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[GUEST 10] L'affaire Beltracchi ou comment duper le marché de l'art

Publié le 28 août 2014 par Teazine
[GUEST 10 : Olivier]
"On voit ce que l’on veut et ce que l’on croit voir, et les comparses, je n’ai pas dit les complices, qui font tourner la machine ne sont là que pour accréditer cette croyance." Jean Clair, Vraix Faux et Faux Vrais, in Médium, N°32-33, 2012/3.
Tribunal de Cologne, 1er septembre 2011, 15h30
Ce jour-là, les yeux du monde de l’art sont rivés sur ce tribunal de Rhénanie-du-Nord pour connaître le dénouement d’une gigantesque affaire de faux tableaux. Principal accusé, Wolfgang Beltracchi, sexagénaire à la dégaine de hippie et aux faux airs d’Albrecht Dürer, pénètre dans l’audience sourire en coin et accompagné de son épouse et complice, Hélène Beltracchi. Tels des Bonnie et Clyde du faux, le couple d’allemand est jugé pour avoir, vingt ans durant (1990-2010), amassé quelque seize millions d’euros en vendant aux plus grandes galeries et maisons de ventes de multiples falsifications de peintures modernes, usurpant ainsi le pinceau de Braque, Ernst, Derain ou Metzinger. A l’heure où une affaire de faux Rothko a récemment éclaté en Suisse, retour sur le phénomène du faux et plus particulièrement, sur l’escroquerie des Beltracchi.

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Les Betracchi lors de leur procès, septembre 2011.
Photo: Dirk Gebhardt

Un artiste raté devenu faussaire
Fils de restaurateur d’églises, Wolfgang peint dès son enfance. Néanmoins, réfutant la probité des études d’art et du travail honnête au profit d’une vie de débauche, l’artiste ne connaît que très peu de succès. Dans les années 1980, entre un buvard de LSD et un festival de rock, Wolfgang découvre que falsifier la signature de maîtres anciens est une entreprise bien plus juteuse que celle menée par un artiste raté. Dix ans plus tard, l’amour ayant remplacé la drogue, Wolfgang se marie avec Hélène ; dès lors, uni dans le crime, les Beltracchi se perfectionnent et mettent en place leur escroquerie.
En dressant une liste d’œuvres modernes que le régime nazi a autrefois jugées "dégénérées" et détruites car ne satisfaisant pas les doctrines prônées par Hitler visant à faire de l’art un pur outil de propagande, Wolfgang Beltracchi fait ses premiers repérages. Puis, après s’être assuré que ces œuvres aient laissé une trace dans l’histoire de l’art sans pour autant avoir été photographiées – ce qui demeure courant étant donné qu’imprimer des photos dans des catalogues d’expositions est onéreux dans les années 1910-1920 – le faussaire n’a plus qu’à les recréer.
Pour ce faire, Beltracchi commence par acquérir d’authentiques toiles d’artistes méconnus qu’il ponce afin de retrouver une surface vierge. Puis, après avoir peint son faux, le faussaire le laisse sécher à l’air libre et le vieillit dans un séchoir spécial afin de rendre les tests scientifiques désuets.
C’est donc précisément d’après ce procédé méthodique que Beltracchi réalise Souvenirs d’Anvers, faux George Braque et Othon Friesz. En partant du fait que ces deux artistes ont passé l’été 1905 côte à côte à Anvers mais qu’aucune œuvre commune n’a résisté aux aléas du temps et de l’Histoire, le faussaire recrée une huile présentant neufs scènes du port belge, à l’instar d’une carte postale, en copiant de véritables œuvres des artistes. Au milieu de l’huile, le faussaire appose un titre : Souvenir de Anvers. Si l’œuvre paraît trompeuse malgré une touche à l’allure bâclée, le titre est ridiculement entaché de deux fautes d’orthographes : "souvenir" est orphelin de son "s" et "de Anvers" n’est pas contracté en "d’Anvers".

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Wolfgang Beltracchi (selon George Braque & Othon Friesz), Souvenirs d’Anvers
1905, huile sur toile, 73 x 100 cm, Galerie Aittouarès (Paris)

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Othon Friesz, Le Balcon (Anvers)
1906, huile sur toile, 32 x 40 cm, coll. particulière
Beltracchi reprend cette scène dans Souvenir d’Anvers (en haut à gauche)

Aux antipodes de l’approximation de certaines de ses copies telles Souvenirs d’Anvers, le faussaire conçoit, entre autres, de convaincants pastiches de Max Ernst. Parmi ces derniers, qui rapportèrent aux couples environ six millions, Wolfgang réalise plusieurs forêts, thématique courante chez l’artiste dada/surréaliste allemand, en s’appropriant avec précision les procédés semi-automatiques développés par Ernst au cours des années 1920, soit le frottage et le grattage.

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Wolfgang Beltracchi (selon Max Ernst), La Fôret II
1927, huile sur toile, 97.5 x 131.5 cm, coll. privée (New York)

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Max Ernst, La grande forêt
1927, huile sur toile, 114.5 x 146.5 cm, Kunstmuseum (Bâle)

Un faux qui devient crédible : usurpation et invention de collections
Afin de doter ses faux d’un "pedigree" et d’une provenance, conditions sine qua non à la vente d’œuvres d’art, Beltracchi met en place un nouveau stratagème. En effet, profitant encore du bouleversement politico-artistique conséquent à l’avènement du nazisme en Allemagne, le faussaire s’empare les labels de divers collectionneurs que le régime hitlérien ne portait pas dans son cœur. Alfred Flechtheim était l’un d’entre deux : juif, collectionneur d’art jugé dégénéré et proche d’artistes communistes. Traqué par le régime, Flechtheim s’exila à la fin des années 1930, laissant ses collections au sein du Reich. Or, étant donné qu’il demeure impossible de définir un corpus d’œuvres lui ayant appartenu ou ayant transité dans ses galeries, Beltracchi recrée un label "Flechtheim" qu’il appose au dos de ses faux, les faisant ainsi passer pour d’authentiques chefs-d’œuvre.

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Ex-libris "Sammlung Flechtheim" fabriqué par Beltracchi, apposé sur le châssis au dos de Souvenirs d’Anvers

Dans un second temps, le faussaire justifie le fait que des œuvres ayant prétendument appartenues à un collectionneur de Weimar atterrissent en sa possession. A cette fin, Beltracchi crée une collection imaginaire, en empruntant le nom du grand-père de sa femme, Werner Jägers. Bien que ce dernier, issu d’une famille modeste, n’ait jamais été collectionneur et même si d’un point de vue chronologique, il demeure des incohérences (Jägers, né en 1919, se serait constitué une collection de chefs-d’œuvre entre les années 1920 et 1930 !), la ruse passe inaperçue. Afin d’accentuer la véracité de ce récit, le faussaire, muni d’un vieil appareil photo, immortalise son épouse dans un décor de 1920, pour prouver la prétendue authenticité des œuvres.

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Hélène Beltracchi, déguisée en sa grand-mère Josephine Jägers,
posant devant des faux, notamment une forêt de Ernst (à droite)

Un marché de l’art et des experts : de l’excès de suffisance et de la cupidité
Pour Beltracchi, la dernière étape de son escroquerie consiste à insuffler ses faux au sein du marché de l’art pour en retirer de belles sommes. Lors de cette étape, le faussaire s’éclipse au profit de son épouse, Hélène, qui fonctionne en deux temps.
Premièrement, Hélène contacte un expert afin d’authentifier une œuvre. Parmi ces derniers, Hélène rencontre notamment Werner Spies, expert incontesté et auteur du catalogue raisonné de Max Ernst. Ce dernier authentifiera sept faux Ernst. Certes, les pastiches de Beltracchi s’avèrent convainquant et une expertise n’est guère une science parfaite, néanmoins le travail de Spies demeure discutable. En effet, l’expert affirme qu’une authentification est avant tout le fruit de l’instinct magique de connoisseur ; par conséquent, elle peut être réalisée en moins de trente minutes, devant l’œuvre ou par le biais d’une photographie. Etant donné qu’une authentification dote ou ôte à une œuvre une valeur commerciale considérable, les explications du spécialiste demeurent aberrantes ! De plus, l’enquête policière révèlera que Spies toucha environ quatre cent mille euros pour sept authentifications, somme plus qu’inhabituelle. En guise de défense, Spies, affirmera avoir été aveuglé par la redécouverte d’œuvres disparues : "Max Ernst m’a dit lui-même qu’un certain nombre de ses œuvres faisaient partie de l’exposition de Flechtheim (1929) et que le contexte politique et d’époque expliquait qu’il ne les avait pas toutes récupérées […] J’ai eu l’impression qu’il pouvait s’agir de ces tableaux.", dira-t-il. En somme, il semble donc que la réussite des faux Beltracchi tient autant à leur qualité plastique qu’à leur contexte de parution et à la cupidité des experts.
Deuxièmement, Hélène Beltracchi propose les faux de son époux aux plus grandes maisons de ventes (Sotheby’s, Christie’s, etc.) ainsi qu’aux plus célèbres galeries (Marc Blondeau, etc.). Si ces dernières, à l’instar de la majorité des experts, s’abstiennent de tests scientifiques, elles se fient également aveuglément aux étiquettes et autres certificats. Autrement dit, grâce un certificat extirpé à un expert plus ou moins corrompu et une copie d’étiquette trempée dans du café, le tour est joué.
De surcroît, lorsqu’une institution et/ou un expert décèlent un faux, ils ne font que les rendre à son propriétaire, sans en informer d’autres institutions. Par conséquent, si Hélène essuie un refus d’un expert, elle n’a qu’à contacter un second expert pour atteindre sa fin. Ce manque de communication au sein du marché de l’art est symptomatique d’un milieu peu transparent. En effet, que ce soit afin de se protéger des cambriolages, de blanchir de l’argent, d’éviter des contrôles fiscaux, ou d’investir d’une manière stable dans un marché plus opaque que le marché bancaire dont le secret s’effrite, les acheteurs d’art exigent une grande discrétion du marché de l’art qui facilite, a fortiori, la tâche des faussaires.
Du blanc de titane, un peu de prison et une légende qui se construit
En novembre 2006, les Beltracchi vendent un faux Campendonk, Tableau rouge avec chevaux, qui transite par une galerie genevoise. Cette dernière fait alors appel à l’experte de l’artiste, Andrea Firmenich, qui émet quelques doutes sur l’authenticité de l’œuvre. Quelques semaines plus tard, l’œuvre subit des testes scientifiques révélant la présence de blanc de titane. Ce pigment, utilisé à partir de la seconde moitié des années 1930, est problématique sur une œuvre censée avoir été réalisé en 1914. C’est alors que l’enquête est lancée : les incohérences de l’escroquerie sont révélées et le château de carte s’écroule. En août 2010, au terme d’une course poursuite hollywoodienne, les Beltracchi sont arrêtés, leur villa au sud de la France et leurs comptes en banque aux Iles Caïmans sont saisis.

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Wolfgang Beltracchi (selon Heinrich Campendonk), Tableau rouge avec chevaux
1914, huile sur toile, 52 x 100.3 cm, Trasteco Ltd (Malte).

Retour, pour en finir, en septembre 2011. Après une semaine de procès, les Beltracchi donnent des aveux complets contre une peine allégée : Wolfgang écope de six ans de prison en semi-liberté, un an de plus qu’Hélène. Si les aveux complets, qui équivalent à six œuvres, semblent ridicules, c’est à nouveau car le marché de l’art préfère être opaque, trompeur et rentable que transparent et vérace. Il réside donc un mystère autour de l’affaire Beltracchi que le marché de l’art même entretient : de quelle ampleur est-elle véritablement ? Le principal intéressé brouille les pistes et nourrit sa propre légende via interviews et entretiens. Même Harry Roselmack, en dédiant un sujet de son émission Sept à Huit (19.01.2014) sur TF1 à ce "génie du faux", n’a pas réussi à en savoir davantage…
Un génie pour certains, un escroc génial pour d’autres, Beltracchi n’est assurément pas une exception dans l’histoire de l’art. Bien au contraire, le faussaire s’inscrit dans la tradition du faux et de ses grands noms à l’instar d’Han Van Meegeren (le "trompeur de nazi"), Helmyr de Hory (héros du film F for fake d’Orson Welles), ou encore Eric Hebborn (auteur du Manuel du Faussaire, utile à qui veut se lancer dans ce business juteux). En somme, le marché de l’art, marché opaque aux chefs-d’œuvre barricadés dans les ports-francs des paradis fiscaux, a particulièrement mauvaise mémoire. Pour preuve, bien que mouillé jusqu’au cou dans l’affaire Beltracchi, Werner Spies demeure aujourd’hui l’expert incontesté et incontestable de Max Ernst.
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Né dans les montagnes du Colorado en août 1892 le jeune Olivier part très tôt étudier le macramé à l'université d'Indianapolis. Fou de Nascar il fait fortune en montant le premier club de tuning protestant de la ville. Jalousé par beaucoup et sentant la menace d'un possible assassinat, Olivier se voit contraint de quitter la cité. Il laisse derrière lui sa passion pour la vitesse et un club de tuning étêté qui ne s'en remettra jamais. A l'âge de 22 ans, Olivier est atteint de la cataracte qui affectera sa vision toute sa vie durant. Il rédige ses mémoires dans le sanatorium de Saint-Moritz où il mourra quelques années plus tard. Il aimait les livres, la Pologne, les vieux journaux et la Playstation.
Illustration et biographie : Pablo Picasso

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