Le volet public de la commission Charbonneau tire à sa fin.
Bientôt, les commissaires s’attaqueront à l’immense tâche de rédiger leur
rapport.
Qu’est-ce que j’ai appris de cet exercice jusqu’à présent?
Évidemment, comme la plupart de ceux qui s’intéressent au
bon fonctionnement du gouvernement, je savais que la fonction publique était
inefficace, que tout ce que le gouvernement entreprend coûte plus cher et que
tous ceux qui gravitent autour pigent allègrement dans le plat de bonbons. Mais
cela est une évidence : là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie. Les
codes d’éthique, les lois et les règlements peuvent au mieux compliquer la
tâche des ripoux, mais il y aura toujours un ripou quelque part prêt à se
laisser corrompre ou à corrompre pour quelques bénéfices personnels.
Jusqu’à présent, la commission Charbonneau a fait parader
les ripoux devant les caméras. Par média interposé nous leur avons lancé des
tomates et des œufs pourris comme cela se faisait au moyen âge.
Le maire Tremblay a rejoué l’acte de la dernière scène,
amusant, mais peu instructif. L’ex-ministre Normandeau en a profité pour se
refaire une réputation. L’ex-ministre Chevrette en a aussi profité pour faire valoir
ses talents de rhétoricien. Cela a fait le bonheur des médias et a alimenté les
discussions autour de la machine à café, mais c’est bien peu compte tenu des
dégâts.
Malgré tout, cela demeure un exercice utile qui sert à
freiner les abus des ripoux. Cela leur prendra un certain temps pour se
réorganiser. J’en veux pour preuve la réduction de 30 % des coûts des travaux à
la Ville de Montréal.
Toutefois, mon expérience dans l’entreprise privée me
convainc que l’hommerie peut être assez facilement contenue à l’intérieur de
limites acceptables. Il suffit d’appliquer quelques principes de gestion
simples, mais efficaces : tolérance zéro; la rotation des postes sensibles
à la corruption; un comité d’audit interne indépendant du management; des
employés bien au fait de l’efficacité des mesures anticorruption; des mesures
disciplinaires sévères; faire des exemples des ripoux pris la main dans le sac.
Toutes ces mesures ont leur équivalent dans la fonction
publique. Mais alors pourquoi ne sont-elles pas efficaces?
Les audiences de la commission ont démontré que la collusion
et la corruption avaient été érigées en système et était considéré un modus
operandi normal pour quiconque désirait obtenir une part du gâteau.
Ce phénomène n’est pas le résultat de quelques ripoux qui
s’entendent pour frauder la princesse. Il découle plutôt du comportement des
plus hautes instances du pouvoir qui ne s’intéressent qu’aux résultats
sans considération des moyens utilisés pour y arriver; ferment les yeux devant
les abus des uns et des autres; tolèrent les écarts de conduite des bons
soldats; récompensent (promotions, invitations, nominations, etc.) celles et
ceux qui n’hésitent pas à ignorer/contourner la loi pour livrer la
marchandise; interviennent en faveur des
plus généreux; bloquent les aspirations légitimes de ceux qui refusent de jouer
le jeu; etc.
Je demeure convaincu que sans l’accord passif des ministres
et des premiers ministres, les combines dévoilées par la commission Charbonneau
n’auraient jamais pu exister. Ce sont eux qui, par leur comportement, ont
permis que la collusion et la corruption soient érigées en système et deviennent
un modus operandi toléré, voire encouragé.
En fait, l’histoire démontre qu’il n’y a pas de solutions
définitives à ce phénomène. Les commissions d’enquête, les élections aux quatre
ans, les mécanismes de check and balance, etc. permettent de contenir les
systèmes de corruption en place. Mais petit à petit les mauvaises habitudes des
uns et des autres reprennent le dessus. Il est donc nécessaire de
périodiquement donner un coup de barre pour rappeler tout ce beau monde à
l’ordre. Ce fut le cas avec la CECO dans les années 70 et maintenant avec la
commission Charbonneau. Il faudra certainement répéter l’exercice à plus ou
moins long terme.
Pour réduire de façon permanente la corruption, il faudrait
réduire la taille de l’État dans l’économie. Plus l’État intervient dans
l’économie, plus il y aura d’occasions de collusion et de corruption. Ne dit-on
pas que l’occasion fait le larron.
Mais même en réduisant la taille du gouvernement, il en
restera toujours suffisamment pour attirer les ripoux de tout acabit. Ils ne
manquent pas d’imagination et s’ajusteront rapidement à leur nouvel environnement.
Il faudra donc continuer de faire le ménage périodiquement. Le journalisme
d’enquête a un bel avenir.