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L’UDI en piste pour la rénovation du débat politique

Publié le 18 octobre 2014 par Sylvainrakotoarison

Le mois prochain, ce sont deux anciens proches de François Bayrou qui s’affronteront pour succéder à Jean-Louis Borloo à la présidence de l’UDI : Jean-Christophe Lagarde vs Hervé Morin. L’enjeu, c’est l’ambition des centristes dans le jeu politique. Dans les trois prochaines années, le Centre sera-t-il conquérant, ou pas ?

yartiUDI2014C01Pendant que le PS continue de s’écrouler dans les sondages et que l’UMP bataille pour connaître son prochain champion, l’Union des démocrates et indépendants (UDI) poursuit tranquillement sa route dans la succession de Jean-Louis Borloo. Les membres de l'UDI ont en effet voté du 8 au 15 octobre 2014 pour élire leur prochain président.

Un premier tour de bonne mobilisation

Sur les 28 305 adhérents de l’UDI (scrupuleusement vérifiés par un huissier de justice), près de 60% (exactement 58,7%) ont pris part au vote, ce qui est plutôt une forte mobilisation puisque le vote n’était pas électronique, ne se faisait pas sur Internet, se faisait sans procuration et uniquement par correspondance (le matériel de vote était arrivé début octobre 2014), ce qui excluait toutes les personnes en déplacement hors de leur domicile durant cette période.

C’est sans beaucoup de surprise que les deux candidats capables de mobiliser les militants centristes ont gagné leur qualification au second tour. C’est également rassurant car c’étaient les deux seuls candidats historiquement centristes, les deux autres n’étant membres de la "famille centriste" que depuis quelques années seulement et dont la sincérité n’aurait pas suffi à représenter l’ensemble des centristes sur le plan national.

Le député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde est arrivé en tête avec 5 888 voix (35,9%) et l’ancien Ministre de la Défense Hervé Morin a obtenu 5 160 voix (31 ;5%), plus de 700 voix les séparent.

Ont été exclus de la compétition pour des raisons assez différentes (à mon avis) l’ancien ministre sarkozyste Yves Jégo avec seulement 3 519 voix (21,5%) et le député-maire de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin qui, malgré sa candidature solitaire et très peu de moyens, a réussi à convaincre tout de même 1 814 voix (11,1%).

L’échec d’Yves Jégo

Sans doute l’un des candidats les plus médiatiques, Yves Jégo était soutenu notamment par Chantal Jouanno, André Rossinot, Hervé de Charette, Jean-Marie Bockel et Emmanuel Paco Viel. Au cours de la campagne interne, il s’était autoproclamé l’héritier de Jean-Louis Borloo sans comprendre que, malgré ses déclarations d’intention, il était le moins crédible sur l’indépendance avec l’UMP et même avec Nicolas Sarkozy dont il fut un fidèle lieutenant de 1995 à 2009 au sein du RPR puis de l’UMP.
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Une fois les résultats connus, il a montré un côté assez mauvais joueur en se croyant le seul capable de diriger l’UDI : « À l’évidence, les réflexes traditionnels de chapelles centristes, les manœuvres et un déploiement de moyens considérables, mettant en cause jusqu’à ma probité, ont joué pour contrer le projet d’indépendance et de renouveau dont nous étions porteurs, ce qui démontre bien la difficulté à régénérer l’offre politique dans un pays pourtant si désabusé par ses dirigeants. (…) L’esprit de Jean-Louis Borloo ne soufflera plus à l’UDI. ».

Selon "Le Figaro", il aurait même rajouté auprès de ses proches : « L’élection est réduite à un duel entre le président du Nouveau centre et l’ancien président délégué du Nouveau centre : il n’y a donc aucune chance que l’UDI devienne autre chose que le Nouveau centre ».

Il faut pourtant rappeler qu’Yves Jégo était membre du RPR de 1995 à 2002, puis de l’UMP de 2002 à 2009. Ce n’est qu’en 2009 qu’il est devenu radical. Par ailleurs, il était devenu le président par intérim de l’UDI sous condition de ne pas prendre part à la compétition (il avait démissionné de cette présidence dès l’annonce de sa candidature en juin dernier). L’unité des centristes concerne tous les membres de l’UDI, y compris les candidats battus : il ne dépend donc que de lui de préserver cette unité, malgré son amertume bien compréhensible. Amer notamment de ne pas avoir eu le soutien du Parti radical. Yves Jégo annoncera d’ailleurs sa position pour le second tour avant la déclaration du Parti radical.

Incidents de campagne

La campagne interne pendant l’été et l’automne fut assez calme, à l’exception de deux incidents.

D’une part, l’assignation le 14 octobre 2014 sur requête de l’un des candidats, Jean-Christophe Fromantin, devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour dysfonctionnement du vote par correspondance, mais le TGI a donné raison aux organisateurs du vote interne (le référé a été rejeté).

D’autre part, l’annonce par "Le Parisien" du 13 octobre 2014 qu’une enquête préliminaire sur la patrimoine d’un autre candidat, Yves Jégo, avait été ouverte en septembre 2013 à la suite d’un signalement de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique. Notons que le vote par correspondance se déroulait du 7 au 15 octobre 2014 et que cette information a donc eu peu d’influence, quoi qu’en disent les soutiens d’Yves Jégo.

L’ambition du Centre en France

Beaucoup voudraient se moquer de l’UDI, rassemblement réunifiant les centristes qui tend à retrouver l’audience de l’UDF dans les années 1990. Pourtant, face à la montée sans cesse confirmée du Front national, l’idée que ce soient des personnes d’une autre génération, profondément renouvelée, féminisée, ferme sur leurs valeurs politiques (auxquelles je reviendrai plus tard) et prêtes à gouverner pour sauver le pays en jouant un rôle moteur dans l’alternance ne paraît pas, aujourd’hui, sans pertinence.

L’épreuve électorale a toujours été l’élément clef de tout combat politique. Or, l’année 2014 a été triplement positive pour l’UDI qui ne fête que son deuxième anniversaire cet automne : aux municipales, l’UDI a remporté 115 villes de plus de 9 000 habitants dont 2 de plus de 100 000 habitants (Nancy et Amiens), soit un gain de 53 villes, le tiers des gains de l'opposition ; aux européennes, elle a obtenu 7 députés européens (conservant son score national à 9,9% ce qui, dans un climat eurosceptique général, reste un bon résultat et l’objectif de 10% a été quasiment atteint) ; aux sénatoriales, l’UDI s’est renforcée avec 43 sénateurs (gagnant 12 sièges le 28 septembre 2014). En outre, l’UDI est également représentée par 31 députés et 13 présidents de Conseil général.

Les rapports des forces internes

L’UDI comporte quatre gros bataillons d’adhérents : 6 955 adhérents directs de l’UDI, 7 925 membres du Parti radical présidé par Laurent Hénart, 6 699 membres du Nouveau centre présidé par Hervé Morin et 6 195 membres de la Force européenne démocrate fondée par Jean-Christophe Lagarde en juillet 2012. À cela, il faut rajouter d’autres groupes intégrés à l’UDI, comme les 747 membres de l’Alliance centriste de Jean Arthuis, les 803 membres de la Gauche moderne de Jean-Marie Bockel. Le total fait un peu plus que le nombre des inscrits dans l’élection interne (28 305) en raison de doublons possibles qui ont été éliminés pour les opérations de vote. Tous les membres de Gauche moderne sont aussi membre du Parti radical, par exemple, ou certains ont pu cotiser deux fois, directement à l’UDI et par l’intermédiaire d’une composante (216 doublons). Ces données sont les statistiques officielles validées par huissier de justice et communiquées le 16 octobre 2014 par la Commission nationale d’arbitrage et de transparence présidée par le sénateur Jean-Léonce Dupont.
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Laurent Hénart, qui n’avait pas encore pris position, a indiqué que le Parti radical prendrait position pour le second tour le mardi 20 octobre 2014. Sa concurrente interne Rama Yade a déjà annoncé son soutien en faveur d’Hervé Morin.

Le clivage semble relativement clair : Hervé Morin représente l’aile libérale de l’UDI (anciennement PR puis Démocratie libérale) tandis que Jean-Christophe Lagarde représente l’aile démocrate sociale (anciennement CDS puis Force démocrate).

Dans cette perspective, ce serait donc logique que les électeurs de Jean-Christophe Fromantin se reportent plutôt sur la candidature d’Hervé Morin tandis les radicaux seraient plus proches politiquement de Jean-Christophe Lagarde.

Cependant, les enjeux ne sont pas seulement programmatiques (le projet de l’UDI sera construit collectivement dans les mois prochains) mais aussi personnels : quelle est la personnalité la plus apte à tenir l’UDI face au Front national, face à la volonté hégémonique d’une UMP livrée de nouveau à Nicolas Sarkozy, face à un pouvoir socialiste vacillant mais institutionnel fort ?

Jean-Christophe Lagarde (47 ans), l’avenir du Centre conquérant

En ce qui me concerne, la réponse est sans hésitation Jean-Christophe Lagarde dont la première place au premier tour est la preuve de sa capacité à mobiliser les énergies alors que beaucoup ne l’imaginaient même pas au second tour, alors qu’il concourait face à deux anciens ministres beaucoup plus demandés par les médias.

Jean-Christophe Lagarde s’est engagé en politique il y a vingt-cinq ans au sein du Centre des démocrates sociaux. Il avait eu le projet fou de s’attaquer à un bastion historiquement communiste, à une ville communiste, à une circonscription communiste depuis la fin de la guerre. Or, son travail acharné sur le terrain, au contact avec la population, et sa persévérance et foi en des convictions solides et constantes, lui ont permis de conquérir la ville de Drancy le 11 mars 2001 dès le premier tour avec 50,8% (réélu dès le premier tour le 9 mars 2008 avec 69,5% et le 23 mars 2014 avec 75,1%) et la circonscription de Bobigny (5e de Seine-Saint-Denis) le 16 juin 2002 avec 50,01% (réélu le 17 juin 2007 avec 59,9% et le 17 juin 2012 avec 56,7%), et il a même réussi à faire élire le 25 septembre 2011 au Sénat le maire du Bourget, Vincent Capo-Canellas. D’une terre particulièrement hostile aux idées centristes (aux législatives du 21 mars 1993, il avait été exclu du second tour dans sa circonscription avec un duel PCF contre FN !), il a réussi à convaincre un électorat "de mission" grâce à ses grandes qualités.

Jean-Christophe Lagarde fait partie d’une nouvelle génération qui a déjà beaucoup d’expérience (une quinzaine d’années comme parlementaire et comme maire), encore jeune (il va avoir 47 ans le 24 octobre prochain) et plein d’impatience d’en découdre avec ses adversaires, au point que l’ex-ministre RPR Éric Raoult (l’un des piliers de l’UMP en Seine-Saint-Denis juste avant ses déboires personnels et électoraux) l’avait décrit ainsi en 2007 : « Il est UDF à Paris et sarkozyste dans le 9-3 ».

Le journaliste Bruno Jeudy l’avait compris de la même manière : « [En 2000], lui, le gamin de Seine-Saint-Denis, peu connu du grand public, s’en fiche. Il veut tous les impressionner : les Bayrou, Borloo, Donnedieu, Douste-Blazy, Robien… (…) [En 2002], il fait son entrée à l’Assemblée et ne tarde pas à se faire remarquer. Il attaque tous azimuts. La droite, la gauche, l’Élysée. Il fait du Sarkozy dans le parti de François Bayrou. » jusqu’à le citer (en pleine campagne pour François Bayrou) : « Il y en a marre de cette monarchie républicaine. De ces candidats qui promettent tout et ne tiennent rien. Je sui libre. Je ne dois rien à personne. Je dis ce que je pense. » ("Le Figaro" du 3 mars 2007).

Quel degré d’ambition souhaite l’UDI ?

En gagnant la première place au premier tour de cette élection interne, Jean-Christophe Lagarde montre à l’évidence qu’il est capable de mettre en œuvre les moyens de ses ambitions. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si son leitmotiv est le "Centre conquérant", car c’est la seule question qui reviendra : qui pourra un jour représenter sérieusement les centristes dans une élection présidentielle avec l’objectif de la remporter ? Sûrement pas Hervé Morin qui avait renoncé dès février 2012 et abandonne aujourd’hui tout leadership pour l’avenir. Est-ce le meilleur moyen d’être indépendant ?
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L’enjeu, finalement, reste médiatique : vaut-il mieux une image déplorable (12% de cote d’avenir en septembre 2014) ou pas d’image du tout ? Car le manque de notoriété n’est finalement que passager. Pressenti avant l’élection présidentielle de 2002 pour aller à Matignon, Jean-Pierre Raffarin, pratiquement inconnu du grand public, avait répondu que ce problème serait réglé dès qu’il prendrait ses fonctions.

Après tout, c’est inévitable si l’on parle de renouvellement de la classe politique, laisser de nouveaux leaders prendre le dessus avec l’ambition mille fois affirmée de conquête. Jean-Christophe Lagarde a déjà montré qu’il sait faire quelques miracles électoraux !… L’ambition de l’UDI dépendra donc de l’ambition de ses membres qui éliront son prochain président.

Le vote du second tour se fera par correspondance du 8 au 13 novembre 2014 et les résultats seront proclamés le 13 novembre 2014. Le nouveau président prendra ses fonctions lors du congrès de l’UDI qui aura lieu le samedi 15 novembre 2014 de 10h00 à 17h00 à la Maison de la Mutualité (24 rue Saint-Victor à Paris 5e).

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 octobre 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Résultats du premier tour de l'élection du président de l'UDI (16 octobre 2014).
L'après-Borloo (1).
L'après-Borloo (2).
Jean-Louis Borloo.
François Bayrou.
L’alliance UDI-MoDem.
La création de l’UDI.
La famille centriste.
Les listes centristes aux européennes de 2014.
Résultats des européennes de 2014.
Jean-Christophe Lagarde.
Hervé Morin.
Le Nouveau centre.
Laurent Hénart.
Rama Yade.
Radicaux de gauche.
Candidature de Jean-Christophe Lagarde.
Candidature d’Yves Jégo.
Candidature d’Hervé Morin.
Candidature de Jean-Christophe Fromantin.
Ex-candidature d’Emmanuel Pasco-Viel.
Ex-candidature de Jean Arthuis.
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http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-udi-en-piste-pour-la-renovation-158186


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