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Boulevard du crépuscule

Publié le 24 septembre 2014 par Dukefleed
Boulevard du crépusculeUne leçon de cinéma à l'attention d'Hollywood
Premier plan, un jeune homme mort dans une piscine prend la parole via une voix off posée. Ce jeune scénariste ambitieux mais au talent limité va nous proposer de revenir six mois au par avant pour nous conter les événements qui l’ont précipités dans cette piscine trois balles dans le corps. La structure narrative est déjà révolutionnaire et très audacieuse ; les dialogues entre les trois protagonistes principaux ainsi que les monologues sur un ton monocorde de la voix off contribuent largement au chef d’œuvre. Cette trame narrative est frappée du sceau du destin qui mène irrémédiablement Joe Gillis vers sa mort. Derrière ce film noir, pépite de l’âge d’or hollywoodien, le grandissime Billy Wilder en profite pour dresser un tableau mortifère et prémonitoire de l’industrie cinématographique américaine et de ses acteurs. En effet, 6 mois auparavant, Joe Gillis, criblé de dettes et poursuivi par des créanciers, trouve refuge dans une énorme demeure délabrée qui paraît être à l’abandon. Mais que nenni, cette vaste villa est habitée par une ancienne gloire du cinéma muet tombé dans l’oubli ainsi que son majordome. Norma (l’actrice) est à l’image de son logement, un champ de ruine vivant mal sa décrépitude. Elle trouve en ce jeune scénariste l’opportunité de revenir sur le devant de la scène, elle qui crache sur le cinéma parlant. Au travers de cette vieille gloire, Wilder dresse un tableau sans concession, féroce et réaliste d’Hollywood, de ses stars déclinantes et à demi folles, de ces scénaristes aux dents longues, de l’orgueil de ce milieu, de son inconséquence et de son ingratitude. Et là où Wilder prouve à nouveau son intelligence, c’est qu’il convoque des anciennes stars du muet pour jouer les rôles de ces stars vacillantes. Gloria Swanson (Norma dans le film) était une égérie du muet oublié à l’ère du parlant. Celui qui joue son majordome, ex mari et ex réalisateur ; Erich Von Stroheim l’a réellement dirigé en 1928 dans « Queen Kelly », lui aussi n’a plus trouvé grâce aux yeux du parlant. Quand Norma va voir Cecil B. De Mille (connu injustement plus pour ses grosses productions type « 10 commandements »… que pour sa production muette) en lui quémandant un rôle ; elle rencontre réellement quelqu’un qui l’a faite tournée à l’époque et qui parvient à poursuivre une carrière dans le parlant. Tous ces clins d’œil ne participent pas au récit mais brouille les cartes entre réalité et fiction ; Buster Keaton fait même une pige lors de la partie de bridge.Ce n’est donc pas qu’un polar, ni qu’un film historique sur le passage du muet au parlant et ni non plus uniquement le portrait d’une star déchue ; c’est aussi une réflexion sur le travail insidieux des rêves étourdissants de grandeur sur des êtres ayant connu la gloire et devenus mégalomanes… Norma a une image d’elle-même qu’elle auto entretient qui l’enferme dans un mirage et qui est aux antipodes de la réalité. Et puis, il y a aussi le traitement de cette relation à trois (Norma, Joe et le majordome) dans un huis clos empli de faux semblants et particulièrement sordide. Joe devenant son amant et son jouet (comme le singe mort du début), il est aussi un danger envers cette cathédrale d’illusions qu’elle s’est construite. Les trois protagonistes sont piégés par leurs mensonges, mortels. Et ce jeu de dupes, tout le monde y joue : Cecil B. De Mille par pitié, Joe par intérêt, Max par amour. Et pour encore renforcée le trait d’une Norma déconnecté de la modernité du cinéma actuel dans lequel elle n’a plus sa place ; Willy Wilder oppose le jeu moderne tout en sobriété de William Holden (Joe) à celui emphatique et démesuré des acteurs du muet (mimiques démesurés, exagération des gestes, grandiloquence des expressions du visage) de Gloria Swanson (Norma).Et la scène finale est une véritable leçon de cinéma qui prendrait aussi une critique seule pour prendre bien le soin de l’étudier. Elle démontre surtout toutes la maestria des dialogues, de la mise en scène et des éclairages de Wilder.Un chef d’œuvre du cinéma… un incontournable.
Sorti en 1950

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