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Les (incroyables) exploits de Jack Bilbo

Par Les Lettres Françaises

Les (incroyables) exploits de Jack Bilbo

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« Difficile de démêler la vie de l’oeuvre chez Bilbo ! », prévient l’éditeur. « S’il est établi qu’il naquit en 1907 à Berlin et qu’il a parcouru le monde, rien ne certifie que tous les événements racontés dans cette autobiographie soient totalement exacts ! » C’est le moins qu’on puisse dire. Le ton est donné dès les premières lignes. Le narrateur voit un avis de recherche : « Je fixais le portrait du garçon recherché. C’était le mien ! Je ramassai donc une bouteille de bière vide, la cassai et me rasai le crâne avec les tessons.» Alors Jack Bilbo, ce Rebelle par passion, se lance à l’assaut du vaste monde – qui peine bientôt à le contenir.

Jack Bilbo, Rebelle par passion.

Jack Bilbo, Rebelle par passion.

Cent pages plus tard, il a déjà été auteur à succès, reporter, impresario, clown, dompteur et arnaqueur. Puis il se fait garde du corps d’Al Capone, contrebandier aux Baléares ; fonde des « ateliers cosmétiques pour fabriquer une crème aphrodisiaque à base de racines de mandragore » ; croise Braque et Picasso. Décidant de peindre à son tour, il exécute 36 tableaux d’affilée ! Tantôt vagabond dormant sur les bancs, tantôt invité au Grand Hôtel, on ne lui écrit que poste restante. Notre Rocambole a le souci de donner le secret d’une vie si riche en aventures : « Je ne les ai pas cherchées ; elles m’ont cherché et quand elles se présentaient, je me décidais toujours à les accepter en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il faut savoir bondir et saisir sa chance. Il faut le faire comme un animal s’emparant de ce qu’il considère comme son dû. » Bilbo tombe les filles, se bat comme un homme, boit comme un dur, tout en cultivant une morale libertaire, contre les Etats, leurs frontières, leurs polices. Les passages les plus forts sont aussi les plus vraisemblables, ceux où Bilbo n’a rien. « On erre sans but et sans volonté dans les rues, la nuit ; que l’on continue d’avancer tout droit, que l’on prenne là, à gauche ou droite, ou que l’on tourne en rond, cela n’a aucune importance – tout se vaut, l’essentiel étant seulement de pouvoir marcher jusqu’à ce que le jour succède enfin à la nuit. Le corps sue de faiblesse, le corps grelotte dans sa sueur – il rampe, il se traîne. Les membres s’alourdissent de plus en plus, on traîne encore les pieds jusqu’à ce que, quelque part, à un moment donné, on finisse par s’effondrer. Et là, à coup sûr, la police, ton amie, gardienne de l’ordre, se tient déjà prête à te mettre l’amende. »

Ainsi également du récit de son internement, comme ressortissant étranger, en Angleterre, pendant la Seconde Guerre mondiale, qui contient une rare profusion de détails, donnant au passage un caractère d’authenticité qui manque à beaucoup d’épisodes de ce livre : « Cela se trouvait à Bury, dans la région de Manchester. Le site de l’ancienne filature de jute de Wharfs Mill, gagné par la moisissure, était condamné depuis 1928 et était alors désaffecté. Les bâtiments étaient dans un état indescriptible et nauséabond. Partout cette odeur de jute persistante ; où que l’on posât le pied, le plancher pourri s’écroulait. Et, en plus, une double clôture en fil de fer barbelé entourait le bâtiment de si près qu’il était impossible de faire ne fût-ce que trois pas à l’air libre. Comble du malsain, nos installations sanitaires défiaient le pire imaginable. Elles étaient constituées de vieilles bassines à confiture.  Nous avions rebaptisé notre camp : Rats Mill, la filature des rats. » Bilbo y livre une croisade dérisoire pour les droits des prisonniers. Dans un rare moment de détresse, il s’arrime à sa foi en la force de la vie : « Qui peut dire ce qui l’attend au tournant ? Ne serait-ce qu’une seconde plus tard, tout peut être différent ! » Et c’est encore la volonté de sublimer le réel qui le guide quand il crée un théâtre avec ses codétenus.

D’autres passages du livre sont superflus : « Six mois avant que Hitler n’accédât au pouvoir, j’appelai les meneurs des partis antifascistes à se réunir dans le maison de Karl Liebknecht et je leur soumis le plan que j’avais élaboré pour supprimer les 48 dirigeants nazis en l’espace de 24 heures, opération à laquelle la révolution aurait dû immédiatement faire suite. Mais les représentants des partis redoutaient cette responsabilité. On ne put ou ne voulut se résoudre à franchir le pas. Par la suite pourtant, en Espagne, en France et en Angleterre où j’eus l’occasion de retrouver des amis et des camarades d’exil, j’ai sans cesse entendu ce même soupir stupide : « Ah, si seulement nous t’avions écouté, Jack… »

Est-ce d’avoir été interné en Angleterre pour la seule raison qu’il était Allemand, en dépit de ses convictions antifascistes, qui a poussé Bilbo à ajouter ce genre de fanfaronnades puériles ? Pourtant son ode à la liberté et à la liberté de l’imagination, suffisait.

Sébastien Banse

Jack Bilbo, Rebelle par passion
Editions les Fondeurs de briques, 444 pages, 23 €
Traduit de l’allemand par Alexia Valembois.
Préface d’Henry Miller. 


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