(Crédit photo : pierre-emmanuel rastoin pour « terra eco ») Dossier - Permis à 18 ans, première bagnole à 25, puis on change tous les dix ans ? Jadis incontournable, ce parcours fait place à un itinéraire bis. Aujourd’hui, on cherche à être mobile, plus une berline à soi ! Ceci est l’histoire d’un désamour. Rampant, inattendu, peut-être inexorable : celui du Français pour sa voiture personnelle. Certes, le divorce n’est pas encore acté. Les Français continuent de se presser au Salon de l’auto et de rêver de fringantes berlines. Sept millions de voitures neuves ou d’occasion ont été vendues en 2013, et quatre habitants sur cinq les jugent indispensables. Mais les indices qui prouvent que le couple se fissure s’accumulent année après année.
Près d’un tiers de permis en moins
On délivre aujourd’hui 30 % de permis de conduire en moins que dans les années 1980. Le parc automobile français stagne, tandis que le nombre de kilomètres parcourus par chaque voiture diminue depuis quinze ans et que l’achat d’un véhicule neuf est l’apanage de la génération des plus de 50 ans. Les adultes jusqu’à 29 ans – qui faisaient autrefois flamber le marché – plébiscitent le covoiturage et sont désormais plus de 40 % à ne pas disposer de voiture du tout. Bref, de plus en plus de Français enterrent l’idée que la panacée est d’avoir une voiture à soi. Effet de la crise ? En partie, répond Laurent Fouillé, sociologue et auteur d’une thèse sur l’évolution des rapports des Français à leur voiture. « Avec la baisse du pouvoir d’achat et la hausse du chômage, notamment chez les jeunes, cela fait moins d’argent disponible, mais aussi moins de déplacements contraints. »Jeunesse à rallonge
Mais d’autres évolutions sociétales accentuent cet effet : « Aujourd’hui, la jeunesse dure plus longtemps », explique le chercheur. Etudes, boulot, famille, les jeunes Français sont décalés dans de nombreux domaines par rapport à leurs parents. Pour leurs déplacements, ils profitent des gros investissements dans les transports collectifs des vingt dernières années et de l’essor des nouveaux modes de transport, tels que le covoiturage – dont l’âge moyen des adeptes grimpe aujourd’hui à 33 ans (1) – ou l’autopartage. Beaucoup jugent donc rationnel de trouver des alternatives à la voiture personnelle, qui revient à 558 euros par mois en moyenne (2) et ne roule que onze jours par an. Mais ce n’est pas tout. Avec cet environnement en mutation, la mobilité tout entière est désormais vue d’un autre œil, constate George Amar, prospectiviste et chercheur associé à l’Ecole des mines ParisTech : « Le covoiturage était considéré à l’origine comme commode et économique. Maintenant, c’est en plus socialement valorisé. Dans la mobilité, la vitesse n’est plus la valeur unique, le lien social compte aussi », analyse-t-il. Selon lui, « on va passer du paradigme “ un propriétaire, un conducteur, un véhicule ” à l’“ automobilité ”, un système où il n’y a plus vraiment de différence entre transports individuel et collectif, mais des formes de transports publics individuels, comme le Vélib ou le covoiturage. L’avenir de la voiture est de devenir un transport collectif individuel. » Pour Bruno Marzloff, spécialiste de la mobilité, « en ville, on a besoin du service de la voiture, pas de l’objet ».De quoi déclencher les alarmes des constructeurs ? Oui, car ils sont obligés de revoir leur métier et de ne plus se positionner seulement comme des vendeurs de véhicules moins polluants et plus intelligents, mais aussi comme des fournisseurs de mobilité. Non, car si les Français sont critiques envers la voiture, ils ne la rejettent pas. Selon un sondage datant de la fin de l’année 2013, la moitié des sondés l’aime pour la liberté et le gain de temps qu’elle procure, et les trois quarts pensent qu’elle aura dans dix ans une place aussi importante dans la société qu’aujourd’hui. La voiture est loin d’être morte. Mais la façon dont on s’en sert depuis des décennies est en sursis. —
(1) Selon des chiffres de Blablacar, consultables ici
(2) Chiffre de l’Automobile club