Les noms prédestinés se retournent parfois contre les malheureux qui en sont affublés. Témoin l'étonnante destinée du célèbre explorateur anglais, James Cook. Pour apprécier tout le sel de cette histoire, qui justifie son classement dans la rubrique "C'est trop con", il me faut vous conter par le menu l'histoire passionnante et véridique de ce navigateur, explorateur et cartographe.
Fils d'un valet de ferme d'origine écossaise, James Cook est né le 27
octobre 1728 à Marton, petite paroisse isolée devenue quartier de la
banlieue de Middlesborough. L'employeur de son père remarque vite sa
vivacité d'esprit et sa curiosité et lui paie des études. A 16 ans, le
petit James est placé comme apprenti dans une épicerie du village. Au
bout d'un an et demi, ébloui par la sagacité de son arpète, mais peu
convaincu par ses qualités de commerçant, le patron le recommande
auprès des transporteurs de charbon de Whitby, petit port de pêche du
Yorkshire. Sur les lourds vaisseaux de son boute-en-train de patron, le
quaker John Walker, il sillonne la mer du Nord et la Baltique, rude
école qui le préparera à affronter sans crainte toutes les mers et tous
les temps du globe.
Pendant les mois où les bateaux ne peuvent
naviguer, il étudie aussi l'algèbre, la trigonométrie et l'astronomie.
On finit par lui proposer le commandement d'un bateau, le Friendship.
Après réflexion, Cook choisit de s'engager dans la Marine Royale, plus
propre à satisfaire ses vastes ambitions. Ce qui l'oblige à repartir
tout en bas de l'échelle. C'est donc comme simple matelot qu'il
embarque du navire de Sa Gracieuse Majesté, le Eagle. Grand, portant
beau et doté d'une indéniable aptitude à commander la chiourme, il
monte rapidement en grade et réussit l'examen lui permettant de
commander un navire de la Royale.
La Guerre de Sept ans (1756-1763) le
voit participer aux sièges victorieux de Louisbourg et de Québec. Ses
qualités de militaire ne sont pas passées à la postérité. Mais c'est là
qu'il révèle sa vraie passion : la découverte des terres vierges, qu'il
résumera par la formule «Plus loin qu'aucun homme avant moi, aussi loin
qu'un homme puisse aller ». Pendant que Français et Anglais se
disputent à coups de canon la possession de « quelques arpents de neige
» (c'est ainsi que Voltaire nomme le Canada...), Cook met un soin
minutieux à s'acquitter de ses missions : cartographier l'embouchure du
Saint-Laurent et rechercher -en vain- le mythique passage du Nord
Ouest, entre l'Atlantique et le Pacifique.
En 1776, il observe une
éclipse et envoie aussitôt un rapport à la Royal Society de Londres. Un
instant surprise (qui est ce Cook qui se mêle d'astronomie ?), la
société lui confie finalement, en 1768, le commandement de l'expédition
scientifique vers le Pacifique qu'elle prépare en secret depuis de long
mois. Flanqué d'une palanquée de scientifiques sous la houlette de
Joseph Banks, il lui est demandé d'aller observer le “transit de
Vénus”. Ce n'est pas ce que vous croyez, mais le joli nom donné au
passage de la planète exactement entre la Terre et le Soleil, occultant
une toute petite partie du disque solaire. Ce phénomène astronomique
prévisible se produit suivant une séquence de paires espacées de 8 ans,
suivis de longs intervalles de 121,5 et 105,5 ans. Réservez votre
pliant et vos lunettes teintées : le prochain transit aura lieu dans
quatre ans, le 6 juin 2012...
A bord du trois-mâts l'Endeavour, muni de simples sextants et d'un
almanach nautique hors d'âge, et sans chronomètre comme le dernier des
marins d'eau douce, il observe comme convenu Vénus à Tahiti grâce à un
petit observatoire portatif. Puis il ouvre les scellés posés sur les
vraies instructions de son voyage. Car évidemment, l'observation
astronomique, la présence des savants et le recours à un petit navire
marchand, c'est du flan. Le véritable but de la mission est de
découvrir la Terre Australe, dont on soupçonne l'existence, et d'y
faire flotter l'Union Jack avant ses concurrents européens. Et
notamment ces maudits Français qui s'ingénient à avoir la même idée.
A
Tahiti, il embarque un remarquable marin polynésien, Tupaia, dont les
talents seront précieux aussi bien pour la navigation que pour les
contacts avec les populations locales. Il atteint la Nouvelle-Zélande,
traverse la mer de Tasmanie et aborde ce qui ne s'appelle pas encore
l'Australie, notamment Botany Bay, nommé ainsi en l'honneur des
botanistes de la mission. Il galère un temps à racler le fond de son
bateau sur les hauts-fonds de la barrière de corail, au risque de le
couler définitivement loin de tout chantier naval. Après un bref arrêt
à Djakarta, où calenche le malheureux Tupaia, du scorbut et du
paludisme, Cook retourne en Angleterre. Les Anglais s'extasient alors
devant les 30 morts de l'expédition. En effet, ce chiffre est très
faible, eu égard aux consternantes statistiques marines de l'époque. Et
surtout, à l'exception de Tupaia, les marins décédés ont succombé de
malaria et de dysenterie, et non du scorbut, maladie traditionnelle des
navigateurs carencés en vitamine C. C'est déjà une consolation. Cook a
justifié son nom en imposant à l'équipage un régime aussi varié que
surprenant, à base de cresson, de choux et d'extrait d'orange. Il y a
ajouté le nettoyage et la ventilation du navire, pour dissiper les
effluves nauséabonds et les moustiques de l'infect marais nautique qui
stagne à fond de cale.
On lui confie sans hésiter la deuxième mission.
Malgré les gros doutes de Cook, les scientifiques s'entêtent en effet à
découvrir la fantomatique "Terra Australis". Le 11 juillet 1772, deux
bateaux, Le Resolution et l'Adventure quittent Plymouth. Et Cook a
cette fois un vrai chronomètre, pour calculer précisément la longitude.
Ça peut aider, en effet. En décembre, près de l'Antarctique, les deux
bateaux se perdent de vue dans le brouillard. Avant de se retrouver
quelques mois plus tard, l'Adventure aborde en Nouvelle-Zélande et se
frite avec les Maoris. Cook, quant à lui, enchaîne la
Nouvelle-calédonie, les îles Tonga, l'île de Pâques, le Vanuatu. Il
confirme que le fameux continent n'existe pas, hormis sous la forme des
terres émergées qu'il a recensées auparavant et des glaces de
l'Antarctique. Son retour en Angleterre est triomphal et sa poitrine
désormais constellée de breloques extravagantes. Et il a ramené dans
ses bagages un autre polynésien, Omai, véritable attraction dans la
bonne société londonienne.
Pour son troisième et dernier voyage, cette
fois à son initiative, Cook a monté une expédition avec deux bateaux,
le Resolution et le Discovery . Officiellement, il s'agit de ramener
Omai chez lui. En réalité, Cook veut surtout s'attaquer au passage du
Nord Ouest. Cette manie du secret devient une habitude. En route donc
pour les Kerguelen, atteintes à Noël 1776, puis la Nouvelle-Zélande où
Omai retrouve les siens. Cook débarque ensuite aux Iles Sandwich (futur
Hawaii) puis enquille vers l'île de Vancouver, l'Alaska, les îles
Aléoutiennes et le détroit de Béring. Hélas, on a beau être au mois
d'août, le détroit est pris par les glaces et se révèle
infranchissable. Cook insiste, échoue, s'énerve, essaie à nouveau,
échoue encore. Il commence à perdre sa belle lucidité et se comporte de
façon étrange. Au point de vouloir servir du morse aux marins, qui
déclinent poliment, mais fermement. Déjà qu'il se prend pour Marc
Veyrat, avec son chou et son écorce d'orange. Mais le morse, on va
peut-être s'en passer.
Les deux bateaux retournent aux Sandwich/Hawaii
où ils débarquent en janvier 1779. Coup de chance, Cook arrive en
pleine cérémonie religieuse. Et les Hawaiiens le prennent pour un dieu.
Après quelques semaines de ripaille et de rapports chaleureux façon île
de la Tentation, l'expédition reprend la mer, mais doit faire demi-tour
pour réparer les dégâts d'une tempête. Le 25 février 1779, ils
reviennent au même endroit. Ça sent rapidement l'embrouille. Car cette
fois, Cook est entré au mauvais moment. La baie a été déclarée tabou
par les sorciers du cru. Et la perspective de devoir donner à nouveau à
manger et à boire aux Européens n'enchante guère les locaux. Lesquelles
ont aussi remarqué que, malgré les interdictions et les punitions, les
marins ont du mal à modérer leurs appétits sexuels. Ce qui ne serait
pas encore trop gros grave s'il n'y avait pas en plus des maladies
vénériennes à la clé. Et pour couronner le tout, les Hawaiiens
chouravent une barque.
Cook, qui a sa technique pour gérer ce genre de
situation, décide de prendre un otage en attendant qu'on lui ramène sa
chaloupe. La situation devient vite tendue. Car les Hawaiiens ne sont
pas nés de la dernière pluie tropicale. Ils ont construit des murets de
pierre pour prévenir la mitraille, et se sont fabriqué des sortes
d'armures végétales, pour se protéger des coups de mousquets. Franc
comme un âne qui recule, Cook feint d'inviter un des chefs à venir dans
son bateau, pour s'en servir ensuite de monnaie d'échange pour récupérer sa barquette. Lequel chef est à
deux doigts d'accepter quand les soldats restés sur les bateaux tirent
pour faire éloigner les autochtones qui s'approchent un peu trop près
en pirogue, et tuent un autre grand chef de l'île. Dans une mêlée
indescriptible et la fumée des fusillades, pierres, sagaies et balles
volent bas. Cook est sur le point d'embarquer quand il est poignardé à
mort. Les Hawaiiens s'acharnent sur lui puis emmènent son corps pendant
que les Anglais se retirent prudemment.
Il faudra encore quelques jours
pour que de pénibles négociations s'engagent. Le nouveau commandant du
bateau finit par obtenir le retour des restes de Cook. Ça prend un peu
de temps car les chefs de tribus se sont en quelque sorte partagé le
butin, gardant chacun un bout du corps de l'intrépide explorateur. Les
pratiques cultuelles et les techniques sommaires de conservation ont
donné un aspect étrange et repoussant aux restes, ce qui donnera lieu
plus tard à la légende selon laquelle Cook a été dévoré par les
Hawaiiens. James Cook sera immergé avec les honneurs dans la baie où il
est décédé et où il avait abordé le premier de son peuple.
Moralité : quand on
s'appelle “Cook”, innover dans le régime alimentaire de ses équipages
en proposant des menus étranges vous expose déjà aux sarcasmes navrants des
imbéciles. Mais découvrir les Iles Sandwich risque de faire rire
longtemps à vos dépens. Surtout si, en plus, on laisse supposer qu'on a
servi d'en-cas aux populations locales. Et ça, c'est carrément ballot.
Sources :
- Biographie de Cook dans l'Encyclopédia Britannica,
- Biographie de Cook dans Wikipedia
- James Cook : Relations de voyages autour du monde