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Super Mario Draghi 2.0 pour les banquiers

Publié le 08 septembre 2014 par Blanchemanche

#dette #BCE

6 septembre par Eric Toussainthttp://cadtm.org/Super-Mario-Draghi-2-0-pour-les#.VArHQU6gzOU.facebookLa BCE a annoncé le jeudi 4 septembre 2014 qu’elle maintenait en les approfondissant les mesures adoptées à la réunion du 5 juin 2014. Elle fait cela dans un contexte d’échec patent des politiques qu’elle applique depuis le début de la crise |1|. L’Italie est en récession : lePIB a reculé de 0,2 % au deuxième trimestre 2014, après une baisse de 0,1 % au précédent |2|. Au Portugal qu’on disait sorti d’affaire, la quasi banqueroute de la deuxième banque du pays, Banco Espirito Santo (un véritable empire économique à l’échelle de ce pays) entraîne un coût énorme pour le Trésor public qui une nouvelle fois socialise les pertes. En Allemagne, la production industrielle n’a augmenté que de 0,3 % en juin 2014, alors qu’on annonçait une hausse de 1,2 %. Sur un an, l’activité industrielle allemande s’est contractée de 0,5 % (+ 0,3 % attendu). L’inflation, est tombée à 0,3 % en aout 2014 dans la zone euro alors que la BCE est selon ses statuts tenue de rapprocher le taux d’inflation de 2%. Dans la zone de la monnaie unique, le taux de chômage se maintient au niveau élevé de 12%. Malgré des résultats économiques mauvais, Mario Draghi reçoit les éloges des grands médias. Dans la suite de cet article sont analysées les mesures prises par la BCE depuis juin 2014. Cet article complète la série intitulée : Les États au service des banques au prétexte du « Too big to fail » (elle comprend 8 parties) qui est publiée sur www.cadtm.org.Au lendemain d’une importante réunion de la BCE, le quotidien Le Monde ne tarissait pas d’éloge à l’égard du président de l’institution financière basée à Francfort : « Mario Draghi a fait preuve, une fois de plus, jeudi 5 juin, de la maestria avec laquelle il pilote la Banque centrale européenne. Plus que jamais, l’Italien est au rendez-vous : l’homme qu’il faut à l’endroit où il faut. » |3|(voir l’encadré sur le CV de Mario Draghi) Le Financial Times et l’ensemble de la presse dominante ont abondé dans le même sens. Les marchés financiers ont réagi très positivement, les Bourses ont frémi d’aise.

Mario Draghi
Super Mario Draghi 2.0 pour les banquiersDe 1991 à 2001, Mario Draghi est directeur général du ministère du Trésor public italien, chargé des privatisations. À ce titre, il est membre du conseil d’administration de plusieurs banques et sociétés qui étaient en phase de transfert vers le secteur privé (Eni, IRI, Banca Nazionale del Lavoro-BNL et IMI). Par la suite, Mario Draghi est, de 2002 à 2005, vice-président de la branche européenne de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs. C’est à cette époque que cette banque est rémunérée par les autorités grecques afin de maquiller leurs comptes publics. Le 16 janvier 2006, Mario Draghi devient gouverneur de la Banque d’Italie, nommé par le président du Conseil Silvio Berlusconi, avec un mandat renouvelable de six ans. Mario Draghi est devenu président de laBCE le 1er novembre 2011.

Une chose est sûre : les décisions prises par la BCE ne vont pas améliorer la situation économique, elle ne vont pas permettre de générer des emplois et les conditions de vie de la population de la zone euro ne vont pas gagner en qualité. La BCE garde le même cap : soutien total aux grandes banques et au patronat contre l’écrasante majorité de la population.Quelles sont les mesures annoncées par la BCE le 4 septembre 2014 ?Fixer à 0,05% le taux payé par les banques pour emprunter à la BCELa BCE a décidé de baisser une fois de plus le taux auquel elle prête de l’argent aux banques privées. C’est le seizième changement de taux depuis octobre 2008. Le taux est passé par étape de 3,75% en octobre 2008, à 0,15% à partir du 11 juin 2014, puis à 0,05% à partir du 10 septembre 2014 |4|. C’est tout bénéfice pour les banques privées qui peuvent ensuite prêter cet argent aux Etats à des taux qui varient de 1,40% (c’est le cas de l’Allemagne fin juin 2014) à 6,00% pour la Grèce |5|… Officiellement, la baisse du taux devrait pousser les banques à prêter davantage aux entreprises (en particulier, aux PME qui représentent en Europe le plus gros employeur) et aux ménages. Mais on se rend compte que les banques préfèrent prêter aux Etats : c’est plus sûr. Acheter des titres de la dette souveraine leur permet d’atteindre plus facilement le ratio imposé par les autorités de contrôle des banques concernant le minimum de capital requis en rapport au bilan total (ou le total des actifs) |6|.Fixer à 0,20% le taux payé par les banques pour déposer de l’argent au jour le jour à la BCELa BCE a également décidé que les banques qui lui confient chaque jour de l’argent pour le mettre en sécurité devront payer un taux de 0,20%. Officiellement, cette mesure vise également à pousser les banques à prêter aux PME et aux ménages l’argent dont elles disposent plutôt que de le déposer à la BCE. En réalité, on constate que cela ne marche pas. Les prêts aux PME et aux ménages stagnent ou baissent selon les pays |7|.Pourquoi les banques déposent-elles des liquidités à la BCE ? Parce que c’est une façon de montrer aux autres banquiers et aux autres fournisseurs privés de crédit (Money Market Funds,fonds de pension, compagnies d’assurances), à leurs créanciers en général, à leurs actionnaires et aux autorités de contrôle qu’elles disposent de cash en permanence afin de faire face à l’explosion des bombes à retardement qui se trouvent dans leurs comptes. Si elles n’avaient pas ce cash disponible, les prêteurs potentiels se détourneraient d’elles ou leur imposeraient des taux très élevés. Les détenteurs d’actions les revendraient et leur cours s’écroulerait.Accorder au moins 400 milliards d’euros supplémentaires de crédits de longue durée aux banquesLa BCE a aussi annoncé qu’elle allait prêter aux banquiers privés 400 milliards d’euros à taux fixe (on peut imaginer qu’il sera très bas, proche ou égal à 0,05%). La BCE laisse entendre qu’elle octroiera ces nouveaux crédits à long terme à la condition que les banques les prêtent aux PME afin de relancer la production et de créer des emplois. Il faudra être attentif à la réalisation concrète de cette annonce, car la BCE n’a jamais jusqu’ici contraint les banques à faire quoi que ce soit avec les fonds qu’elle leur prête. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup de banques parmi celles qui ont emprunté 1 000 milliards d’euros entre décembre 2011 et janvier 2012 dans le cadre du LTRO (Long Term Refinancing Operations) pour une durée de 3 ans ont un urgent besoin de nouveaux crédits à long terme, appelés TLTRO (Targeted Long Term Refinancing Operations). Ces nouveaux crédits devraient leur permettre de faire la soudure sous peine de devoir se déclarer en faillite pour incapacité de remboursement.Pour comprendre pourquoi ce nouveau crédit est vital pour une série de banques importantes, il faut saisir ce qu’est le LTRO (voir encadré).

LTRO : qu’est-ce que c’est ?
L’opération consiste à accorder aux banques des prêts à long terme. Entre décembre 2011 et février 2012, la BCE a ainsi prêté à un peu plus de 800 banques, plus de 1 000 milliards d’euros pour une durée de 3 ans au taux d’intérêt de 1 % (à un moment où l’inflation atteignait environ 2 %). En réalité, le cadeau fait aux banques est plus important que le laisse supposer un taux d’intérêt de 1 % (pourtant déjà très avantageux). Pour deux raisons simples : 
1) Les intérêts sur la somme empruntée ne sont à verser qu’au moment du remboursement de cette somme. Donc si une banque a emprunté pour 3 ans et ne rembourse pas de manière anticipée, elle ne paie les intérêts qu’à l’issue des 3 ans. 
2) Le taux a été abaissé par la suite à plusieurs reprises pour atteindre 0,05 % à partir de septembre 2014.
Prenons une banque comme Dexia qui a emprunté plus de 20 milliards d’euros à la BCE sur une période de 3 ans au début 2012, elle ne devra rembourser les 20 milliards qu’au début 2015. À cette somme, s’ajoutera le paiement des intérêts que l’on calculera de la manière suivante : 1 % de taux d’intérêt jusqu’en juillet 2012, 0,75 % pour la période juillet 2012 à mai 2013, 0,50 % de mai 2013 à novembre 2013, 0,25 % entre novembre 2013 et juin 2014, 0,15% d’intérêt entre juin 2014 et septembre 2014 et 0,05% à partir du 10 septembre 2014 |8|. La banque ne paiera ces intérêts qu’au moment du remboursement de la somme empruntée. Que se passera-t-il à ce moment-là ? Il est évident que de nombreuses banques, comme Dexia, la principale banque italienne Intesa Sanpaolo (qui a reçu 24 milliards d’euros dans le cadre du LTRO) ou encore la banque portugaise Esperito Santo en pleine déconfiture depuis juillet 2014, ne seront en mesure de rembourser la somme empruntée que si elles procèdent à un nouvel emprunt plus ou moins équivalent à l’emprunt précédent. A qui ces banques emprunteront-elles ? A la BCE pardi, dans le cadre du TLTRO (Targeted Long Term Refinancing Operations). C’est en réalité la véritable raison d’être de ce TLTRO. Mais la BCE ne peut pas le déclarer officiellement car elle doit contribuer à faire croire que les banques vont bien, qu’elles ont assaini leurs comptes, qu’elles ne manquent pas de liquidités… Du coup, Mario Draghi annonce que le TLTRO servira à financer les PME...

La BCE met la pression sur les banques privées pour qu’elles produisent plus deproduits structurésLes banques ont réduit les crédits aux ménages et aux entreprises, en particulier aux petites et aux moyennes entreprises qui représentent la majorité des emplois. En 2013, les crédits bancaires ont diminué de 2 % dans la zone euro, les crédits aux entreprises non financières ont diminué d’environ 3,5 %. Quant aux collectivités locales, elles sont de plus en plus orientées vers les financements obligataires. Les économies périphériques dans l’Union européenne sont bien sûr les plus touchées.Ce que propose Mario Draghi aux banquiers européens pour les encourager malgré tout à augmenter leurs crédits aux PME, c’est d’accroître la production de produits structurés constitués d’un ensemble de prêts à ces PME. De quoi s’agit-il : les banques qui octroient des crédits aux PME peuvent les sortir de leur bilan en les titrisant via leur assemblage dans un produit structuré (Asset Backed Securities). La BCE propose ensuite aux banques de déposer ces produits structurés comme collatéral (= en garantie) auprès d’elle afin d’obtenir en échange du crédit à 0,05 %. Sachant que les taux exigés des PME par les banques oscillent en 2014 entre 5 % et 6 % en Espagne et en Italie, entre 3 et 4 % en France et en Allemagne, les banques pourraient faire des bénéfices tout à fait intéressants affirme Mario Draghi. Malgré cette proposition alléchante, les banques renâclent à augmenter leurs crédits aux PME et à accroître la fabrication de produits structurés tels que proposés par le président de la BCE |9|, qui en est très déçu et avance toujours la même proposition chaque fois qu’il en a l’occasion. C’était une fois de plus le cas lors de la réunion du directoire de la BCE le 5 juin 2014. Lors de la réunion du 4 septembre 2014, le directoire de la BCE a décidé de faire un pas de plus : il a annoncé un programme d’achat d’ABS sous le sigle ABSPP (Asset Backed securities purchase programme, soit en français : Programme d’achat d’ABS). Mario Draghi a déclaré à la presse à l’issue de la réunion que la BCE "va acheter un large portefeuille de titres adossés à des titres de créances (ABS)" |10|.La prolifération des produits structurés a été au centre de la crise bancaire qui a commencé en 2007-2008 et tout ce que trouve Mario Draghi comme moyen de relancer le crédit aux PME, c’est de pousser les banques européennes à en produire de nouveau !La BCE augmentera également les achats des obligations émises par les banques privées pour se financer, en particulier des covered bonds, le type d’obligation le moins sûr |11|. D’après l’agence de presse Reuters le programme de rachats de titres adossés à des actifs (ABSPP) et d’obligations bancaires irait jusqu’à 500 milliards d’euros |12|.La BCE augmentera encore les liquidités en circulationDepuis 2008-2009, la BCE n’a cessé d’augmenter les liquidités mises à la disposition des banques au point que ces liquidités inondent l’économie réelle (voir plus loin). Elle a annoncéle 5 juin 2014 un changement dans sa politique de rachat des titres souverains qui aura pour conséquence d’augmenter un peu plus les liquidités. Dans le jargon, cela s’appelle mettre fin à la stérilisation du programme de rachat des titres souverains (le Securities Markets Programsuivi à partir de fin 2012 du Outright Monetary Transactions OMT-). Jusqu’ici, quand elle rachetait aux banques des titres souverains (italiens, portugais, grecs, irlandais, espagnols…) qu’elles avaient acquis sur le marché primaire, la BCE reprenait aux banques un volume équivalent de liquidités. A partir de juin 2014, la BCE paiera aux banques les titres qu’elle leur rachète sans leur demander l’équivalent de liquidités. En faisant cela, « la BCE augmentera mécaniquement les liquidités à disposition du système bancaire » déclare Frédéric Rollin, conseiller en stratégie chez Pictet |13|. Cela représente environ 170 milliards d’euros.L’économie européenne est tombée dans le piège de la liquiditéA cause des politiques menées par les banques centrales et les gouvernements, l’économie des pays les plus industrialisés est tombée dans ce que Keynes appelait le piège de la liquidité. Alors que les banques centrales injectent des liquidités et baissent les taux d’intérêt, les banques et les grandes entreprises privées préfèrent garder ces liquidités à portée de la main, pour faire face à des coups durs liés aux bombes à retardement qu’elles détiennent dans leur bilan et aux nouvelles bulles qu’elles contribuent activement à fabriquer |14|. Les entreprises industrielles et de services considèrent que cela ne vaut pas la peine d’investir puisque la demande privée et publique est anémique. Elles s’assoient pour ainsi dire sur un énorme tas de liquidités ou les utilisent pour spéculer. Les entreprises européennes détenaient en 2012 en liquide 2 400 milliards d’euros (soit 16 fois le budget annuel de l’Union européenne !) |15|. C’est du jamais vu.Selon Keynes, pour sortir du piège de la liquidité, il faut que les gouvernements augmentent les dépenses publiques afin de relancer la demande et, du coup, l’économie : dépenses d’investissement (on pourrait évidemment investir massivement dans la transition écologique, les énergies renouvelables, les grands travaux publics utiles, les bâtiments scolaires et collectifs), dépenses pour engager du personnel dans les services publics et pour mieux les rémunérer, dépenses sociales (santé, éducation, services sociaux), dépenses pour augmenter les montants des retraites et de différentes allocations sociales… Mais de cela, les banquiers centraux et les gouvernements ne veulent pas en entendre parler parce qu’ils veulent aller plus loin dans les attaques contre les conquêtes sociales.Une offensive pour aller plus loin dans les politiques néolibéralesMario Draghi a multiplié récemment les déclarations |16| et les initiatives allant dans le sens d’une plus grande austérité budgétaire et d’un développement des mesures structurelles de précarisation des mécanismes de protection sociale et de solidarité collective : plus grande flexibilisation des contrats de travail afin de faciliter les licenciements, de réduire les salaires, d’augmenter l’intensité et la durée du travail, attaques contre les retraites...Le rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI) publié en juin 2014 va exactement dans la même direction : « La combinaison des politiques structurelles appropriées varie nécessairement d’un pays à l’autre, mais elle comprend fréquemment la déréglementation des secteurs protégés, comme les services, l’amélioration de la flexibilité du marché du travail, l’augmentation des taux d’activité et la réduction de l’hypertrophie du secteur public. Donner plus de poids à l’assainissement et aux réformes suppose d’en donner moins à une gestion expansionniste de la demande. Ce principe s’applique à la politique budgétaire. Après les premières mesures de stimulation budgétaire, on a en partie redécouvert la nécessité d’assurer la viabilité à plus long terme. Cette découverte est bienvenue : mettre de l’ordre dans ses affaires budgétaires est primordial, et il faut résister à la tentation de s’écarter de cette voie. » |17| En d’autres mots, la BRI veut que les gouvernements aillent encore plus loin dans les attaques contre les conquêtes sociales de l’après seconde guerre mondiale et dans la réduction des dépenses publiques.ConclusionsL’énorme croissance des liquidités qu’a connue l’Europe depuis 2007-2008 a servi à maintenir intacte la puissance des grandes banques privées sans pour autant sortir les économies concernées de la crise. Grâce à l’intervention de la BCE et d’autres banques centrales (et bien sûr, aux décisions des gouvernements), les grandes banques privées poursuivent leurs activités massivement spéculatives et souvent frauduleuses, voire criminelles. Elles sont soutenues par un mécanisme de transfusion permanente de ressources (crédits publics illimités à taux d’intérêts quasi nuls ou clairement négatifs). Certaines d’entre elles, et non des moindres, sont simplement maintenues en vie sous respiration artificielle (aux crédits publics illimités s’ajoutent une injection de capitaux publics afin de les recapitaliser et des garantiespubliques concernant leurs dettes). Le métier de la banque est trop sérieux pour être laissé dans les mains du secteur privé. Il est nécessaire de socialiser le secteur bancaire (ce qui implique son expropriation) et de le placer sous contrôle citoyen (des salariés des banques, des clients, des associations et des représentants des acteurs publics locaux), car il doit être soumis aux règles d’un service public |18| et les revenus que son activité génère doivent être utilisés pour le bien commun.La politique appliquée jusqu’ici par la BCE, les autres banques centrales et les gouvernements a entraîné une très forte augmentation de la dette publique en conséquence de plusieurs facteurs qui sont liés : le coût du sauvetage des banques ; le coût de la crise dont les banques centrales, les gouvernements, les banques privées et les autres grandes entreprises portent la responsabilité ; l’interdiction faites aux États d’emprunter auprès de la banque centrale ; la poursuite des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux grosses fortunes… Cela donne un caractère clairement illégitime à une partie très importante de la dette publique. En particulier,la dette publique contractée pour sauver les banques est clairement illégitime et doit être répudiée. Un audit citoyen doit déterminer les autres dettes illégitimes, illégales, odieuses, insoutenables… |19| et permettre une mobilisation telle qu’une alternative anticapitaliste crédible puisse prendre forme.Dans ce contexte, la politique de la BCE est à la fois illégitime, odieuse, insoutenable et illégale. Elle est illégitime parce qu’elle favorise une infime minorité de la population, qui de surcroît est responsable de la crise et en tire profit. Elle est illégitime parce qu’elle porte préjudice à l’écrasante majorité de la population. Cette politique de la BCE est d’autant plusillégitime que ceux qui la conçoivent sont conscients de ce qui précède. Dans le cas des pays soumis aux mémorandums imposés par la Troïka dont la BCE constitue un acteur central, cette politique est odieuse car elle viole des conventions et des traités sur les droits humains (économiques, sociaux, civils et politiques) et qu’elle est imposée par des institutions qui n’ont pas été mandatées par le peuple pour poser de tels actes. Cette politique est égalementinsoutenable |20| car elle conduit à l’appauvrissement d’une grande partie de la population, à une dégradation de la santé et de l’éducation publique, à l’augmentation du chômage… Enfin, cette politique est illégale car elle ne respecte pas les statuts de la BCE (statuts que nous réprouvons par ailleurs). Par exemple, mais ceci n’est pas exhaustif, la BCE n’a aucun mandat dans ses statuts pour intervenir dans les relations de travail. Or de manière permanente, elle cherche à dicter des modifications des lois concernant le droit du travail.Il faut revoir complètement la politique monétaire ainsi que le statut et la pratique de la BCE. La BCE et les banques centrales en général doivent pouvoir financer directement des États afin d’atteindre des objectifs sociaux et environnementaux qui garantissent la satisfaction des besoins fondamentaux des populations. Le financement direct par la BCE et les banques centrales ne suffit pas en soi, ces financements devront s’inscrire dans une dimension sociale et être au service de l’intérêt général. En effet, si les États-Unis et le Royaume-Uni financent de manière importante leur dette par leur banque centrale |21|, on ne peut pas dire que cette politique est menée dans l’intérêt de la majorité de leur population.La mobilisation citoyenne et l’auto-organisation sociale constituent la condition sine qua non à la réalisation d’un programme de sortie de crise qui soit favorable aux peuples |22|. Sans elles, il n’y aura pas de véritable issue émancipatrice à la crise actuelle.

Notes

|1| Attention, si l’échec est patent à l’aune des objectifs officiels poursuivis, il n’en va pas de même si on prend en compte l’agenda caché de la BCE et des dirigeants européens. L’objectif des dirigeants européens des pays les plus forts et des patrons des grandes entreprises, au stade actuel de la crise, n’est pas de relancer la croissance et de réduire les asymétries entre les économies fortes et les faibles au sein de l’UE. Ils se félicitent au contraire de l’existence d’une zone économique, commerciale et politique commune où ils tirent profit de la débâcle de la Périphérie et des sacrifices imposés à tous les salariés d’Europe pour renforcer la profitabilité des entreprises et marquer des points en termes de compétitivité. Pour avancer dans la plus grande offensive menée depuis la seconde guerre mondiale à l’échelle européenne contre les droits économiques et sociaux de la majorité de la population, les gouvernements et le patronat utilisent plusieurs armes : l’augmentation très importante du chômage, le remboursement de la dette publique qui a fortement augmenté, la recherche de l’équilibre budgétaire comme prétexte à des coupes sévères dans les dépenses sociales et les services publics, la quête de l’amélioration de la compétitivité des États membres de l’UE les uns par rapport aux autres ainsi que par rapport aux concurrents mondiaux. De ce point de vue là, la politique de la BCE ne constitue pas un échec. J’y reviendrai dans des articles ultérieurs. Voir également Bancocratie, chapitre 33.|2| http://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0203688232137-litalie-en-recession-pousse-les-taux-allemands-a-un-plus-bas-historique-1030888.php#gauche_article|3| Le Monde, « L’arsenal de Mario Draghi contre la déflation », 6 juin 2014,http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/06/l-arsenal-de-mario-draghi-contre-la-deflation_4433369_3232.html|4| La BCE a commencé à baisser son taux d’intérêt directeur par paliers successifs à partir de 2008. En octobre 2008 il s’élevait à 3,75%. Voir : https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux/les-taux-directeurs.html|5| Il s’agit des taux des titres souverains à 10 ans. Les taux pratiqués pour les autres pays fin juin 2014 s’élevaient à 1,75% pour la France, à 1,86% pour la Belgique, à 2,75% pour l’Espagne, 2,85% pour l’Italie, à 3,57% à la Pologne, à 3,60% au Portugal,…|6| J’ai expliqué cela dans http://cadtm.org/Les-banques-bluffent-en-toute publié le 19 juin 2013 ;http://cadtm.org/Banques-bulletin-de-sante-trafique publié le 23 juillet 2013. Voir également mon livreBancocratie, Aden, Bruxelles, chapitres 8 et 9. A commander via : http://cadtm.org/Bancocratie|7| Le 5 juin 2014, la BCE avait décidé pour la première fois de son histoire d’imposer aux banques un coût aux dépôts qu’elles réalisent auprès d’elle. La BCE avait fixé ce coût à 0,10% ou, dit autrement, elle avait décidé de rémunérer les dépôts à -0,10%, ce qui revient au même. A souligner qu’en novembre 2008, la BCE rémunérait les dépôts des banques à +2,75%. Ce taux a été progressivement baissé depuis novembre 2008 et a atteint 0% en juillet 2012. Voir : https://www.banque-france.fr/econom... Depuis 2008, ces baisses successives ont pour objectif officiel de pousser les banques à prêter leurs liquidités aux agents de l’économie réelle : PME, ménages, grandes entreprises industrielles,… Le moins que l’on puisse dire, c’est que la recette ne fonctionne pas.|8| Voir sur le site de la BCE : « In this longer-term refinancing operation, the rate at which all bids are satisfied is indexed to the average minimum bid rate in the main refinancing operations over the life of the operation », http://sdw.ecb.europa.eu/servlet/desis?node=100000133|9| En 2013, en Europe, les émissions de tous les types d’ABS pris ensemble ont fondu de 38 % par rapport à 2012 (Financial Times, 18 février 2014). En 4 ans, la chute est de plus de 80 % ! (Financial Times, 3 septembre 2013).|10| Voir La Tribune, 4 septembre 2014, http://www.latribune.fr/actualites/...|11| Dans le premier article de la série « Les États au service des banques au prétexte du « Too big to fail » », j’ai écrit : « La BCE achète également des obligations (covered bonds) émises par les banques privées pour se financer. Il s’agit d’une aide fort importante de la BCE aux banques qui rencontrent de graves problèmes pour se financer sur les marchés. Cette aide est carrément passée sous silence dans les médias. Depuis l’éclatement de la crise, la BCE a acheté pour 76 milliards d’euros de covered bonds, 22 milliards sur le marché primaire et 54 milliards sur le marché secondaire. Il faut souligner que la BCE a acheté notamment des covered bonds qui ont une mauvaise notation (BBB-), ce qui veut dire que les agences de notation n’avaient pas confiance dans la santé des banques qui les ont émis. À la date du 18 mars 2014, la BCE détenait pour 52 milliards d’euros de covered bonds des banques. C’est un montant très important si on le compare au volume des émissions de ces obligations par les banques. En 2013, il ne s’est élevé qu’à 166 milliards d’euros, en chute de 50 % par rapport à 2011 » voirhttp://cadtm.org/Les-aides-massives...|12| Idem, http://www.latribune.fr/actualites/...|13| Cité dans Le Monde du 7 juin 2014.|14| Plusieurs bulles spéculatives sont en expansion et menacent d’éclater : bulle boursière, bulle sur les matières premières, nouvelle bulle immobilière, bulle sur les obligations souveraines ou sur les obligations d’entreprise, … Voir Eric Toussaint, Bancocratie, Aden, Bruxelles, 2014, chapitre 38.|15| Financial Times, « European Corporate buybacks sink to 2009 lows », 2 novembre 2012. L’article se réfère aux calculs de Thomson Reuters. Selon The Economist, les entreprises canadiennes détenaient 300 milliards de dollars de cash en 2012, soit 25 % de plus qu’en 2008. Le phénomène concerne l’ensemble des pays les plus industrialisés : au Japon, en 2012, les entreprises conservaient sous forme liquide l’équivalent de 2 800 milliards de dollars, soit 75 % de plus qu’en 2007 ! (The Economist, « Dead money. Cash has been pilling up on companies’ balance-sheets since before the crisis », 3 novembre 2012).|16| Voir notamment Financial Times, “Draghi coaxes politicians to take lead in next batch of reforms », 11 juillet 2014.|17| BRI, 84e Rapport annuel, 1er avril 2013–31 mars 2014, Bâle, 29 juin 2014, p. 17http://www.bis.org/publ/arpdf/ar2014_1_fr.pdf|18| Le secteur bancaire devrait être entièrement public à l’exception d’un secteur coopératif de petite taille avec lequel il pourrait cohabiter et collaborer.|19| Voir CAC, Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France, mai 2014,http://www.audit-citoyen.org/wp-content/uploads/2014/05/note-dette.pdf Pour la Belgique voir : ACiDe, BRISER LE CERCLE VICIEUX DE LA DETTE ET DE L’AUSTÉRITÉ, mémorandum de l’audit citoyen de la dette en Belgique, AVRIL 2014, http://www.auditcitoyen.be/wp-content/uploads/memorandum.pdf|20| Sur le plan économique, cette politique est soutenable du point de vue de l’intérêt des capitalistes, elle est insoutenable du point de vue des droits humains.|21| Ces dernières années, la FED a racheté pour plus de 2400 milliards $ de bons du trésor des Etats-Unis (en octobre 2014, le volume de bons du trésors détenu par la Fed atteindra 2450 milliards), ce qui représente 18% du volume total des bons du trésor en circulation. Source : Natixis, EcoHebdo, 25 juillet 2014, N°29http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=78192 Attention, contrairement à une idée largement répandue, la Fed n’achète pas les bons du trésor au Trésor directement, elle les achète via des opérations d’open market aux banques privées qui les ont acquises préalablement. Voir la législation des Etats-Unis en la matière : http://www.federalreserve.gov/aboutthefed/section14.htm|22| Voir un large éventail de propositions dans : Eric Toussaint, « Europe : alternatives à la crise », avril 2014, http://cadtm.org/Europe-alternatives-a-la-criseÉric Toussaint, maître de conférence à l’université de Liège, préside le CADTM Belgique et est membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il est auteur des livres Bancocratie, Aden, 2014,http://cadtm.org/Bancocratie ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010.
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