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les ouvrières

Publié le 15 octobre 2014 par Anh2

Sous l'oeil du Beffroi - annexe 2 par José le Goff

Evidemment,  toutes les femmes de nos ports n’étaient pas femmes de marins.

En Bretagne Nord certaines trouvaient du travail chez des ostréiculteurs. Chez nous, les nombreuses conserveries implantées   depuis la fin du dix neuvième siècle embauchaient une très importante main d’œuvre féminine hétéroclite. Des femmes dont le mari travaillait sur le port ou dans les usine, des veuves de marins dont la pension ne suffisait pas à faire «bouillir la marmite,» des épouses de matelots embarqués sur des rafiots cumulant les avaries ou les petites pêches, des femmes de  calfats, de charpentiers de  marine, de mécanos navals embauchés dans des ateliers à terre, des épouses de maçons, de  plâtriers, de couvreurs et même d’artisans divers ; et comme l’école n’était obligatoire que jusqu’à 14 ans, règlement assez souvent bafoué d’ailleurs, Beaucoup de très jeunes filles qui écopaient des lourdes besognes de servitude. Toute une hiérarchie dans ces usines. Au dessus de ces très jeunes filles appelées les «petites filles d’usines,»bourdonnait la masse  jacassante et chantonnante des ouvrières.

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Le lavage des sardines, 1913 [Agence Rol]

On a beaucoup  glosé sur ces dames et leurs chansons en les idéalisant. Certes les femmes étaient belles et leurs chansons jolies et Je ne jouerais pas les rabat-joies en affirmant qu’elles chantaient  surtout pour se donner du courage au travail et en oublier  sa pénibilité le temps d’un refrain et de quelques couplets. Evidemment, minoriser cette dure activité en écoutant  béats les paroles gentillettes de quelques vielles chansons retrouvées ou en admirant des cartes postales sur lesquelles des ouvrières triées sur le volet et mises en scène posent détendues en coiffe d’artisane dans un environnement propret est très folklorique.

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alfred guillou - Les sardinières de Concarneau (1896, musée des beaux-arts de Quimper).

Mais attention à ne pas retenir du passé qu’un côté un peu angélique, à ne pas mystifier la mémoire car les conserveries n’étaient pas des  cafés concerts ni des music-halls et  la vérité était quand même bien autre. En effet, dans les usines, des vapeurs émanant des autoclaves et des effluves de poisson flottaient en permanence sur les lieux de travail, c’est-à-dire partout. Cette moiteur, ces relents imprégnaient tout, collait à la peau, se mêlaient à la sueur des ouvrières qui, payées au rendement, transpiraient en s’échinant à leurs tables de travail telles des forcenées. C’est que si de petites spécialités pas trop épuisantes étaient réservées à quelques dames assez âgées, la majorité de ces femmes, étêtait la sardine,  la déboyautait, apprêtaient les bonites ou les gros thons germon, coupait des filets dans leurs flancs, les tranchait ou émiettait des entâmes mettant chaque jour des quantités énormes de poisson en boîte du lundi matin très tôt  au samedi soir  très tard, osant juste jeter de temps à autre un regard furtif vers la pendule. Travail pénible et harassant qu’elles exécutaient dans des conditions rudes et déplorables, sous l’œil vigilant de contremaîtresses implacables à qui rien n’échappait. Ah, ces contremaîtresses appelées «commises» et surnommées «peaux de vaches!» Les «petites filles»  héritaient de toutes les corvées et devaient  en plus  supporter très souvent les sarcasmes grossiers et même parfois les gestes déplacés d’un personnel masculin rustaud. Ces goujats ne se hasardaient pas autour des ouvrières, qui gouailleuses, avait de la répartie et le geste  vif et bien ajusté s’il le fallait! … Les femmes des gérants et des comptables étaient surnommées des «Madamig,» traduisez petites Madame, par  les ouvrières qui,  coincées sur leurs chaînes  d’emboîtage dans les odeurs de poisson cuit pour gagner une misère, savaient que celles la, après s’être bien pomponnées, parfumées et  chapeautées, s’en iraient le portemonnaie bien rempli «faire les belles» au marché.

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Alfred Guillou

L’occupation principale, on pourrait presque dire, le devoir, de la femme de l’usinier consistait à mettre des héritiers au monde et selon la réussite, elle attrapait  comme surnom le nom d’une femelle animale performante ou pas question reproduction. Il arrivait qu’elle soit veuve, alors même si elle n’habitait  pas dans l’enceinte de l’usine elle y faisait une ou 2 visites surprises quotidiennes, s’entretenant avec les cadres masculins et les commises, ignorant avec suffisance tous le petit personnel. Le reste du temps, elles se muaient en dame-patronnesse et il était très difficile de discerner si elle agissait vraiment par charité chrétienne ou par calcul afin de pouvoir s’en prévaloir par la suite.

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à suivre...


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