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Boules-puantes, et autres mots de l’été

Publié le 04 septembre 2014 par Rolandlabregere

Communicants et politiques regardent avec angoisse l’été. Se rappelant que « vacances » veut dire « vide », ils craignent d’être oubliés. Pour conjurer le risque du néant médiatique, ils choisissent de tourner avides de mots, mots qu’ils souhaitent qu’ils soient reconnus comme de bons mots. Ceux-ci sont réputés faire les bons soldats. L’été 2014, sans être de l’ordre de l’anthologie, aura néanmoins donné lieu à quelques illustrations du feu sémantique qui anime les acteurs de la vie publique.

La chronique des destins croisés des chevaux légers de l’UMP témoigne de l’effervescence sémantique des mois d’été. « Se méfier de ses amis, pour ce qui concerne les adversaires, on verra plus tard », c’est l’adage auquel se réfèrent de nombreux politiques. Ils ont raison. Règlements de compte, plans sur la comète, ambitions émergentes, destins en jachère, rêves contrariés, rivalités d’images… suscitent une intense activité langagière de la part de politiques en quête de hauteur. La publication de l’audit financier de l’UMP a donné lieu début juillet à une cascade de révélations destinées à faire la lumière sur les comportements des compagnons d’infortune. L’audit révèle la dimension de la béance.

Les sources sont anonymes mais les informations s’avèrent croustillantes. Les uns et les autres s’accusent de se livrer à des lâchers d’informations afin de ternir l’image et la réputation des autres et des uns. Très vite, ces dévoilements de petits secrets sont décrits comme des « boule-puantes » par les intéressés eux-mêmes. Naguère, ces petites bombes portatives à fragmentations olfactives se vendaient dans les magasins de farces et attrapes. Bien des collégiens du 20ème siècle en ont fait un usage immodéré pour conjurer l’ennui des cours de mathématiques ou de physique. Les « boules-puantes » d’aujourd’hui se jettent à visage découvert et répandent une odeur de soufre qui enrobe éphémèrement le sillage des destinataires sans laisser toutefois les lanceurs à l’abri des vents contraires. Ceux qui sont alors désignés comme souffre-douleur répliquent aussitôt avec la niaque des hargneux. « Garçon, remettez ça ! C’est ma tournée ! ». C’est beau comme une finale de Roland-Garros. On reconnaît les efforts au cri venu du plus profond du mouvement de menton. Une météo de chien est la meilleure alliée d’une campagne de boules-puantes.

Clan contre clan, écurie d’un prétendant à la sélection en vue de 2017 contre écurie d’un prétendant à la sélection en vue de 2017, les animateurs de l’UMP s’en sont donnés à cœur vaillant pour assurer la permanence de la vulgarité et affirmer la visibilité de la médiocrité. Tous veulent montrer qu’ils sont au parfum. On s’est d’abord lancé à la face de mesquines révélations liées à des billets d’avion. C’était jouer petit bras mais suffisant pour l’apéritif. On en fut transporté quand même à l’annonce de 24000 euros de billets d’avion pour Nadia Copé en 2013. Un banal réflexe défensif nous informa sur le goût immodéré de Rachida Dati pour le téléphone. Cela fut attesté par l’annonce d’une facture à la hauteur 10000 €, apprît-on d’une source qui ne dit pas son nom. Les salaires des cadres dirigeants du parti se tiennent bien : le Journal du dimanche indique que l’ex-directeur général du parti aurait perçu 12500 mensuels (« brut » il est vrai), un collaborateur direct de Brice Hortefeux aurait été dédommagé pour 8500 € (« brut »). Le brut estampille la marque UMP.

On s’accuse de clan à clan. La bataille de boules-puantes s’amplifie. Haro sur l’écurie Fillon ? Jean-François Copé veut croire qu’il est toujours en odeur de sainteté. Tout à la recherche d’une réparation d’image, il met en garde contre « le spectacle de la rancœur et de la division ». Le 24 juillet Yahoo ! indique que François Fillon aurait bénéficié entre 2009 et 2010 d’une prise en charge de frais d’avion privé pour environ 300 000 €. C’est l’audit sur les comptes de l’UMP qui laisse remonter ce qui s’apparente à un grand déballage. La dette de l’UMP est annoncée autour de 74 millions d’euros. Les petits VRP en boules-puantes ont fait de bonnes affaires en juillet, un mois pourtant réputé creux. Autant de pris pour aborder le rentrée.

Décidemment l’UMP a quantitativement bien vogué sur les mots en période estivale. Michèle Alliot-Marie (24 juillet) a estimé « que certains hommes de l’UMP mériteraient une bonne fessée ». MAM qui garde les oripeaux d’une splendeur passée emprunte la figure de mère-la-vertu mais ne dit rien de sa tendance fétiche. Cuir ou latex ? Pas de quoi fouetter un chat. On aimerait toutefois en savoir plus sur le choc des idées au comité central de l’UMP. Le même jour, NKM éternellement à l’aise dans l’usage d’expressions bien senties qui lui viennent vraisemblablement des moments de grâce qu’elle ramasse dans le métro parisien dit son plaisir à apostropher Jean-François Copé en toute simplicité par la formule «  T’es une merde ». (Le Parisien, 24 juillet 2014). La boule-puante se transforme en grenade assourdissante. On attend l’entartage trop souvent réservé à Bernard-Henry Lévy. Le même Copé hésite entre deux postures : faire le gros dos d’abord, puis choisir la menace. « Il va y avoir du sang sur les murs », lâche-t-il le 28 juillet, histoire de rappeler qu’il se voit encore dans le générique du storytelling de l’UMP. Il ressort de cela que tous avaient besoin de repos et de médicaments. Avec aisance, les champions de l’UMP puisent leur inspiration dans une basse fosse. L’avenir dira si ces joyeusetés langagières d’un été pourri auront ou non de l’influence sur les destins de celles et ceux qui pourraient avoir perdu la boule. Pourrira bien qui pourrira le dernier.

A gauche, les ténors ne furent pas inactifs sans toutefois montrer le panache et l’esprit créatif  des seconds couteaux et troisièmes canifs de l’UMP. Un petit lancer de projectiles à l’odeur de rancœur à l’initiative de Martine Aubry a pu être observé. Pas contente du tout de la future carte des régions concoctée à la va-vite qui va faire de Lille un petit faubourg d’Amiens, elle s’est laissée aller à donner son sentiment. « Il n’est pas trop tard pour réussir le quinquennat », dit-elle aux journalistes le 18 juillet. C’est plus une pierre lancée dans le jardin de François Hollande qu’une boule-puante à l’efficacité tenace mais l’effet a été assuré. Les médias ont repris. Martine Aubry sait bien qu’une pierre peut faire des ricochets. Qui tente rien n’a rien. Toutes ces odeurs vaguement cultivées donnent envie de rechercher la compagnie des modestes anosmiques.

Dans le contexte de nonchalance généralisée, il a fallu attendre le 22 août pour qu’une reprise des formules plus ou moins ciselées se fasse sentir. Première à dégainer à la faveur de la promo de son livre qui monte en épingle son expérience ministérielle « au pays de la désillusion », Cécile Duflot prédit un « tsunami social ». Ce n’est pas la première fois qu’une forte vague est annoncée. La formule, assurément, ne restera pas longtemps à l’affiche. Note à destination des communicants d’EELV : pour faire choc, une formule doit être à usage unique. Google révèle de nombreuses mentions de « tsunamis ». Ce serait lasser le lecteur que de les énumérer. Une formule usagée ne produit que de vagues effets. Pas de diète langagière pour Arnaud Montebourg qui a multiplié les formules à visées flamboyantes pour marquer son territoire. Avec un air bravache qui complaît aux caméras et aux micros, Montebourg accumule les effets de manches pour signifier qu’il domine l’agitation des prétoires médiatiques. Dans son entretien au Monde (25 août), il mêle références historiques et constats désolés. Sentencieusement, il affirme que le mi-quinquennat « est toujours le moment de la revue tactique et stratégique ». Grognons, Valls et Hollande sifflent la fin de la partie. Retour à la case Frangy pour Montebourg. Il faut rendre le maroquin. Flambeur, il se dit volontaire pour « reprendre sa liberté ». La sortie à tout l’air d’une frangy-panne. Il n’y aura plus d’autres mots de l’été. La cloche de la rentrée a sonné. Nous scruterons avec attention les inventions récréatives que politiques et communicants se laisseront aller à commettre. Cela les nourrit.

Les déversements d’acrimonies et les philippiques aoûtiennes ont fait oublier que le début de l’été a dévoilé au grand jour l’existence sur la scène de la finance internationale des fonds vautour pourtant à l’œuvre depuis une dizaine d’années. Comme un rapace poursuit ses proies avec voracité, le fonds vautour Elliot Management applique à l’Argentine son acharnement à obtenir le remboursement d’une dette de 1,3 milliard de dollars. La particularité du fonds vautour est de s’entourer d’une kyrielle d’experts pour contraindre le pays d’honorer sa dette, sans conditions. Les financiers spécialistes en fonds vautour pratiquent le rachat de créances d’états ou de groupes en quête de remboursements. Selon Le Monde « l’affaire argentine afficherait un rendement de 1600% ». (mardi 29 juin 2014). Le fonds vautour est une sorte d’huissier auto-désigné qui s’en irait saisir les avoirs de personnes réputées insolvables dont la dette ne pourrait être allégée. Véritable rapace, le fonds vautour agit de son propre chef et se persuade d’être efficace contre les méthodes erratiques de gestion ou même contre la corruption.

Les vautours sont carnivores. Ils ont le bec crochu. Leurs griffes sont aiguisées. Ces attributs leur donnent mauvaise réputation. A l’UMP, les vautours planent en attendant le vent meilleur. Autour des dettes, les fonds vautour suspendent leur vol. Vautours de l’UMP et fonds vautour partagent la même délectation pour des pratiques pas très chouettes. Le gouvernement sortant de Valls était soumis aux « faucons de l’inflation » qui s’y opposent « quand elle disparaît en oubliant de combattre l’essentiel, le chômage de masse ». C’est Arnaud Montebourg qui le mentionne. « Boules-puantes », « vautours », « faucons » : la cueillette des mots de l’été 2014 est conforme à l’air du temps.


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