Vote de confiance étriqué pour Manuel Valls, à quelques voix d’une censure
provoquée dans son propre camp. C’est pratiquement inédit dans l’histoire récente de la République.
La descente aux enfers se poursuit pour le couple de
l’Exécutif, François Hollande et Manuel Valls. Pourtant entré populaire à Matignon, Manuel Valls ne déroge pas à la règle qui veut que lorsqu’on a le pouvoir, on suscite de nombreux mécontentements
dans une société en crise structurelle. Il aura tenu bon jusqu’à la fin de l’été avant de décrocher.
Que l’opinion publique le défie n’est donc pas nouveau pour un Premier Ministre, et heureusement, les solides
institutions de la Ve République sont parvenues à contenir ce que la précédente république aurait
créé : une véritable crise parlementaire. Or, on s’en doute, les Français ont suffisamment de difficultés économiques et sociales pour se payer le luxe d’une crise politique. Ce ne sont pas
les institutions qui sont en cause ici (au contraire, ce serait pire sans elles), ce sont les acteurs qui font défaillance.
Pourtant, malgré cette solidité, on est passé à deux doigts d’une crise parlementaire, ce qui est
véritablement inédit depuis 1962. Certes, la confiance a finalement été votée ce mardi 16 juillet 2014 une seconde fois par les parlementaires socialistes au général en chef Manuel Valls, mais le
score est loin d’être une victoire.
Pire, Manuel Valls n’a même pas obtenu la majorité absolue des députés (à savoir 289). Il n’a recueilli que
268 voix favorables à l’issue de son second discours de politique générale d’environ trois quarts d’heure. Contre 244 voix qui se sont prononcées défavorablement. Alors qu’il n’y a eu quasiment
pas de changement dans le casting ministériel (à trois exceptions près) et absolument aucune modification dans l’absence de ligne politique (j’y reviens), c’est 38 voix qui manquent par rapport
aux 306 voix favorables lors du premier discours de politique générale le 8 avril 2014.
Les "frondeurs"
Le détail des votes de mardi est intéressant à analyser.
54 députés se sont abstenus, dont 32 députés PS (on se demande pourquoi ils sont encore dans la majorité), 17
députés écologistes (qui doivent leur siège uniquement au PS), 3 députés PRG et 2 députés FG.
Parmi les 244 députés qui ont voté contre le gouvernement, la totalité des députés UMP et UDI, ainsi que les
députés FN, 1 député PRG, 1 députée EELV et 11 députés FG.
Seuls ont soutenu Manuel Valls 252 députés PS, 13 députés PRG et 2 députés FG.
Comme on peut le voir, le PRG et le FG se sont émiettés dans les différentes options (pour, contre,
abstention) même si le premier reste majoritairement dans la majorité et le second majoritairement dans l’opposition. Ces deux petites formations devront réfléchir sur la cohérence de leurs élus
nationaux lors d’un vote pourtant très politique.
Les 54 députés PS, EELV et PRG qui ont voté contre (2) ou qui se sont abstenus (52) ont été particulièrement
ingrats vis-à-vis de leur appareil politique car il est probable que la plupart d’entre eux n’auraient jamais été élus sans l’appui électoral et surtout financier du PS et pour certains, sans
l’élection de François Hollande. Au lieu de gratitude et de responsabilité, ces députés jouent plutôt la scène des rats qui quittent le navire, avant les femmes et les enfants.
Bien sûr, ce qui a retenu à juste titre l’attention, ce sont les 32 députés PS appelés "frondeurs". Un bon
moyen, pour certains jeunes élus, d’augmenter leur notoriété, ou, pour d’autres, de montrer la réticence de celle qui, absente de l’Assemblée Nationale, reste dans tous les esprits, Martine Aubry. En effet, l’ancien ministre François Lamy, redevenu simple député de Palaiseau, qui avait été
remercié par son camarade de l’Essonne ancien élu d’Évry, a refusé de voter favorablement, alors qu’il
est le plus proche collaborateur de Martine Aubry (et qu’il a perdu le contrôle de la communauté d’agglomération du Plateau de Saclay en mars dernier).
L’un des députés hollandistes les plus fidèles (pas frondeur, donc) Olivier Faure expliquait sur LCP quelques
heures avant le vote de confiance que beaucoup de ses camarades parlementaires n’étaient pas contre le (supposé) choc des réformes (j’y reviens !) mais remarquaient que Gerhardt Schröder
l’avait également décidé, ce qui a installé Angela Merkel pour une dizaine d’années au pouvoir. Ainsi, ces frondeurs ne voudraient pas réinstaller
l’UMP pour une dizaine d’années, recueillant les bénéfices des réformes très impopulaires d’un gouvernement socialiste. Je ne sais pas si Olivier Faure a traduit la réalité des états d’âme de ses
camarades réticents, mais il est clair que cela dénote, d’une manière ou d’une autre, leur grande attention portée …à l’intérêt national.
Rien de neuf
Mais revenons au fond du vote de confiance. Pourquoi Manuel Valls s’est-il cru obligé de prononcer un nouveau
discours de politique générale alors qu’il n’y a eu aucune annonce nouvelle, à part quelques euros supplémentaires par an pour les pensions de retraite ?
Car le sujet est bien là : aucune réforme efficace n’a été annoncée. Ni n’est mise en œuvre.
L’immobilisme est toujours en marche. Le pacte de responsabilité est toujours une expression concrètement vide de sens, après huit mois d’utilisation sémantique ! Pire, la situation de
l’emploi, de l’investissement et de la croissance ne cesse d’empirer ces derniers mois. La France et l’Italie (du pourtant si populaire Matteo
Renzi) plombent le redémarrage de la croissance économique de l’Union Européenne.
Rien n’a été véritablement dit sur l’Europe (après pourtant des résultats désastreux aux européennes), si ce n’est pointer du doigt l’Allemagne pour qu’elle fasse le "boulot" de la France. Pourtant, les enjeux européens sont importants, surtout au démarrage d’une nouvelle séquence de cinq ans. Non, toute l’attention est focalisé sur quelques députés franco-français
frondeurs. Délices et caprices de la République.
Dissonance entre les actes et le verbe
L’une des raisons, c’est l’illisibilité de la politique gouvernementale.
Manuel Valls a par exemple exprimé sa reconnaissance aux entreprises françaises qui sont les seules
pourvoyeuses d’emplois et de richesse. C’est un discours intelligent, nouveau à gauche qui a même été applaudi à l’UMP, comme l’ancien Président de l’Assemblée Nationale Bernard Accoyer.
Mais au-delà de ces propos raisonnables, aucune mesure réellement concrète n’est mise en place pour aider les
entreprises. L’usine à gaz du CICE ne paraît pas en état de marche. Même les soutiens les plus enthousiastes du gouvernement s’emmêlent la langue avec les pactes de ci et de ça.
Pire. Le pouvoir n’avait cessé de dire, depuis deux ans et demi, qu’il respecterait la limitation du déficit
public à 3% du PIB. Et pourtant, le Ministre des Finances Michel Sapin (qui était déjà à Bercy il y a vingt-deux ans !) a affirmé le 10
septembre 2014 que le déficit public serait de 4,4% pour 2014 et qu’il ne descendrait pas en dessous de 3% avant 2017 (au lieu de 2015 comme promis). Dire que ces mêmes responsables soutenaient
que les 3% seraient atteints …dès 2013 ! (un peu comme l’inversion de la courbe du chômage).
Manuel Valls lui-même n’a cessé, durant son discours, à vouloir (inutilement) rassurer son aile gauche en
rappelant qu’il ne voulait pas casser les services publics sans pour autant expliquer comment il comptait agir pour réduire de 50 milliards d’euros les dépenses publiques (la seule annonce qu’il
a faite ayant fait accroître les dépenses publiques de 250 millions d’euros).
L’illisibilité de la politique gouvernementale se mesure aussi avec l’impréparation absolue de la réforme territoriale qui va lui plomber les élections sénatoriales
du 28 septembre 2014, ainsi que de l’inconstance chronique pour fixer la date des élections. Selon les dernières déclarations, les élections cantonales (devenues départementales) prévues pour
mars 2014, qui avaient été repoussées en 2013 à mars 2015, puis, repoussées en avril 2014 à décembre 2015, auraient finalement lieu en mars 2015… et cette annonce se fait précisément six mois
avant leur organisation. C’est se moquer des élus locaux.
L’Exécutif, en fait, est victime de sa propre "schizophrénie". Changer de politique sans changer de
gouvernement en janvier 2014. Puis changer de gouvernement sans changer de politique en mars 2014. Puis changer de gouvernement pour un oui ou un non. Plus Manuel Valls martèle qu’il veut rester
coûte que coûte à Matignon, envers et contre tout (« Gouverner, c’est résister ! »), plus est probable un plan C (Valls étant le
plan B) avant la fin du quinquennat : Martine Aubry ?
Pourquoi s’enfermer dans un Parti socialiste anachronique ?
Manuel Valls est pourtant de bonne volonté. Il a compris qu’il fallait réformer le pays, qu’il fallait faire
évoluer pour adapter la France à la globalisation des échanges commerciaux. Mais il n’a clairement construit aucune majorité pour le soutenir. C’était d’ailleurs l’argument qui avait fait
renoncer Jacques Delors le 11 décembre 1994 à se présenter à l’élection présidentielle.
L’erreur politique de Manuel Valls, c’est de vouloir coller à son aile gauche alors qu’il devrait
définitivement s’en détacher. Pour quémander le vote auprès des "frondeurs", Manuel Valls s’est même permis de dénaturer les idées de l’opposition en les caricaturant à l’extrême alors que sa
responsabilité aurait dû faire comme Gerhardt Schröder, à savoir proposer à l’UMP et à l’UDI un contrat de réformes à réaliser ensemble dans l’intérêt du pays, mais à condition que ceux-ci
puissent prendre part à leur élaboration et ne soient pas seulement mis sur le fait accompli avec un pistolet sur la tempe, comme c’est le cas aujourd’hui.
Un ratage historique
En clair, Manuel Valls a tout faux. Il avait la possibilité historique de réconcilier les Français en leur
proposant en toute franchise un plan courageux de réformes économiques et sociales pour redynamiser l’économie française, et finalement, il fait comme François Hollande, rejetant les seuls
soutiens qu’il pourrait avoir, au centre et centre droit, tout en restant rejeté par une aile gauche du PS qui, pour des raisons claniques, n’a aucune raison de revenir dans son giron.
La suite est connue. Manuel Valls suivra la popularité de François Hollande. Les deux têtes de l’Exécutif
susciteront une telle méfiance qu’aucune réforme ne pourrait passer sereinement et qu’aucune confiance économique ne pourrait être amorcée pour déclencher un redressement.
Il n’y a pas de courage quand on est seul : l’essentiel, c’est de mobiliser l’ensemble de la communauté
nationale pour avancer collectivement vers l’intérêt général. On en est loin.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (17 septembre
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La confiance Valls, volet 1 (8 avril 2014).
François Hollande, la trace.
Les relations entre l’Élysée et Matignon.
Nomination de Manuel Valls à Matignon (31 mars 2014).
Valls sera-t-il Premier Ministre ? (15 mars 2014).