Fernando Guimarães (Alidoro), Solen Mainguené (Silandra),
Aurora Faggioli (Tibrino), Giuseppina Bridelli (Orontea)
L'Amour l'emportera-t-il sur la philosophie? L'histoire de l'Orontea, le premier opéra comique de l'histoire de l'opéra, a été composée sur la base de cette question, mais bien sûr sans la prendre au sérieux. C'est à Innsbruck que le compositeur attitré de la cour, Pietro Cesti, a fait jouer cet opéra, ou cette 'operetta' comme le qualifiait en 1656 le librettiste et poère Giovanni Filippo Apolloni. Opéra ou operetta, ce spectacle devait un des grands succès européens du 17ème siècle.
Innsbruck l'avait déjà remis à l'affiche aux débuts des années 1980, puis en 1990, sous la direction musicale mémorable de René Jacobs. Le concours de chant baroque d'Innsbruck porte par ailleurs le nom du compositeur de l'Orontea. Et ce sont des lauréats et des participants du Concours international CESTI 2013 qui ont le privilège de porter à nouveau à la scène ce chef d'oeuvre du bel canto, un des premiers du genre, dans le cadre de l'édition 2014 du Festival de musique ancienne d'Innsbruck.
En avril 1995, René Jacobs accordait une interview au magazine Diapason et évoquait la redécouverte de l'Orontea en ces termes: La découverte de Cesti est venue par le festival d'Innsbruck. Cesti avait longtemps été le compositeur officiel de la cour d'Innsbruck, et les organisateurs m'ont demandé de construire un programme autour de ce compositeur oublié, ce que j'ai fait avec la soprano Judith Nelson. L'année suivante, le professuer Ulf m'a demandé de poursuivre dans cette voie, et nous avons donné un programme d'extraits de différents opéras de Cesti. L'année d'après, nous avons monté Orontea, en version de concert, et nous l'avons enregistré.
Pour les représentations de L'Orontea cet été, le directeur du festival, Alessandro de Marchi, en a proposé la direction musicale au contre-ténor David Bates et à son ensemble musical et instrumental La Nuova Musica, un ensemble qu'il a fondé en 2007 et qui se consacre à la musique européenne de la Renaissance et de l’ère baroque. Un choix des plus heureux car cet ensemble et son directeur musical ont interprété l'oeuvre en lui donnant une vie pleine d'esprit, d'humour et de joie, dans une interprétation pétillante, en donnant du sens à chaque phrase musicale selon l'évolution du texte, avec de beaux tempi. Voila une lecture brillante de l'oeuvre, qui rend parfaitement bien la théâtralité et le comique de l'oeuvre, avec une intelligence complice, aux antipodes de ces interprétations qui semblent ne voir dans le baroque que la répétition hiératique et, partant, ennuyeuse, de motifs pompeusement interprétés. Rien que du bonheur! David Bates et La Nuova Musica ont littéralement affolé le public. Exultation, bravi, applaudissements interminables et trépignements!
Fernando Guimarães (Alidoro) vient de subir la colère jalouse d'une Orontea en furie
David Bates s'est réjoui de travailler avec des jeunes chanteurs, précisément parce qu'ils ne sont pas liés par une histoire ou une réputation et qu'ils peuvent dès lors s'investir plus librement dans le chant et dans le jeu scénique. La mise en scène de Stefano Vizioli est conçue sans décors si ce n'est les arcades de la cour de la faculté de théologie, et utilise efficacement la gestuelle et les effets de la commedia dell'arte, avec sobriété et efficacité et dans un grand respect du livret. Vizioli exploite fort bien l'humeur versatile et légère de ces personnages totalement superficiels, dont les résolutions ne sont jamais tenues, et qui sont inconstants comme la plume l'est au vent de leurs émotions ou de leurs attirances. Le metteur en scène s'est acquis le concours de la chorégraphe Goria Giordano, et cette collaboration fructueuse a donné naissance à toute une série de tableaux animés et variés, à la succession fluide, et avec une excellente occupation d'un espace scénique nécessairement réduit. Les beaux costumes d'Anna Maria Heinreich ne situent pas l'action dans l'Egypte ancienne mais dans un temps goldonien, avec des costumes à l'italienne tels qu'on a pu les porter dans les villégiatures italiennes des 18ème et 19ème siècles. Heinreich joue sur un joli camaieu de couleurs beiges et brunes, pour un ensemble du meilleur effet, la seule Aristea se voit attribuer des vêtements voyants, ce qui accentue le comique du personnage de vieille exubérante nymphomane et maladroite au grand coeur. Le thème égyptien n'est d'ailleurs pas abordé dans le livret qui semble situer sa comédie au hasard, en Egypte, parce qu'il fallait bien situer l'action quelque part.Solen Mainguené (Silandra)
Les jeunes chanteuses et chanteurs sélectionnés pour cet opéra se sont donnés corps et âme, et à coeur joie, à l'entreprise. Orontea est interprété avec force et conviction par la soprano Giuseppina Bridelli, qui commence à être connue sur les scènes françaises, le portugais Fernando Guimarāes interprète avec un beau sens de la scène le séduisant peintre Alidoro, un jeune homme bien fait de sa personne et volage qui finira par se faire couronner Roi d'Egypte par le deus ex machina final d'une reconnaissance: cet enfant enlevé puis adopté portait autour du cou un bijou portant le sceau royal de Phénicie. La Reine d'Egypte pourra épouser l'homme dont elle est tombée amoureuse sans craindre de faire une mésalliance. La soprano française Solen Mainguené est un des grands bonheurs de la soirée, elle donne une interprétation vibrante, très intense, de la dame de cour Silandra, avec un excellent jeu de comédienne et une belle voix de soprano lyrique, tant par la puissance que par l'agilité. La soprano israélienne Anat Edri séduit elle aussi en Giacinta déguisée en homme. Le ténor catalan David Hernández Anfruns joue avec beaucoup de drôlerie un autre rôle travesti, celui d'Aristea, la mère adoptive nymphomane d'Alidoro. Un contre-ténor polonais, Michaŀ Czerniawski, chante Corindo, l'amoureux éconduit de Silandra, avec de beaux moments de fureur. Le baryton basse Giorgio Celenza convainc moins dans son interprétation trop convenue de Gelone, le courtisan alccolique de service, avec une voix qu'il ne projette pas suffisamment. Enfin, Aurora Faggioli donne un Tibrino fougueux et passionné. Aux côtés de ces jeunes chanteurs, Jeffrey Francis en Créonte joue les philosophes pondérés, avec la drôlerie du dernier acte pendant lequel Aristea, n'ayant séduit aucun des jeunes gens par lesquels elle se sentait attirée, jette son dévolu sur le vieux sage qui semble s'y résigner. Sur le plan professionnel, le ténor américain apporte depuis des années son expérience en soutien du projet Barockoper jung du Festival de musique ancienne (Opéra baroque jeune).On a passé une excellente soirée à découvrir ou redécouvrir la belle 'operetta' de Pietro Cesti, avec la magie musicale de l'ensemble Nuova musica et ces jeunes chanteurs professionnels à l'avenir des plus prometteurs. La direction musicale de David Bates, la mise en scène bien chorégraphée de Stefano Vizioli, le jeu scénique et les qualités vocales des chanteurs rendent toute la drôlerie et la fraîcheur de cet opéra comique, un des premiers du genre, qui connut déjà un si grand succès à l'époque de sa création.
Distribution
David Bates (Direction musicale)
Stefano Vizioli (Mise en scène)
Anna Maria Heinreich (Costumes)
Gloria Giordano (Chorégraphie)
La Nuova Musica
Orontea Giuseppina Bridelli (Mezzosoprano)
Silandra Solen Mainguené (Soprano)
Aristea David Hernández Anfruns (Ténor)
Giacinta Anat Edri (Soprano)
Alidoro Fernando Guimarães (Ténor)
Corindo Michał Czerniawski (Contreténor)
Creonte Jeffrey Francis (Ténor)
Gelone Giorgio Celenza (Baryton)
Tibrino Aurora Faggioli (Mezzosoprano)
Crédit photographique: Rupert Larl