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Noé : L’Illusion tragique

Publié le 14 avril 2014 par Robin Miranda Das Neves

Noe, Darren Aronofsky

Il y avait une grande excitation à l’annonce du projet Noé, une pensée jubilatoire de voir un Roi transposé à l’image un Prophète. Pourtant, deux éléments dérivent dans Noé : l’Arche et Darren Aronofsky. La déception est d’autant plus grande qu’il livre un énième blockbuster sans saveur à une industrie cinématographique déjà noyée. Que reste-t-il ici d’un réalisateur qui tirait sa force de son obsession pour les rythmes et le montage ? Aucun de nous n’a pu oublier les scènes saccadées de shoot dans Requiem for a Dream (2000) ou les images répétées lors des entraînements de Black Swan (2010) qui établissait un lien sublime entre la psychologie des personnages et le cinéma en lui-même. Noé est parcouru par un postulat qui gangrène le cinéma hollywoodien : l’action est plus signifiante que la parole. Si l’idée n’est pas mauvaise puisqu’elle est l’extension du savoir-faire d’Arnosfky qui place l’image au même plan que la réplique, elle oublie que l’action ne peut être amputée d’un contexte. Ici, les scènes trouvent seulement leur légitimité dans le spectaculaire qu’elles peuvent procurer à un spectateur qui devra ouvrir les yeux et fermer son cerveau. Cette vision d’un cinéma seulement tourné vers le divertissement et le grandiose n’est paradoxalement qu’un moyen de l’enfermer dans une uniformisation des schémas narratifs et des codes visuels. Comment expliquer autrement la grotesque et épuisante apparition de géants de pierre (ici les Veilleurs) ou autres monstres en tout genre dans le cinéma « grand public » si ce n’est pour fournir un énième cri horrifique à des créatures qui finalement se révèle parler notre langue. Comment expliquer autrement que Darren Aronofsky s’attardent aussi longuement à la guerre entre les hommes si ce n’est pour offrir son lot de batailles épiques à une audience soulée par la ressemblance de ces scènes dans n’importe quel film à gros budget. C’est peut-être la limite, voire l’épuisement, de l’action-spectacle qui se joue dans Noé. A trop vouloir surprendre un spectateur habitué, on le lasse.

Noé, Darren Aronofsky

Noé semble une anomalie dans la filmographie de Darren Aronofsky généralement tournée vers les penchants psychotiques de l’homme : la drogue (Requiem for a Dream), le masochisme (The Wrestler) ou la paranoïa (Black Swan). L’épisode biblique de l’arche de Noé était alors un terreau parfait pour le réalisateur avec des dilemmes cornéliens, un huit clos et un questionnement de la foi. Ce qui énerve finalement, c’est que l’œuvre passe à côté de son sujet en se servant des psychologies humaines seulement comme toiles de fond au service du spectaculaire des éléments météorologiques ou animaux. Le scénario  (Aronofsky/Handel) ne s’attarde pas sur les évolutions caractérielles de ces personnages : le choix de Noé, la frustration de Cham, le désintéressement de Naameh ou le renoncement d’Ila. Ils font le choix absurde de l’ellipse, sans doute justifiée par un gain de temps rendu nécessaire par la focalisation sur les guerres ou les récits visuels. Cependant, l’ellipse ne peut être viable que dans un environnement narratif qui n’est pas didactique – ce qui échappe à Noé. Darren Aronofsky fait alors une erreur irrémédiable puisque ces personnages ne semblent ainsi se préoccuper des troubles qui les agitent seulement en présence de la caméra. L’illusion de vie qui doit transparaître à l’écran n’est alors pas réussie : nous regardons des images, plus que des personnages.

Noé, Darren Aronofsky

Pour que cela soit plus clair, je prendrais l’exemple du personnage d’Ila – petite fille trouvée agonisante et infertile –.  Lors de la première ellipse, elle passe de l’état de petite fille à celui de femme (Emma Watson) mais lors de son premier échange avec Noé (Russel Crowe) elle semble comme découvrir ce statut. Que s’est-il passé pendant la quinzaine d’année ? Prend-t-elle seulement conscience de cela maintenant ? Etant peu vraisemblable, la scène semble alors fausse et présente seulement dans un but didactique pour le spectateur. De plus lors de la troisième ellipse (de l’annonce de sa maternité à l’accouchement), Darren Arronosky tait sous silence les 9 mois les plus cruciaux d’un peu de vu narratif : l’attente du malheur, le bras de fer entre Shem et Noé, le délitement du couple Noé/Naameh. La caméra se repose ainsi sur les personnages comme-ci les dilemmes avaient été oubliés et ressurgissait soudainement au moment fatidique de l’accouchement. Aronofsky fige ses personnages à tes situations, à des moments donnés, ne leur donnant pas la possibilité de sembler évoluer seul en dehors du temps filmique.

Noé, Darren Aronofsky

L’illusion cinématographique ne prend pas également par la transposition simple de l’épisode biblique sans modification de sa théâtralité, de sa forme et de ses choix narratifs. Conséquence de tout cela, l’ensemble sonne terriblement faux – notamment les dialogues ! Ce n’est pas parce qu’un film narre une histoire théologique, et donc « fantastique », qu’elle ne doit pas tendre vers la vraisemblance. Qui ne sait pas de nos jours qu’il y a une différence formelle entre le langage parlé et celui écrit ? Le Noé de Darren Aronofsky donne alors l’impression de voir une mise en scène « pseudo-intimiste » de la Bible dans un théâtre de quartier avec des acteurs déblatérant des tirades d’un autre âge.

Noé, Darren Aronofsky

Tout le problème de Noé réside ainsi dans ce manque de réalisme au sens de naturel. Jamais Darren Aronofsky ne parvient à donner l’illusion de filmer une réalité, même différente à la nôtre. Jamais Noé ne parvient à quitter le moment de sa fabrication, et donc à mettre en place ses artifices, son jeu de séduction et son intérêt.

Le Cinéma du Spectateur
☆✖✖✖✖ – Mauvais



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