SocialTer N°6 août-septembre 2014
Dossier : Economie collaborative… La révolution des makers. Article de Clarisse Briot (qui est passé à Biarne en juin)
Quand le faire est l’affaire de tous.
FabLab des champs
Un Fab Lab dans un village du Jura: qui l’eut cru ? Deux ans après sa création, Net-IKi, le premier Fab Lab rural de France, fait des émules. Son pari: ouvrir le collaboratif au plus grand nombre.
Des ordinateurs et des imprimantes 3D ont remplacé le tableau noir et les pupitres d’écoliers. A Biarne, bourgade de 350 habitants près de Dole, dans le Jura, un FabLab s’est installé dans l’ancienne école, et désormais, ce sont d’autres savoirs qui s’y partagent. L’association Net-IKi ( »ici » en franc-comtois) est née de la rencontre de deux blogueurs de communes voisines. Elle a d’abord milité pour obtenir un débit Internet satisfaisant dans les villages et y amener « la culture numérique ». Puis, de fil en aiguille, l’idée de lancer le premier Fab Lab rural de l’Hexagone a germé.
À l’instar du café qui a depuis longtemps déserté la place du village, l’atelier de fabrication est d’abord un lieu où se croisent des gens d’horizons très divers. « Sur le papier, c’est un mélange improbable qui ne marche pas », s’amuse Reynald Blondeau, le président de l’association, ingénieur dans la plus grosse entreprise du département. « Notre Fab Lab est sans doute l’un des plus ouverts de France, on accueille aussi bien des collégiens que des retraités, des architectes mais aussi Monsieur et Madame Tout-le-monde » », renchérit Pascal Minguet, cofondateur et animateur de cette communauté hétéroclite. Ce jour-là, autour des imprimantes 3D, du scanner, de la découpe à fil chaud et des logiciels libres, s’affairent notamment Arnaud, 25 ans, cantonnier du village voisin passionné de 3D, et Dominique, 50 ans, agent d’entretien.
Lutter contre l’obsolescence programmée
Ces bricoleurs du XXI’ siècle se retrouvent ici pour fabriquer des prototypes – un étudiant en chirurgie dentaire est venu imprimer une mâchoire pour s’entrainer à opérer – et des objets de la vie quotidienne : jetons de Caddie, poignées de four, pièces de tondeuses à gazon ou de jouets cassés … « Les gros Fab Labs font des projets d’ingénieurs, sourit Pascal Minguet. Nous, nous sommes très pragmatiques!» Pour autant, l’ambition est bien là : donner accès à la technologie au plus grand nombre et à moindre coût, et promouvoir la collaboration autour de projets. « Les machines ne sont qu’un prétexte pour les faiire travailler les gens ensemble, innover, explique Pascal Minguet. Nous leur redonnons de la confiance et du pouvoir. »
« Les machines ne sont qu’un prétexte pour faire travailler les gens ensemble et innover »
Celui, par exemple, d’oser dépecer son téléviseur en panne pour fabriquer soi-même la pièce défectueuse que les industriels ne vendent plus. Car le « faire ensemble» veut inspirer un nouveau modèle: celui de la lutte contre l’obsolescence programmée, de la relocalisation de certaines productions et de l’open source. « Pour survivre, il faudra vulgariser, partager les connaissances afin que chacun puisse être créatif, lance le président. Ce sera possible de façon industrielle, dam de petites unités.»
À Biame, on est conscient de n’être encore qu’au stade du défrichement. Mais certains – comme Jean-Baptiste Fontaine, 29 ans, cofondateur du lieu – appellent de leurs vœux une nouvelle ère. « C’est beaucoup plus efficace d’être dans une logique de partage que de brevets, explique ce fils d’agriculteur, fan de Jeremy Rifkin et Bernard Stiegler, fervents défenseurs du Do It Yourself Nous sommes dans un monde bridé, spécialisé à outrance, opaque, dans lequel l’humain souffre. Il fàut reprendre la main. »
En attendant, Net-IKi œuvre, à son échelle, à démocratiser les pratiques collaboratives et compte «passer à la vitesse supérieure» en accompagnant la création de nouveaux Fab Labs dans la région, pour atteindre une dizaine d’ici la fin de l’année. Avec un supplément d’âme: celui de la défense de la ruralité. Comme l’a dit un jour un maker de passage : «Ici, on partage tout, sauf les coins à champignons. »