Magazine Humeur

Bébête Show

Publié le 27 août 2014 par Agathe

Ainsi, une future ex-frontiste, pas trop futée, s’est-elle prise neuf mois ferme de cabane pour avoir comparé Christiane Taubira à une guenon. Au prétexte « qu’assimiler une personne à un animal constitue une injure faite à l’humanité entière ». Tiens ! Qu’en pensent ceux qui, tout en professant un antiracisme militant, ont simultanément déchu l’homme de son statut de roi de la Création ? Comment se dépatouille un Aymeric Caron, soucieux, on le pressent, de ne vexer ni ses cousins primates, ni ses frères subsahariens. ?

Je me souviens, lycéen, avoir manifesté aux cris de « La girafe au zoo ». La girafe, c’était de Gaulle. Nous rendions-nous alors coupables d’une « attaque frontale à la dignité de l’être humain » ? En ces temps carnassiers, où les chacals sévissaient, Sartre était traité par Moscou de « vipère lubrique », de « hyène dactylographe ». Et lui-même avait écrit : « Tout anticommuniste est un chien ». Il y eut ensuite le colin froid Giscard, Mitterrand la grenouille, le corbeau Rocard, le vautour Tapie, etc., tout ceci s’inscrivant dans une très vieille tradition littéraire, puis journalistique, d’utilisation métaphorique de l’animal aux fins de souligner des travers, un tempérament, une dégaine, mais aussi parfois pour valoriser des qualités (l’aigle Bonaparte, le tigre Clémenceau). Dans ce parc zoologique, où prolifèrent grands mammifères, volatiles, rongeurs, reptiles, batraciens, charognards, aucune attribution, aucune caricature, aussi cruelle fut-elle, n’a jamais été considérée comme attentatoire à la personne et taxée de raciste, à la seule exception, sans doute, de l’expression « raton », maculée du sang de la répression coloniale.

Voici bientôt vingt ans, par ailleurs, que les éthologues nous bassinent avec les primates, leur sens de l’interaction sociale, leur gestion avisée de la fécondité, leurs capacités cognitives et émotionnelles, leur aptitude à transmettre, leur bon goût de faire l’amour plutôt que la guerre. Y-a-t-il pour autant une seule équipe de football africaine qui ait choisi le chimpanzé, le gorille ou le bonobo comme animal emblématique ? Aucune. On trouve des lions indomptables, des léopards, des étalons, des antilopes noires, voire des scorpions (la Gambie), des mambas (le Mozambique), des crocodiles (le Lesotho). De sympathiques primates, point.

Bon. Cessons de tourner autour du pot. Contrairement aux attendus du procès de Cayenne, il n’est pas, il n’a jamais été question d’infériorisation générale de l’espèce humaine au travers de ses multiples assimilations animalières. Lesdits attendus n’ont eu pour fonction, en l’occurrence, que de diluer, d’occulter, de maintenir dans le non-dit, la violence symbolique d’une assimilation spécifique : celle du nègre et du singe. Car cette dernière n’est plus seulement métaphorique. Elle procède de l’isomorphie. Une gémellité d’emblée posée et fantasmée en termes d’évolution, de chaînon. Un mimétisme induit et construit à la faveur des rapports de soumission, pour répondre aux expectations racialistes du maître leucoderme. Du « cœur des ténèbres » au bureau ovale de la Maison Blanche, en passant par les cales des négriers, les caractéristiques simiesques abondamment attribuées aux Noirs ont traversé les siècles et constitué en profondeur les structures anthropologiques d’un imaginaire universel. Que peuvent la sanction juridique (avec ses motifs), la pédagogie (avec son impensé), ou même la dérision (avec son pathos), contre des représentations plus que jamais intériorisées par leur victimes, à en juger par le commerce florissant du cosmétique, de la crème blanchissante, du postiche, des extensions, de la chirurgie esthétique. Black is beautiful ? A condition de correspondre aux critères hollywoodiens de dénégrification – sous-entendu, d’hominisation.

Alors pourquoi ne pas renverser dialectiquement les perspectives et se déporter dans le champ de la métonymie, en s’inspirant de ce mot magnifique de Marx : « La clef de l’anatomie du singe, c’est l’anatomie de l’homme ». De tous les hommes. De tous les singes. D’une seule planète. Ce jour-là, dans les stades de football, les glapissements de cercopithèques retentiront pour l’ensemble des joueurs et les bananes seront distribuées sans discrimination. Et l’on pourra impunément donner du « babouin », du « sapajou », du « macaque », du « sagouin », à tout un chacun – et même aux Blancs

François de Negroni


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