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Paul VI : In nomine Domini (1)

Publié le 17 octobre 2014 par Sylvainrakotoarison

« Pape efficace et sage », Giovanni Battista Montini, devenu Paul VI, a poursuivi l’œuvre historique de Jean XXIII en reprenant les travaux du Concile Vatican II. À la fois moderne dans l’ouverture aux autres et rigoureux sur la foi, il a ouvert la voie à deux de ses grands successeurs, Jean-Paul II et l’actuel pape François. Première partie.

yartiPaulVI06L’ancien pape Paul VI va être béatifié au Vatican ce dimanche 19 octobre 2014 par son successeur, le pape François. Cette journée conclura également les travaux de la 3e assemblée générale extraordinaire du Synode des évêques sur les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation qui se tient du 5 au 19 octobre 2014 au Vatican.

Pour rappel, la "procédure" de béatification permet de rendre une personne disparue "bienheureux" de l’Église catholique. Elle précède son éventuelle canonisation qui en ferait un "saint". La fête de la Toussaint enseigne que tous les êtres humains sont des saints et peuvent s’approcher de cette sainteté. Les béatifications et les canonisations tendent surtout à montrer aux autres quelques modèles d’existence.

Pour autant, il y a un réel étonnement à vouloir béatifier voire canoniser les papes, surtout lorsqu’ils sont récents : Pie X, Pie XII (en cours), Jean XXIII, Jean-Paul II, et maintenant, Paul VI.

Pour ce dernier, son procès en béatification fut ouvert officiellement plus de quatorze ans après sa mort, le 11 mai 1993 par Jean-Paul II (en fait, dès le 18 mars 1993 : nihil obstat, rien n’est connu contre), et c’est son successeur François qui a approuvé l’issue de la procédure le 9 mai 2014 et annoncé la cérémonie pour dimanche prochain. Parce que finalement, le pape devient juge et partie, en acceptant de béatifier ou de canoniser ses prédécesseurs.

Cette cérémonie est néanmoins l’occasion heureuse de revenir sur la vie et l’œuvre de Paul VI, pape dont le pontificat fut certes long, mais pas le plus long de l’histoire catholique récente : du 21 juin 1963 au 6 août 1978, plus de quinze ans (celui de Jean-Paul II dura plus de vingt-six ans, un an de plus que celui de Léon XIII, celui de Pie XI dix-sept ans et celui de Pie XII dix-neuf ans). Ce premier article évoque la vie de Paul VI avant son élection pontificale.

Inspiré par la doctrine sociale de l’Église

Né le 26 septembre 1897, Paul VI était italien et s’appelait Giovanni Battista Montini. Son père Giorgio (1860-1943) était un journaliste catholique proche des déshérités (il a créé une structure de conseil juridique gratuit pour les ouvriers et les paysans) et a été élu trois fois député du PPI ("parti populaire italien", parti démocrate-chrétien de l’entre deux guerres, créé le 18 janvier 1919 inspiré par la doctrine sociale de l’Église, dirigé en 1923 par Alcide de Gasperi et dissous par Mussolini le 5 novembre 1926 parce qu’il était le premier parti antifasciste). Giovanni Battista a eu un frère aîné qui fut également parlementaire par la suite (sénateur), Lodovico.
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Durant ses études, chez les Jésuites puis au séminaire, Giovanni Battista Montini eut l’occasion d’être, plus que ses camarades, au contact avec la "vraie vie", car sa santé fragile l’obligeait de se retirer souvent de l’internat. Ce n’est donc pas un hasard que lorsqu’il est devenu pape, il fut l’un des premiers papes à vouloir connaître le monde réel, à s’exprimer en neuf langues, à faire des voyages officiels autour du monde au lieu de rester retrancher au Vatican. Son successeur Jean-Paul II a ensuite amplifié ce mouvement d’ouverture au monde.

Ému à la mort du pape Léon XIII (il n’avait que 6 ans), brillant écolier puis étudiant, il fut ordonné prêtre le 29 mai 1920, bénéficiant d’une dérogation car il fallait en principe avoir au moins 24 ans pour devenir prêtre. Le 9 décembre 1922, il a soutenu sa thèse de doctorat en droit canon et est allé en été 1924 en France pour y apprendre la langue française. Très vite, il s’engagea au sein de l’enseignement universitaire comme aumônier national de la Fédération des universitaires catholiques italiens (FUCI créée en 1896 et regroupant de nombreux intellectuels ou politiques démocrates-chrétiens, dont Aldo Moro, Giulio Andreotti, Emilio Colombo, Franco Marini, Amintore Fanfani, Romano Prodi et Francesco Cossiga) et travailla au Vatican dans la diplomatie et l’administration, au sein de la Secrétairerie d’État à partir du 24 octobre 1924.

Prélat influent au Vatican

Ses activités au sein de la FUCI furent de plus en plus mouvementées à cause de l’opposition très violente entre les étudiants catholiques et les étudiants fascistes (Benito Mussolini est devenu chef du gouvernement italien le 31 octobre 1922). Parmi les étudiants catholiques antifascistes qu’il a rencontrés, une personnalité qui est devenue un ami proche, Aldo Moro (1916-1978), qui présida la FUCI de 1939 à 1941.

Craignant une trop grande indulgence du pape avec le fascisme, Giovanni Battista fut très réticent avec les Accords du Latran signés le 11 février 1929 entre l’État italien et le Vatican, mais ces accords étaient nécessaires car ils ont normalisé les rapports entre les deux États depuis la fin des États pontificaux le 20 septembre 1870. Par ailleurs, ces accords furent approuvés par Aristide Briand, alors chef du gouvernement français, et furent confirmés après 1945 par la nouvelle République italienne (intégrés dans la Constitution).

Fidèle à la pensée du philosophe chrétien Jacques Maritain (1882-1973), qui fut également ambassadeur de France au Vatican de 1945 à 1948, Giovanni Battista Montini rédigea beaucoup d’articles de réflexion sur l’enseignement du Nouveau Testament et continua à enseigner l’histoire et la diplomatie pontificale.

Après avoir quitté ses responsabilités au sein de la FUCI le 12 mars 1933, Giovanni Battista Montini prit beaucoup d’importance au sein de la Curie romaine le 13 décembre 1937 en devenant Substitut aux Affaires ordinaires qui en fit l’un des plus proches collaborateurs de Pie XI (pape du 6 février 1922 au 10 février 1939) qui avait dénoncé très tôt le totalitarisme en Europe, qu’il fût fasciste (dans son encyclique "Non abbiamo bisogno" publiée le 29 juin 1931), nazi (dans son encyclique "Mit brennender Sorge" publiée le 10 mars 1937) ou communiste (dans son encyclique "Divini Redemptoris" publié le 19 mars 1937).

Après l’élection du nouveau pape Pie XII le 2 mars 1939 et la mort du Secrétaire d’État Luigi Maglione le 22 août 1944 qui ne fut pas remplacé (Pie XII l’avait précédé dans cette fonction du 9 février 1930 au 10 février 1939 et fut un pape centralisant toutes les décisions), Giovanni Battista Montini fut le bras droit du pape (nommé pro-Secrétaire d’État en novembre 1952). Il est intervenu dans de nombreuses affaires, que ce soit pendant la guerre (intervention pour éviter la déportation des Juifs de Slovaquie etc. ; à partir du 24 juin 1942, le Vatican a aidé les victimes du nazisme discrètement pour éviter des représailles), ou après la guerre (soutien à l’unité des catholiques au sein de la démocratie-chrétienne italienne, relations avec la France par l’intermédiaire de Jacques Maritain devenu ambassadeur, contribution dans la rédaction de la Constitution italienne ratifiée le 2 juin 1946, etc.).

Archevêque de Milan

Ami intime du philosophe Jean Guitton (1901-1999) qu’il invita comme observateur à Vatican II, défendant les théologiens français contestés Yves Congar (1904-1995) et Henri de Lubac (1896-1991) qui furent tous les deux créés cardinaux par Jean-Paul II, Giovanni Battista Montini fut éloigné du Vatican le 6 novembre 1954 par Pie XII en devenant archevêque de Milan, ordonné le 12 décembre 1953 par le cardinal Eugène Tisserand (1884-1972), né à Nancy, futur académicien français et archiviste des Archives du Vatican (en l’absence de Pie XII, malade, qui laissa juste un message enregistré). Sa devise épiscopale fut "In nomine Domini".

L’archevêché de Milan est le plus grand d’Italie (3 millions de fidèles) et avait déjà donné plusieurs papes, Urbain III (archevêque de Milan du 9 mai 1185 au 20 octobre 1187), Pie IV (de 1559 au 6 février 1560), et Pie XI (du 13 juin 1921 au 6 février 1922) ; et l’actuel archevêque, Mgr Angelo Scola (depuis le 28 juin 2011) était donné papabile en mars 2013. Paradoxalement, cette fonction pourtant prestigieuse pour Giovanni Battista Montini était le moyen pour Pie XII de ne pas le nommer cardinal et d’éviter ainsi qu’il fût son successeur le cas échéant.
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Le nouvel archevêque s'est beaucoup investi à visiter de nombreux lieux de l’archidiocèse pour rencontrer tous les habitants, quels qu’ils fussent, à favoriser l’expression culturelle et à construire près d’une centaine de nouvelles églises en impliquant des artistes contemporains. L’action pourtant innovatrice de Giovanni Battista Montini à Milan ne l’a pas beaucoup passionné. Gardant ses relations avec différents théologiens connus auparavant, il regrettait son éloignement du Vatican où il pensait avoir eu plus d’influence au sein de l’Église.

Très malade, Pie XII s’éteignit le 9 octobre 1958. Le conclave se déroula du 26 au 28 octobre 1958. Ce fut un ami proche de Giovanni Battista Montini, le cardinal Angelo Roncalli (1881-1963), patriarche de Venise, qui fut élu sous le nom de Jean XXIII. Il l’avait bien connu depuis longtemps car Angelo Roncalli fut lui aussi diplomate du Vatican, nonce (ambassadeur) en Bulgarie, en Turquie et en France.

Enfin cardinal

Certains cardinaux avaient évoqué la possibilité (très rare dans la pratique) d’élire pape le très populaire Giovanni Battista Montini bien qu’il ne fût pas cardinal (il aurait recueilli quelques voix). Dès l’élection de Jean XXIII, cette petite mesquinerie de Pie XII fut réparée : Giovanni Battista Montini fut créé cardinal le 15 décembre 1958 au cours d’un consistoire que Pie XII avait commencé à préparer. Angelo Roncalli aurait expliqué en 1955 qu’il aurait voté au conclave pour Giovanni Battista Montini si ce dernier avait été cardinal. C’est assez amusant d’imaginer qu’un prédécesseur pût voter pour son successeur, et cela marque le lien de proximité entre les deux hommes.

Giovanni Battista Montini a tout de suite compris l’importance historique du futur Concile Vatican II, reprenant celui inachevé de 1870 ; le 26 janvier 1959, il qualifiait ainsi ce concile : « événement historique de première importance (…) grand pour l’Église entière et pour l’humanité ». Très actif dans sa préparation et bientôt coordonnateur des autres commissions du concile, le cardinal Montini voulait aussi proclamer la liberté religieuse comme l’un des droits naturels de l’homme.

Faisant plusieurs voyages à l’étranger (Brésil, États-Unis, Afrique du Sud, Rhodésie, Ghana, Nigeria, Irlande, etc.), Giovanni Battista Montini avait une parole qui faisait écho, montrait à la fois de la modernité et ouverture d’esprit tout en restant fidèle aux dogmes (il avait condamné le film de Federico Fellini "La Dolce Vita" dont la première projection à Milan le 5 février 1960 fut assez mouvementée). Connu des gens, connaissant bien les rouages du Vatican, un des acteurs majeurs de Vatican II, le cardinal Montini était un successeur naturel de Jean XXIII lorsque la situation s’est présentée.

Un nouveau conclave

Après la mort de Jean XXIII, un nouveau conclave est convoqué du 19 au 21 juin 1963. À 11 heures 22 le 21 juin 1963, les cardinaux ont élu pape Giovanni Battista Montini à 65 ans, l’un des favoris connaissant bien la Curie romaine depuis les années 1930, qui a pris le nom de Paul VI.

Giuseppe Siri (1906-1989), archevêque de Gênes depuis le 14 mai 1946, créé cardinal le 12 janvier 1953, était aussi papabile, comme il l’avait déjà été en 1958. Bien que représentant l’aile traditionnelle et conservatrice de l’Église, très anticommuniste, Giuseppe Siri est resté fidèle au Vatican, a appliqué dans son archidiocèse de Gênes, par la suite, le Concile Vatican II, et s’est toujours opposé aux courants traditionalistes, en particulier celui de Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991), bien que certains traditionalistes voyaient en lui le véritable pape, laissant entendre sans rien prouver (version réfutée par le cardinal Siri lui-même) qu’il aurait recueilli lors des deux conclaves (1958 et 1963) une majorité des voix et qu’il aurait même pris le nom de Grégoire XVII (pour être élu, il faut au moins les deux tiers des voix).

À Eugène Tisserand, cardinal doyen, Paul VI accepta la lourde charge en ces termes, reprenant sa devise milanaise : « Accepto in nomine Domini » [J’accepte au nom du Seigneur].

Dans un prochain article, j’évoquerai le pontificat de Paul VI, en particulier son encyclique sur la famille "Humanae Vitae" publiée le 25 juillet 1968 et qui fut en question lors du Synode des évêques qui s’achève ce 19 octobre 2014.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Aldo Moro.
Le Concile Vatican II.
Jean XXIII et Jean-Paul II.
Benoît XVI.
Le pape François.
Lampedusa.
La Pardon.
La Passion.

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