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"Et elle s'est emparée du Royaume" de Nadia Piccard

Publié le 19 octobre 2014 par Francisrichard @francisrichard

Le 19 octobre 2014 est dans l'Eglise catholique le dimanche de la Mission universelle. L'évangile du jour est celui du dialogue entre le Christ et les Pharisiens qui lui demandent s'il est permis de payer l'impôt à l'empereur:

""Montrez-moi la monnaie de l'impôt."

Ils lui présentèrent une pièce d'argent. Il leur dit:

"Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles?"

"De l'empereur César", répondirent-ils.

Alors il leur dit:

"Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.""

Cette répartie subtile du Christ, déjouant le piège tendu par ses interlocuteurs hypocrites, fonde, avec cette autre phrase, prononcée par le Christ à l'adresse de Pilate: "Mon Royaume n'est pas de ce monde.", la disjonction chrétienne du politique et du religieux, pour reprendre l'expression lumineuse qu'emploie Jean-Louis Harouel dans son livre Le vrai génie du christianisme, lequel commente:

"En plaçant Dieu et César sur deux plans distincts, en situant leurs royaumes respectifs à des niveaux tellement différents, Jésus a posé les bases de leur existence séparée et non nécessairement conflictuelle. Il a marqué à la fois leur différenciation et leur possible coexistence. Du fait que le royaume de Dieu n'est pas de ce monde, il n'y a pas de concurrence terrestre de Dieu et César. Dès lors, payer l'impôt exigé ne devait pas poser de problème."

Jean-Louis Harouel ajoute:

"Là est vraiment la source de la distinction entre le politique et le religieux, de la sécularisation de l'intelligence et de la vie au sein de la société, de la libération de la pensée et de la vie sociale par rapport au religieux."

Rien de tel dans l'islam.

Jean-Louis Harouel cite Rémi Brague:

"Pour l'islam, la séparation du politique et du religieux n'a pas le droit d'exister. Elle est même choquante, car elle passe pour un abandon de l'humain au pouvoir du mal, ou une relégation de Dieu hors de ce qui lui appartient. La cité idéale doit être ici-bas. En principe, elle y est même déjà: c'est la cité musulmane."

(La loi de Dieu, 416 pages, Gallimard, 2005)

Ayant lu au petit jour le récit de la conversion, de l'islam au Christ, de Nadia Piccard, j'ai tout naturellement pensé à ces passages du livre de Jean-Louis Harouel pendant l'office du jour.

Car, dans Et elle s'est emparée du Royaume, tout juste réédité ce mois-ci par Pierre Téqui Editeur, l'auteur raconte que c'est l'absence de libertés individuelles en islam, où spirituel et temporel sont intriqués, qui l'a conduite peu à peu à vouloir s'en affranchir.

Nadia est née en Algérie, à la wilaya de Tipaza, juste avant l'indépendance de l'Algérie. Son père décide de partir, sans un sou en poche, pour la métropole, elle ne sait pas pourquoi:

"Il voulait sans doute réussir puis revenir, fortune faite. Il ne comprenait pas vraiment la situation politique. Les Français et les Algériens avaient jusque là travaillé ensemble, sans trop de problèmes..."

Si son père ne s'occupe pas d'elle - elle n'est qu'une fille - mais de ses frères, sa mère prend soin d'elle, surtout lors des grandes fêtes.

A cinq ans, Nadia a un premier contact avec la religion catholique en la personne d'un vieux monsieur, qui les appelle, elle et son frère Youssef, à écouter le chant mélodieux des oiseaux. Le monsieur aux oiseaux est le curé d'une église qui se trouve sur le chemin de leur école:

"Il ne nous a jamais proposé d'entrer dans son église. Mes parents avaient leur foi musulmane, et chacun avait son Dieu."

Après avoir déménagé, les parents de Nadia sont aidés par des catholiques. Ils s'occupent de leurs papiers - Dieu sait que la France est bureaucratique! -, mais cela ne signifie pas qu'ils veuillent leur ressembler:

"Fidèles à la religion musulmane, mon père ne voulait faire aucun écart dans sa pratique. Ma mère aussi était une gardienne farouche de notre religion."

Après un nouveau déménagement dans une HLM, où se côtoient des Italiens, des pieds-noirs, des juifs, la vie est difficile pour Nadia:

"J'étais encore jeune, l'intégration n'allait pas de soi. Surtout avec ma couleur de peau et mon prénom arabe..."

Pendant les vacances la famille retourne en Algérie où se trouvent les frères et soeurs de son père. Nadia a peur qu'un jour ses parents la laissent là-bas. C'est ce qui la détermine, à dix-sept ans, à acquérir la nationalité française, mais, encore mineure, il lui faut l'autorisation parentale. Elle attend donc un an:

"Par bonheur, je pus intercepter la convocation au commissariat pour retirer ma carte d'identité au nez et à la barbe de mes parents. C'est sans le moindre regret que je restituai ma carte de séjour algérienne. J'étais heureuse, fière de ma nouvelle nationalité. Enfin, j'étais française et libre!"

Toujours à dix-sept ans, elle trouve un emploi en alternance comme apprentie de commerce dans un magasin de vêtements et, au mois d'août, pendant ses vacances, elle garde les enfants d'une famille aristocratique, catholique pratiquante, dans le Dauphiné, pour échapper un peu à la coupe familiale. Son père ne peut s'empêcher de la mettre en garde:

""Ces gens-là mangent du porc!" Et d'ajouter: "S'ils te parlent de leur Dieu, tu leur diras: Nous avons Allah le Tout-Puissant."."

Nadia passe ainsi plusieurs étés dans cette famille. C'est un bouleversement pour elle, qui n'a jusqu'alors fréquenté que des musulmans, que de se trouver "projetée chez des Français chrétiens de bonne famille":

"Encore musulmane, je n'avais pas la même vision des choses: le langage de l'amour, le respect des choix de l'autre, tout cela n'existait pas dans ma famille. Chez moi, j'entendais: "Fais attention avec les Français." Je ne savais pas trop pourquoi il fallait faire attention à eux, mais j'étais musulmane, je devais donc obéir."

Nadia a vingt ans et passe un dernier été avec cette famille, cette fois sur l'île de Ré. Elle est très appréciée et on lui propose de poursuivre ses études en région parisienne et de s'occuper des enfants après ses cours:

"J'étais intéressée vraiment. Mais quitter ma famille, partir ailleurs, loin des miens, m'angoissait un peu. Je n'avais jamais quitté ma famille pendant si longtemps. Je demandai un délai de réfexion, puis refusai."

Nadia souhaite échapper au carcan musulman. En cachette de ses parents, elle prie donc Dieu de rencontrer un Français, "un mari compréhensif", pour en sortir. Et elle rencontre Michel, "un gentil garçon, blond aux yeux bleus", qui a quelques années de plus qu'elle...

Surprise un jour en la compagnie de Michel, par un de ses frères et un de ses oncles, elle est insultée au retour chez ses parents et reçoit même des coups... Ses parents s'activent pour lui trouver un "cousin" comme mari, mais elle s'échappe de chez eux auparavant, pour ne plus jamais revenir:

"J'avais peur de la réaction des miens, mais ma décision était irrévocable. Je voulais gagner ma liberté. Par tous les moyens."

A partir de ce moment-là Nadia va être harcelée par ses parents, ses oncles, ses frères. Malgré toutes les intimidations, elle et Michel, dont la famille l'a bien reçue, décident de se marier:

"En projetant de me marier avec un non-musulman, un chrétien en plus, je faisais plus qu'enfreindre un tabou, je m'apprêtais à commettre un crime!"

Pourtant, après qu'ils sont mariés, pour que Nadia ne rompe pas avec sa famille, Michel se prépare à se convertir à l'islam, non par conviction, mais par amour pour elle...

Comme la conversion tarde, on emploie les grands moyens pour que Nadia quitte ce "fils de porc": le poison, les sortilèges, le marabout... Elle tombe malade. Son calvaire dure trois ans, jusqu'à ses vingt-cinq ans.

Un beau jour, Michel, Nadia et leurs deux enfants, pour échapper à ces persécutions, finissent par quitter Grenoble et s'installent dans le Var, à La Londe-les-Maures...

Quelque temps plus tard, invitée par une amie à Grenoble, Nadia a une première expérience dans une église - pénétrer dans une église est l'offense suprême de la part d'une musulmane -, lors de la fête de Saint Thérèse de Lisieux, la Sainte Patronne des Missions:

"Cette première expérience dans une église m'avait beaucoup touchée, et je n'avais plus qu'une idée: découvrir l'église de mon nouveau village. Je ne le savais pas, mais j'allais faire une vraie rencontre. Une rencontre qui allait bouleverser ma vie."

Cette rencontre, c'est celle de Dieu vivant dans l'Eucharistie, à laquelle elle communie, sans être baptisée, dans cette église où un prêtre célèbre la messe en présence de deux personnes âgées et où elle transgresse donc gravement la loi islamique:

"Une voix douce me disait: "Mon enfant, je t'aime d'un amour unique et infini. Ma passion et ma mort peuvent en témoigner..." Un dialogue extraordinaire s'engagea avec le Christ pendant mon action de grâces: "Seigneur, pourquoi n'y a-t-il personne dans cette église pour te recevoir? - Ils se sont tous endormis..." J'étais très émue et restais à l'écoute par cette proximité et par toute cette tendresse que le Christ me donnait..."

Après cette rencontre, Nadia a été baptisée (sous le prénom de Thérèse), ainsi que ses trois enfants. Elle s'est mariée à l'église (il n'était plus question que son mari se convertisse à l'islam). Elle a reçu le sacrement de confirmation:

"Dès lors je me suis donnée à fond, avec joie et fierté, dans la catéchèse, aussi bien dans les collèges privés que dans les paroisses, ou pour des enfants scolarisés dans le public, et cela depuis une bonne quinzaine d'années maintenant."

En 2007, Nadia est retournée en Algérie, lors d'un voyage pour une ordination, après dix-sept ans d'absence et de silence:

"Il y a longtemps, j'avais quitté l'Algérie musulmane. Et j'y retournais chrétienne.

Une Algérienne s'était emparée du Royaume... Ce fut l'immense bonheur, au plus profond de mon coeur, que je ressentis alors. Savoir la présence de Jésus-Christ vivant, en pleine terre d'islam."

Francis Richard

Et elle s'est emparée du Royaume, Nadia Piccard, 160 pages, Pierre Téqui Editeur


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