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Interview : Eric Quesada, créateur de jeux vidéo et fondateur du studio Ludonkey

Publié le 13 octobre 2014 par Ric01a

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Ce nom ne vous est peut-être pas inconnu, et pour cause, vous l’avez déjà aperçu dans notre report du Retrogaming Show de cette année ! Et comme ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de rencontrer un créateur de jeux vidéo dans notre bon vieux sud, on s’est dit à La Taverne qu’une petite interview, ça pourrait être sympa, parce que mine de rien on a pas mal de choses à apprendre à ce sujet ! Encore un grand merci à Eric Quesada du studio marseillais indépendant Ludonkey de s’être prêté au jeu ! Prêts ? C’est parti !

Quand as-tu décidé que tu voulais concevoir des jeux vidéo ? Quand as-tu fondé ton propre studio ?

Eric Quesada : Mon désir de créer des jeux vidéo est né lorsque j’étais enfant. J’ai grandi avec Sonic, Mario et Link. Ce sont surtout ces personnages qui m’ont attiré dans ce monde vidéo-ludique. Évidemment à l’époque, cela me semblait inaccessible… et ça l’était. À cette même période, moi et mes frères avions eu un Amstrad CPC. Les jeux n’étaient pas aussi beaux que sur console mais on pouvait y taper ses propres programmes. Il était fourni avec un livre contenant des jeux en basic. On écrivait ces lignes de codes sans rien n’y comprendre… mais par magie, si on ne se trompait pas, un jeu apparaissait à l’écran. C’est à ce moment précis qu’est né ma passion pour la programmation et les jeux vidéo, je devais avoir 8 ou 9 ans. Officiellement et légalement, le studio Ludonkey a ouvert ses portes le 1er Janvier 2014, soit presque 20 ans plus tard.

On parle souvent de Paris comme un lieu regroupant beaucoup d’opportunités dans l’univers du jeu vidéo, pourquoi avoir choisi de rester à Marseille ?

Le choix de rester dans la région s’appuie sur deux raisons. Premièrement, ma fiancée termine ses études de droit sur Marseille, il lui reste encore un an à l’école des avocats pour parfaire sa formation et obtenir son diplôme. Financièrement, c’était donc plus judicieux de rester ici pour n’avoir qu’un seul logement. Deuxièmement, selon des amis également créateurs de jeux vidéo, l’Eldorado se trouve plutôt au Canada. J’avoue ne pas avoir fait ou même lu d’étude comparative sur le sujet, mais dans l’optique de bouger, je pense que j’aurais misé en priorité sur le Canada.

Pourrais-tu présenter tes dernières productions ?

Les deux derniers projets que l’on peut considérer comme aboutis sont « OtherSide » et « Magick ». Les autres étant plus des prototypes ou des projets abandonnés.

Otherside. Crédits : Ludonkey

Otherside. Crédits : Ludonkey

« OtherSide » a été initié avec quatre autres personnes lors du Global Game Jam 2014. Il s’agit d’un jeu de plateforme 2D jouable gratuitement sur Mac, Linux, PC et même depuis un navigateur internet. On peut y jouer en local (LAN) ou via internet (Online). Vous y incarnez soit un démon, soit un ange. Les anges recherchent la sainte croix dissimulée dans le niveau. Si un ange trouve la croix, il gagne trois points et la croix réapparaît ailleurs. Les démons quant à eux, ont pour mission d’attraper les anges. Si un démon attrape un ange, il gagne un point et prend la place de l’ange. Ainsi, on est à tour de rôle « chasseur » et « chassé ». Le premier joueur arrivant à sept points gagne la manche et les compteurs des joueurs sont alors remis à zéro. Le gameplay est très simple et donc accessible à tous. Chasser sa proie ou encore éviter de se faire attraper provoque un fun immédiat. Cela vous fera indéniablement enchainer les parties sans vous en rendre compte.

Magick. Crédits : Ludonkey

Magick. Crédits : Ludonkey

« Magick » est un jeu disponible sur tablette, uniquement sur iPad pour le moment. Il a été entièrement réalisé par mes soins. Il n’y a que la musique que je n’ai pas composée, car malgré mes efforts, la qualité de rendu me semblait insatisfaisante. Vous y incarnez « Oz », un magicien retenu contre son gré dans un sombre château et votre but est de vous enfuir. C’est également un jeu de plateforme. Sa particularité et plus grande force est qu’il a été pensé dès le premier jour pour du tactile. Ce n’est pas donc un simple portage d’un jeu PC ou console jouable avec une manette. Il n’y a donc pas cette hérésie, nommée « manette virtuelle », pour contrôler le joueur. Oz avance et saute de lui-même. Vous avez la possibilité de positionner une caisse pour l’aider à atteindre des plateformes plus élevées, comme dans « Solomon’s Key ». L’histoire se divise en 5 chapitres de 12 niveaux. À chaque fin de chapitre, vous devez affronter un Boss. En le battant, comme dans « Megaman », vous obtenez un nouveau pouvoir/objet qui vous permet de réussir les niveaux suivants. Il y des passages de réflexions, comme dans « Escape Goat » mais il s’agit avant tout d’un jeu d’habileté. « Magick » n’a pas la prétention d’être parfait mais il se veut honnête. J’y ai mis tout ce que j’avais et tout ce que j’aimais. J’ai eu d’excellents retours de la part des joueurs. J’ai reçu de nombreux mails de parfaits inconnus pour m’encourager à continuer dans cette lancée. C’est pour moi la meilleure des récompenses.

Pourquoi avoir choisi principalement des supports comme les tablettes et smartphones ?

J’ai réalisé mes premiers jeux sur PC en Pascal à l’âge de 12 ans., mais même si aujourd’hui on trouve plusieurs formations pour travailler dans les jeux vidéo, ce n’était pas le cas dans mon enfance. J’ai dû attendre l’obtention de mon Bac S pour pouvoir simplement orienter mon cursus dans la programmation avec un IUT Informatique. Depuis 2012, l’utilisation des tablettes et mobiles se démocratise largement dans le monde. J’y ai vu une opportunité et j’ai donc quitté mon travail. Je me suis formé sur les principaux outils et méthodologies pour faire des jeux vidéo sur ce support et enfin, j’ai ouvert mon studio, Ludonkey. Évidemment, dans les faits, il m’a fallu plusieurs mois pour mettre en place ce projet. Pour moi, cette démocratisation des mobiles et tablettes a été l’opportunité que j’attendais depuis tout ce temps. La porte dérobée que je pouvais emprunter pour accéder au monde de la création des jeux vidéo.

Pense tu que ces supports sont délaissés ou moins exploités par les grands éditeurs ?

Ces plateformes sont vraiment accessibles pour les gens qui souhaitent faire du jeu vidéo. La conséquence est une énorme concurrence et les prix sont tirés vers le bas. Ainsi, une grande partie des jeux disponibles sont vendus à perte. Les grands éditeurs ont donc bien du mal à s’imposer sur ce marché. Certains sont présents par « obligation » car le nombre de joueurs utilisant ces nouveaux supports ne peut être ignoré.  Pour essayer de combler les pertes financières engendrées par la création d’un jeu par une grosse structure, type SquareSoft, on se retrouve vite à des prix avoisinants les dix euros. Ce qui en soit n’est pas très cher, vu le coût de production, mais qui reste bien trop au-dessus du prix du marché actuel pour un jeu mobile. D’autres font donc le choix de les proposer gratuitement et veulent se rentabiliser avec des achats intégrés. C’est le modèle économique « Freemium », s’opposant au modèle standard dit « Premium ». C’est un modèle difficile à mettre en place car les mécaniques du jeu doivent prendre en compte ce système dès le début. On a vite fait de tomber dans l’excès et ainsi demander de l’argent aux joueurs toutes les 2 minutes s’il veut continuer à jouer sa partie, le faisant ainsi fuir et d’installer le jeu au lieu de provoquer de l’addiction. Certains cependant arrivent à trouver les bons réglages et connaissent un grand succès comme King et leur célèbre jeu « Candy Crush Saga».

Depuis quelques années, l’engouement pour les jeux indépendants, tous supports confondus, devient de plus en plus évident. On l’a vu avec Minecraft notamment (qui n’est plus indépendant suite à son rachat par Microsoft). Pourquoi selon toi ?

Il y a beaucoup de polémiques autour du terme « indépendant ». Certains parlent d’indépendance financière, d’autres de façon de travailler plus « libre », d’autres encore du thème du jeu qui est plus « original » par rapport à ce que l’on peut trouver habituellement. Comme ce n’est pas sujet de la question, je dirai simplement que de nos jours on peut plus aisément créer du jeu vidéo. Faut-il encore s’en donner les moyens. On trouve d’ailleurs de nombreux tutoriels et des outils gratuits ou à prix abordable. Ainsi, beaucoup plus de gens ont la possibilité de s’exprimer à travers ce médium et il est donc normal de retrouver de plus en plus de productions dites « indépendantes ». Certaines arrivent même sur le devant de la scène. Cependant, pour revenir à la réalité, très peu de studios « indépendants » réussissent vraiment à percer. Je suis sûr que de nombreuses productions « indépendantes » mériteraient autant de reconnaissance que celle accordée à Super Meat Boy, Fez, FTL, Limbo ou VVVVVV. Il est donc essentiel de produire un bon jeu mais vient se greffer ensuite la question de la visibilité. Il doit sûrement y avoir un part de chance mais je pense que la plupart des jeux « indépendants » qui ont fait le « buzz », les créateurs ont dû travailler dur et surtout avec les bonnes personnes pour avoir la communication et la couverture médiatique nécessairse pour arriver à ce succès.

Pense-tu qu’il s’agisse d’une chance à saisir pour les développeurs et futurs développeurs qui comme toi, désirent faire partager leur univers à travers les jeux vidéo ?

Sans hésitation c’est un grand « OUI ». Je ne dis pas que ce soit facile d’y arriver car l’inconnu fait toujours peur. Moi-même, je n’ai pas la prétention de réussir dans ce secteur mais je ne regrette pas d’avoir saisi cette chance. Il faut juste calculer et minimiser les risques pour ne pas se retrouver sans argent et sans maison à la fin de l’aventure. En espérant bien sûr que cette aventure soit la plus longue possible, voire qu’elle ne termine jamais. Cette vague d’indépendants est donc une bonne chose autant pour les créateurs de jeux vidéo que pour les joueurs. Les joueurs peuvent découvrir de nouvelles expériences qui s’écartent des standards des jeux AAA et tous les créateurs passionnés ont les moyens de s’exprimer à travers ce médium. Quant à la question de visibilité et de rentabilité ; c’est le même débat sans fin que l’on retrouve pour le secteur de la bande dessinée : des artistes qui peinent à en vivre et cette fameuse « surproduction de BD » où tout le monde se pointe du doigt.

D’après toi quelle est la place de la France en termes de conception de jeux indépendants ?

Bien que le gouvernement français ne favorise pas assez le développement de cette branche culturelle, la France possède en tout cas des créateurs de jeux renommés : Eric Viennot (In Memoriam),  Philippe Ulrich (Dune), Paul Cuisset (Moto Racer), Olivier Lejade (Soul Bubbles), Frédérick Raynal (Alone in the Dark), David Cage (Heavy Rain), Michel Ancel (Rayman) et bien d’autres encore. Il y aussi de nombreux studios « indépendants » français produisant de très bons jeux: Evoland de Shiro Games,  Finding Teddy de Storybird Game ou le récent Out There de Mi-Clos Studio. D’autres sont en cours de développement :  The Next Penelope  d’Aurélien Regard ou Kingdoms de Space Bears et vont indéniablement trouver un public.

La France a donc un grand potentiel pour produire des jeux originaux et de qualités, qu’ils soient « indépendants » ou non. On peut aussi souligner que les plateformes de financement participatif ont contribué à certains gros succès de jeux indépendants. Par exemple Mercenary Kings  de Tribute Games sorti cette année, ou encore Chasm de Discord Games prévu pour 2015. Malheureusement, la plus importante de ces plateformes, nommée Kickstarter, n’est pas encore ouverte aux studios de jeux vidéo français. Dans tous les cas, la France a clairement sa place sur la scène des jeux indépendants.

Sur ton site, tu parles de ta « French Touch » pour décrire ton travail. Comment pourrais-tu la définir et qu’apporte-t-elle à ton univers ?

La France renvoie une certaine image à travers le monde. Elle est reconnue pour sa cuisine, son raffinement et ce qui m’intéresse le plus… sa créativité. Elle y a vu naître de célèbres inventeurs comme les frères Lumières et Montgolfier, Pierre et Marie Curie, Louis Pasteur ou encore Blaise Pascal. Nous avons aussi de fameux peintres comme Renoir, Monet, Delacroix, Cézanne ou Gaugin. Certaines plumes comme celles de Proust, Victor Hugo, Balzac, Rimbaud, Zola ou Dumas ont légué des chefs-d’œuvre aux générations qui ont succédé. C’est dans ce sens que j’entends parler de « French Touch » : savoir expérimenter, faire les choses différemment et ne pas avoir peur de subir l’échec. A mon niveau, je n’ai pas la prétention de redéfinir le jeu vidéo ou de le révolutionner, par contre, mon ambition ne se limite pas à faire un énième Doodle Jump ou Angry Birds. C’était mon souhait avec  Magick : réfléchir à comment pourrait et devrait être un jeu de plateforme s’il était né sur un support tactile, et non pas avec le support d’une manette. Je ne sais pas si le contrat est vraiment rempli car de mon point de vue les choses peuvent toujours être améliorées. Dans tous les cas, j’aurai essayé de faire les choses différemment.

D’une manière générale, que pense-tu que les créateurs français puissent apporter aux jeux vidéo indépendants ?

Je pense que toute personne qui se passionne pour un domaine a quelque chose à apporter à ce domaine. Et ceci quel que soit le pays où il vit. C’est au contraire cette variété culturelle que l’on retrouve de par le monde qui est intéressante. Une personne d’origine américaine, une autre d’origine européenne et une autre d’origine asiatique ne verront jamais les choses de la même manière. Ils ne traiteront jamais un sujet de la même façon. Ils ne résoudront jamais un problème avec les mêmes solutions. Comme il y a rarement de « bonnes » façons de faire mais plutôt des façons « différentes », les créateurs français ont donc également leur pierre à apporter à l’édifice des jeux vidéo indépendants.

Voilà qui est bien dit ! Quant à vous, si vous voulez découvrir l’univers d’Eric Quesada, n’hésitez pas à vous rendre sur le site de Lundonkey, à dégainer votre smartphone/tablette et à vous lancer dans l’aventure !

Retrouvez également une interview d’Eric Quesada et l’équipe ayant participé à la création du jeu Otherside dans notre vidéo report du Retrogaming Show.

See Ya !

Andey Z.


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