Tous les trois ans, le Grand Prix de Poésie Pierrette Micheloud est décerné. Il récompense "l’ensemble d’une œuvre poétique particulièrement remarquable d’un(e) poète d’expression française, quelle que soit sa nationalité".
En 2008, ce prix a été attribué à René de Obaldia, en 2011 à Yves Bonnefoy et cette année à Marc Alyn. La cérémonie de remise de ce prix prestigieux, richement doté (c'est dire toute l'importance que la Fondation Pierrette Micheloud veut donner à la poésie), a eu lieu ce soir au Café-Théâtre Le Bourg à Lausanne.
Trois dates sont à marquer d'une pierre blanche dans la longue existence du lauréat (il a septante-sept ans):
- en 1957, à vingt ans, il reçoit le Prix Max-Jacob (à dix-sept ans il avait créé une revue de poésie, Terre de feu) et, la même année, est mobilisé en Algérie, qui sera une parenthèse involontaire dans sa vie littéraire;
- en 1964, il s'éloigne de la vie littéraire parisienne à Uzès, dans le Gard, où, n'étant "que poète", il est inspiré par la nuit méditerranéenne, à nulle autre pareille, mais doit trouver de quoi vivre en participant, par exemple, à la rédaction d'un dictionnaire, ce qui ne l'empêche pas de continuer à s'occuper de poésie et de poètes, et de créer, deux ans plus tard, la collection Poésie / Flammarion;
- en 1972, il part au Proche-Orient, plus précisément à Byblos au Liban, pour "découvrir l'envers du décor", l'objet de sa quête d'absolu, et pour aller sur les traces de ceux qui n'en ont pas laissé dans les bibliothèques, mais qui ont écrit les premiers mots du monde avec le premier alphabet, et... il y rencontre une poète, Nohad Salameh, qui deviendra sa femme.
Le jury, qui a décerné le prix à Marc Alyn, est composé de Jean-Pierre Vallotton (président), de Catherine Seylaz-Dubuis, de Jean-Dominique Humbert et de mon ami Ferenc Rakoczy.
Dans sa présentation de Marc Alyn, Jean-Pierre Vallotton souligne, exemples à l'appui, tirés des nombreux recueils de l'auteur, les grands thèmes de la poésie de ce dernier. Il y est question de la solitude et de la solidarité du poète, de dieu au singulier et au pluriel, des visages différents que prend le poète (qui peut être double et même multiple), d'hymne à la vie et d'inquiétude à l'égard de la mort, et, bien sûr, d'amour...
Le dialogue, qui s'instaure entre Marc Alyn et Jean-Pierre Vallotton et qui relate donc la vie de poète du premier, est ponctué d'intermèdes musicaux et de lectures de poèmes.
Stéphane Chapuis au bandonéon et Lisa Biard à l'accordéon interprètent des morceaux d'Astor Piazzola, qui font rêver d'horizons argentins, que l'on garde les yeux ouverts ou qu'on les ferme...
Laurence Morisot lit des poèmes en variant les registres, de la déclamation claire et nette, aux mots détachés, jusques aux chuchotements. Et on se laisse bercer par la musique des mots dits par cette voix féminine, en oubliant par moments d'en retenir le sens.
L'un de ces poèmes, cependant, on s'en souvient, énumère les noms d'animaux auxquels le poète s'identifie et se termine en se demandant qui il est finalement...
Un autre, extrait du Tireur isolé, renverse la question métaphysique:
"L'homme existe-t-il? s'interrogeait Dieu,
hésitant à parier sur ce mauvais fantôme."
La comédienne cède alors la place au poète qui, avec ce qui lui reste de voix charnelle, fait parler sa voix intérieure. Le timbre de cette voix, qu'interrompt un souffle à chaque phrase, est resté grave et il émeut. Car cette voix vibre à l'unisson de l'âme.
Olivier Engler, qui est président du Conseil de Fondation, a la tâche de remettre le prix au lauréat. Il se présente comme le seul non-littéraire de la compagnie...
Il rappelle que Pierrette Micheloud était non seulement poète, mais peintre. Et que 2015 sera non seulement le centenaire de la naissance de Pierrette Micheloud, mais également le bicentenaire de l'entrée du Valais dans la Confédération.
Comme la poète était originaire de Vex, dans le Val d'Hérens, la Fondation célébrera comme il se doit ces deux anniversaires, en conjuguant ses efforts à ceux de la Médiathèque du Valais. Comme la poète a sillonné les vallées valaisannes pendant des années à biclyclette, un bus de la Fondation les sillonnera tout au long de l'année 2015...
Dans un entretien avec Marc Alyn, mon amie Anne-Sylvie Sprenger lui a posé cette question:
"Qu'avez-vous envie de dire à tous ceux que cette forme d'art [la poésie] effraie?"
Marc Alyn lui a répondu, avec humour:
"Aide-toi, le ciel cédera."
Olivier Engler cite cette réponse dans son discours de remise du prix. Car, tout non-littéraire qu'il est, il aime les bons mots...
Pour ma part, bien que ne dédaignant pas l'humour, bien au contraire, et appréciant celui du récipiendaire, je citerai plus volontiers de lui, parce qu'il me parle aujourd'hui, ce court extrait du Livre des amants, dédié à sa femme Nohad (écrit et imprimé à Beyrouth en proie aux bombardements):
"D'autres oiseaux viendront se poser
où nous fûmes quand l'ombre roulera
notre absence en ses plis.
En attendant, je veux replonger dans l'écume
Du bref amour humain où je bois l'infini."
Francis Richard