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Journée du deuil périnatal

Publié le 15 octobre 2014 par Emmanuel S. @auxangesetc

Aujourd’hui, c’est la journée du deuil périnatal. Cette journée n’est malheureusement que très peu relayée par les médias qui préfèrent faire tout un foin pour ces conneries de fête des mères, fête des pères, fête des grands-mères (où l’achat de déambulateurs atteint son paroxysme et où les pompes funèbres font recettes), fête des secrétaires, fête au village, fête à neuneu, fête de la musique de merde ou encore la sacro-sainte (et détestée de mon épouse et moi-même) Saint Valentin. Il y a même la fête de l’huma pour mes amis camarades communistes.

Il est vrai que toutes ces fêtes sont ouvertement commerciales (sauf la fête de l’huma, les pauvres…). Il est important, que dis-je vital, pour l’économie morose de notre pays vieillissant, que le commerce soit relancé par toutes ces petites fêtes aussi inutiles qu’abrutissantes et consuméristes. Cela me choque, moi, le libéral assumé.

Il est clair que le deuil périnatal ne fait vendre que quelques ballons ainsi que sans doute quelques roses blanches et quelques T-shirts pour les quelques courageux qui iront à la marche organisée à Paris (clic). Après avoir voulu y aller, j’ai finalement décidé de ma la jouer solo et d’aller sur la tombe de mes jumeaux chéris, seul, afin de me recueillir et d’avoir un moment « privilégié » avec eux. Je commence à revenir à l’état sauvage, déjà que je n’étais pas vraiment sociable, ça promet pour la suite… 

L’objectif de cette journée est de sensibiliser au deuil périnatal qui est un sujet « tabou » (mot utilisé à toutes les sauces de nos jours, notamment pour parler du contrôle des chômeurs ou de la réduction des allocations familiales). Je veux dire par là que parmi tous les sujets futiles abordés régulièrement dans nos médias qui recherchent avant le tout le sensationnel pour épater le français moyen dont la vie n’a plus rien d’extraordinaire, il n’y a jamais ce sujet, ni chez Jean-Pierre Pernaud, ni chez Laurent Delahousse.

Et pourtant il y aurait des choses à dire, des personnels hospitaliers qui annoncent le fait que nos enfants sont condamnés par le seul fait de naître comme il commanderait une baguette un dimanche matin après la messe, aux membres de la famille qui redoublent de connerie et d’égoïsme en passant par la maladresse quotidienne des collègues de travail qui cherchent à tout prix à dire qu’il y a toujours pire dans la vie ou qui ne comprennent juste rien à la situation. Or, c’est bien connu, quand on ne connaît rien on ferme sa gueule. Si seulement cela pouvait être respecté…

Cette sensibilisation, en tant que père ayant eu à vivre (subir ?) la perte de mes deux fils, est importante afin que les gens comprennent, ne serait-ce qu’un peu, ce qu’est la perte d’un enfant et ses conséquences sur les parents dont la vie est changée à jamais. Même si quelques personnes restent humbles et discrètes face à ce sujet, préférant ne rien dire que de dire quelque chose de maladroit, préférant une simple présence et une sollicitude naturelle, ce qui est appréciable et apprécié, d’autres n’ont pas cet égard. Et c’est tellement agaçant que j’en en deviens presque agressif.

Morceaux choisis :

  • Une collègue de travail : « Tu verras quand tu auras des enfants, il y aura plus de bruit et tu ne pourras plus travailler chez toi ». Ma réponse : « Merci de ta sollicitude, j’ai déjà 2 enfants mais ils sont effectivement plus calmes que les deux tiens. »
  • La même collègue, quelques jours après le décès de mes fils: « Ah bon, tu les as pris dans tes bras? » Ma réponse: « Mes fils sont nés vivants, tu ne voulais quand même pas que je ne les regarde pas, que je ne les prenne pas dans mes bras et que  profite de la seule heure qu’il m’a été donné de passer avec eux? Quel être humain ferait ça?? »
  • Mon père : « Il faut sortir, voir du monde, aller au théâtre, voir des expos. » Ma réponse : « Je ne vais pas me forcer à faire des choses qui m’ennuient passablement déjà en temps normal. S’il n’y avait qu’une seule méthode pour aller mieux après un deuil périnatal je pense que cela se saurait… En attendant, j’ai envie de me morfondre sur mon canapé avec ma femme et mon chat, j’ai le droit? ».
  • D’une (autre) collègue de travail : « Oh, tu sais, il faut relativiser dans la vie et profiter de ce que l’on a. Tout le monde, tu sais, à ses problèmes. » Ma réponse : « Effectivement tout le monde a ses problèmes, mais la perte d’un enfant, voire de deux enfants dans mon cas personnel, n’est en rien comparable à des problèmes de nounou, de fuite d’eau ou de régularisation de facture GDF à faire échelonner sur 3 mois. J’aimerais tellement profiter de la vie mais elle est aussi vide que l’espace intersidéral donc de quoi puis-je profiter ? »
  • De la même (autre) collègue de travail: « Il faut profiter de ce que l’on a dans la vie, il y a toujours pire ». Ma réponse: « C’est vrai, tu as raison. Ma femme pourrait se suicider, mon appartement pourrait brûler et je pourrais être contraint de vivre avec ça. Effectivement, il y a pire à la réflexion. »
  • Et la meilleure quand même pour finir, de ma sœur : « Vous êtes de gens tristes et négatifs ». Je vous passe ma réponse car elle n’est pas vraiment communicable, ce blog se refusant à toute grossièreté.
  • En bonus, toujours de ma soeur: « Vous n’êtes pas parent ». Ma réponse: « Espèce de c*≤•@sse, tu ne comprends donc pas que toute la difficulté de notre deuil est justement d’être parent mais de ne pouvoir avoir ses enfants avec soi. Tes neveux sont nés vivants, ils sont sur le livret de famille et font partie de la famille. Quelle pauvreté d’âme de ne pas comprendre cela. »

Je m’arrête là mais les exemples sont légions et vécus au quotidien. Je n’ai pas pris le temps de faire un recueil car mon esprit est suffisamment occupé par mes jumeaux, mais cela aurait valu le détour. Chaque jour qui passe apporte son lot de maladresse dont certaines m’amusent et d’autres me mettent hors de moi.

Ces comportements conduisent, à mon sens, à deux conséquences néfastes: (1) l’isolement des parents en deuil qui, à force de ne pas voir leur deuil respecté, préfèrent rester seuls et se couper de beaucoup de proches trop abrutis ou trop prétentieux (trop cons ?!?) pour respecter le deuil et la situation, (2) des réponses aussi dures que les paroles entendues, qui conduisent parfois à des conflits personnels si les personnes n’admettent pas qu’ils ne peuvent comprendre et qu’ils ne peuvent donc pas respecter cette situation si particulière.

Car là est tout le sujet. En tant que parent en deuil, je ne demande pas aux gens de comprendre. Je leur souhaite même de ne jamais comprendre ma peine, mon chagrin, ma vie à jamais bouleversée tellement cette épreuve est douloureuse et marquante à de nombreux égards. En revanche, je demande une chose pourtant très simple : respecter mon deuil, me laisser faire comme je le veux, de la manière que je veux, selon mes envies du moment, selon mon humeur du moment, selon les pensées noires ou moins noires du jour. C’est tout le but de la journée de sensibilisation de demain. Ce n’est pourtant pas compliqué.

Et surtout, quand vous avez des proches qui vivent la perte d’un enfant, quel que soit son âge, y compris si une interruption médicale de grossesse a dû être pratiqué, comprenez que les parents sont bien des parents, qu’ils ont un (ou plusieurs) enfants, mais qu’il a dû partir, rappelé par Dieu auprès de lui pour des raisons que les humains ne peuvent comprendre. Ne niez surtout pas cette parenté. C’est une insulte terrible que de nier cette parenté si particulière mais si peu reconnue. Le travail de deuil est déjà tellement dur au quotidien, c’est un combat contre soi-même dont il est déjà difficile de sortir vainqueur, alors ne rajoutez pas pour les parents un combat contre les autres pour faire reconnaître leur parenté. 


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