En regardant par la fenêtre de ma chambre d'hôtel ce matin, je ne peux que constater que les prévisions météo n'avaient pas tord: il fait très mauvais. Des trombes d'eau semblent s'abattre sur la chaussée. Mais tant pis, je m'en vais un peu plus tard, les affronter, avec le soutien de mon sac presque étanche et de ma petite veste de pluie. Piéton solitaire dans une journée où l'on a pas idée d'aller se promener, encore moins pour aller arpenter plus de 50 kilomètres de bitume et de sentiers.
C'est un de ces jours où il tombe tant d'eau, d'un ciel entre noirs et gris, que l'on rêve idéalement de le passer au fond d'un fauteuil confortable, bien au chaud dans une maison, à lire un livre et à regarder entre deux chapitres l'eau qui gifle les pauvres passants et dégouline sur les vitres. Un jour où lorsque l'on est au bureau, on regrette moins de ne pas être en vacances. Mais je suis loin du confort douillet d'un bon fauteuil et d'un bon roman, et je ne suis pas au bureau. Disons que le mien, aujourd'hui, est comme souvent dehors et que les conditions de travail ne sont pas optimales.
Mais je suis loin de me plaindre. Si j'en ai vécu quelques unes, de ces journées à recevoir, seul sur les chemins, l'eau du ciel sur la tête, c'est de mon plein gré, et même, par ma volonté. Même si bien sûr, dans de telles conditions, surtout quand comme ce matin le parcours n'est objectivement pas spécialement beau, entre petites localités et routes, de campagne en zone artisanale, il m'arrive de me demander pourquoi je fais tout ça. Un jour, peut être, comme Forrest Gump, je marreterai et dirai juste : "Je suis vraiment fatigué, je vais rentrer chez moi, maintenant.". Mais ce jour n'est pas arrivé. Je suis content quand même de marcher là, à braver le temps et la route, et si je rentre ce ne sera que pour repartir bientôt.
Je ne sais pas si ma vie prendra un tour plus sédentaire. Peut être reviendrai je vers une existence plus stable, à la recherche d'un confort matériel minimum et d'une moindre incertitude financière. Peut être arriverai je à élever mes voyages à pied au niveau d'un art ou d'un succès "commercial" qui me garantisse cette tranquillité. Peut être aussi parviendrai je à me détacher au maximum de ces contingences. Une circonstance, une rencontre, le décidera peut être aussi pour moi.
Pour l'heure, je suis heureux de marcher là, à présent à travers une forêt d'eucalyptus bien alignées. A me construire ainsi, à ma manière de beaux souvenirs.
Une forêt qui doit être exploitée: les arbres sont jeunes et plantés avec ordre. L'eucalyptus est une bonne matière première pour le papier. J'en ai la confirmation peu après: un camion débite des troncs et barre le chemin. Je fais un petit détour par le bois. Plus tard, ce sont d'énormes flaques qui mobligeront à faire la même manoeuvre.
L'après midi, le temps se calme. Mais l'étape est longue. Je fatigue un peu. Comme j'ai décidé de poursuivre jusqu'à Oliveira , où se trouve un hébergement, je dois faire 22 kilomètres encore. L'étape dépassera donc les 50, et avec de bonnes montées.
Je vais de villages en hameaux, de villes en bourgs. Le parcours passe par un joli village ancien, malheureusement pas en très bon état. Ce n'est pas désagréable, mais j'ai connu des étapes plus belles pour les yeux.
J'arrive, après avoir grimpé encore pas mal de pentes bien franches, à Oliveira. Là, le 'residential" que mon guide signalait déjà comme "désuet" est fermé. Il y a un autre hôtel, tout proche mais c'est un quatre étoiles bien luxueux à la façade de palace. Le genre d'établissement qui ne m'impressionne pas quand je suis en voyage de presse mais qui intimide davantage quand on doit payer. Je suis cependant trop fatigué pour hésiter longtemps.
Au Portugal, les prix restent abordables même pour ce standing: on me propose une chambre à 45 euros, parce que je suis pèlerin. De quoi apprécier son confort douillet après une journée un peu rude!