre les montagnes et la mer" et que "tout y est réglé par un système utopique et bienveillant". Aussi n'y a-t-on jamais tué personne. Pourtant le premier volume se termine par l'assassinat de Shriptar Ruchet...
Peut-être, pour la compréhension du lecteur, faut-il ajouter à ce résumé, ou rappeler, que, dans ce sytème utopique et bienveillant, les habitants ne peuvent occuper que dix Fonctions (boulanger, fromager, chasseur ou pêcheur, vigneron, paysan, constructeur - il y en a deux -, couturier - il y en a également deux -, homme libre) et que la Fonction est attribuée à la naissance, comme on distribue les cartes, sans considération des futures inclinations ou prédispositions.
Quand Stéphane Bovon parle de Suisse fantasmée, il s'agit, avec le royaume de Gérimont, d'une Suisse d'après la Montée, sous-entendu des eaux, puisque ce royaume post-moderne helvétique est situé en bord de mer...
Ce deuxième volume raconte l'odyssée de Xixa, la veuve de Shriptar Ruchet, qui cherche à comprendre pourquoi son mari a été assassiné. Seul Epidam Regamey, le paysan, sait quelque chose à ce sujet. Sa ferme se trouve en contre-bas de la colline des menhirs où se réunissent rituellement et régulièrement une dizaine de silhouettes encapuchonnées. Shriptar a dû apprendre quelque chose sur elles et l'a payé de sa vie.
Xixa arrive à faire dire par Epidam le peu qu'il sait et, l'alcool de pruneau aidant, il livre le nom du seul des dix participants à ces cérémonies secrètes qu'il connaît. Xixa, aidée de son beau-frère Plotmir, le vigneron, à qui elle confie son fils Gezim, se met en quête de le retrouver. Il doit se trouver sur l'autre rive de la mer, du côté des Dents du Midi. Pour cela il faut qu'elle quitte le royaume clandestinement...
Comme Xixa n'a aucune notion de navigation, le sardinier, que Plotmir lui a procuré, fait naufrage après avoir dérivé vers l'est. Au lieu de mettre une demi-journée, elle mettra un grand nombre de jours à atteindre son but. Son parcours étant jalonné d'obstacles et d'avanies qui auront pour vertu de l'aguerrir, et qu'elle surmontera, même si, touchant au but, elle manquera d'y rester.
Gérimont II se termine par un duel d'un genre inhabituel, véritable morceau d'anthologie, où l'un des duellistes se sert de la métaphysique pour tenir le coup, tandis que l'autre a recours aux armes de la relativité et de la mécanique quantique réconciliées pour servir le même dessein... Cette fin en apothéose est le couronnement de cette odyssée où Pénélope a échangé son rôle avec celui d'Ulysse.
Ce livre, illustré de dessins à l'encre de Macbe, alias Stéphane Bovon, dont la couverture a été dessinée par Krum, est écrit dans un style effectivement épique et baroque. Des citations, fort à propos, dans la langue de Shakespeare, sont tirées de The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket d'Egar Allan Poe...
A chaque péripétie que connaît Xixa, on peut se demander comment elle va s'en sortir. Mais c'est faire preuve de peu de foi en l'imagination fertile de l'auteur, qui ne manque pas au passage de faire des clins d'oeil malicieux à notre époque, époque d'avant la Montée...
Francis Richard
La lueur bleue (Gérimont II) - Roman initiatique et grand-guignol, Stéphane Bovon, 280 pages, Olivier Morattel Editeur
Volume précédent, chez le même éditeur:
Gérimont, 328 pages (2013)