Parfois, tout se déroule (mal) exactement comme prévu. La loi ALUR, la production baroque et foutraque d’une Cécile Duflot en roue libre, en est un exemple flagrant, depuis sa conception, résultat navrant d’une soirée trop arrosée et de la catastrophique absence de protection que procure la compétence, jusqu’à son ignoble avortement au cintre gouvernemental auquel le peuple français est actuellement convié, caméras et micros à l’appui.
Il y a quelques mois, je notais en effet que cette loi, emblématique du dogmatisme indécrottable des élus socialistes lorsqu’il s’agit de réguler la vie de leurs concitoyens, allait subir le détricotage méticuleux du gouvernement pour réduire l’ampleur du désastre immobilier actuel.
Ce n’était, du reste, pas trop dur à prévoir : comme je l’expliquais alors, la situation du marché immobilier en France est particulièrement tendue, et la pauvre Duflot est arrivée avec sa loi au plus mauvais moment. D’une certaine façon, elle n’a fait qu’accroître une déconfiture qu’on sentait déjà inévitable, et ses bricolages législatifs sont simplement venus s’ajouter à un marasme qui s’installait doucement. De ce point de vue, difficile de rendre responsable la pauvrette de l’intégralité de la déroute que l’immobilier français subit actuellement.Il n’en reste pas moins qu’en proposant, à ce si mauvais moment, une batterie de dispositions très déséquilibrées en faveur d’un locataire par ailleurs fort choyé par les précédentes lois, qu’en laissant la ministre établir un ensemble de dispositifs plus ou moins complexes (pour ne pas dire incompréhensibles), qu’en ajoutant à ces déséquilibres et ces complexités inutiles une écriture législative chaotique qui aura provoqué des allers-retours consternants et une bonne dose de rigolade des observateurs extérieurs, Duflot aura tout même participé à l’état actuel du secteur, participation dont elle ne pourra pas s’exonérer, même si elle n’est plus aux commandes de son usine à gaz hilarants.
En conséquence, on s’amusera de lire les tentatives d’une certaine presse de dédouaner la ministre du fiasco mémorable de cette loi, pendant que l’actuel gouvernement en laisse progressivement tomber les articles les plus controversés, et on pourra répondre à la titraille perplexe (« la loi Duflot responsable de tous les maux ?) de façon lapidaire : bah non, c’est évident… Mais.
Mais il est difficile d’oublier que l’immobilier est un achat très particulier, assez loin des cacahuètes d’apéritif ou même de celui d’une automobile puisqu’en pratique, le logement constitue pour beaucoup le principal patrimoine qu’une génération lègue à la suivante. À cette aune, l’achat immobilier comprend une très forte composante psychologique, comme la capacité à se projeter dans l’avenir et le confort (réel ou perçu) qu’offre le matelas de trésorerie disponible amené dans la transaction.
Pour la première, on avouera que les changements législatifs et fiscaux permanents rendent toute planification budgétaire particulièrement ardue, d’autant que ces modifications engendrent une complexité de plus en plus imperméable à toute compréhension. Pour la seconde, avec des salaires qui augmentent beaucoup moins vite que les ponctions, l’envie de rogner sur le matelas, quelle qu’en soit l’épaisseur, s’amenuise à mesure que les nuages s’accumulent.
Compte-tenu de tous ces éléments, il était donc assez logique que le marché immobilier se congèle et qu’à la faveur du dernier remaniement, Valls tente des trucs et des machins pour remettre un peu d’huile dans un moteur passablement serré. Il n’est pas interdit d’imaginer qu’il y aura un effet positif (au moins psychologique), mais toutes proportions gardées, je crains, tout comme d’ailleurs Vincent Bénard, que ces derniers bricolages ne changent pas grand-chose à la situation globale.
En effet, outre les problèmes déjà évoqués ci-dessus, la tendance économique est, très clairement, à la déflation. Celle-ci, résultat de dizaines de millions de décisions individuelles de baisse de consommation, de diminutions et de reports d’investissement, est une tendance suffisamment massive pour que les efforts frénétiques des dirigeants politiques pour relancer l’inflation ne se traduisent par à peu près aucun résultat tangible. Ce qui, concrètement et à périmètre de mesures constant, va se traduire à moyen terme par une baisse des prix générale, à commencer par celle de l’immobilier.
De façon étonnante, les mesures Valls visent essentiellement à « soutenir le marché », c’est-à-dire tout faire pour que suffisamment d’acheteurs se présentent en face des vendeurs, suffisamment de permis soient émis, suffisamment de prêts soient contractés, bref que les prix restent haut. Or, si l’immobilier est un bon investissement pour se protéger contre l’inflation, en période de déflation, c’est loin d’être le cas ; dans ce cadre, pourquoi le gouvernement incite-t-il à une démarche économiquement douteuse ?
En outre, on doit se demander pourquoi une baisse des prix de l’immobilier semble à ce point gêner ce gouvernement en particulier et l’État en général. Jusqu’à preuve du contraire, le gouvernement devrait plutôt se battre pour une augmentation du pouvoir d’achat, ou, à tout le moins, une baisse des prix. Puisqu’apparemment, les salaires refusent actuellement de monter, peut-être un ajustement par des baisses de prix est-il nécessaire ? Difficile, alors, de comprendre les gesticulations de Valls (et, précédemment, de Duflot et de tous les autres ministres qui se sont succédé pour maintenir le secteur immobilier aussi haut que possible).
En réalité, pour le gouvernement, accepter que les prix baissent dans l’immobilier, c’est accepter l’échec patent de leur politique menée jusqu’à présent pour maintenir les prix hauts, avec l’argent du contribuable ou toutes les bidouilles fiscales possibles et imaginables. C’est aussi accepter que les forces du marché, ici déflationnistes, sont plus fortes que les décisions prises à la tête de l’Etat ou d’une banque centrale et c’est aussi montrer, implicitement, que des millions de décisions individuelles ont plus d’impact que les décrets plus ou moins malins d’une petite caste.
Enfin, l’arrivée de la déflation (notamment immobilière parce que les volumes transactionnels sont massifs) retentit comme un coup de sifflet désagréable de fin de partie où les politiciens et les capitalistes de connivence, corrompus à l’argent facile, voient arriver un retournement de tendance plus fort qu’eux. La déflation, c’est surtout l’enquiquinant retour à la réalité économique où un prêt doit être remboursé le plus vite possible. Et avec une dette énorme, l’hippopodette que la France a nourrie les 40 dernières années, la déflation signifie de gros soucis budgétaires à brève échéance.
L’immobilier baisse. C’est, quoi qu’on en dise, une excellente nouvelle pour les Français, surtout parce que c’en est une mauvaise pour l’État.
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