Le Hamas peut se targuer de certains succès lors de la dernière agression israélienne, même s’il n’a pas réussi à les transformer sur le plan politique – ou plutôt on a tout fait pour que ce ne soit pas le cas. Succès militaires sans doute, mais également, cela a été moins noté, sur le plan de la guerre de l’information. Mettant à profit les conseils du Hezbollah, les militants du Hamas ont considérablement changé de ton. Délaissant en partie l’appel à la compassion et à la justice de la part de victimes impuissantes réclamant l’aide de la communauté internationale, ils ont adopté une autre rhétorique, plus proche de la réalité des combats et plus strictement informative (article Al-Akhbar en arabe). Alors que les autorités d’Israël muselaient leurs propres médias, ce positionnement assez inédit pour le Hamas lui a valu d’être écouté, au sens propre du mot, par les civils israéliens à la recherche d’informations. De même, la mobilisation palestinienne sur les réseaux sociaux a posé de sérieux problèmes d’« image » à l’armée israélienne, comme elle reconnaît elle-même sur son site officiel.
Longtemps domaine réservé des seuls « pro-occidentaux », la communication politique, dans ce qu’elle a de plus professionnel, est par conséquent une arme qu’utilisent désormais les différents camps de l’islam politique. Le Hezbollah avait ouvert la voie il y a longtemps, lors de sa guerre de libération du Sud-Liban, avec les premières opérations filmées et leur utilisation dans une stratégie de communication sophistiquée. Son ennemi d’aujourd’hui, l’Etat islamique (en Irak et au Levant), fait preuve lui aussi d’une efficacité remarquable. Dans un registre classique, il y a bien entendu la revue Dabiq – du nom d’un village près d’Alep où le prophète aurait prédit la défaite des Byzantins, défaite à laquelle le monde serait en train d’assister grâce aux victoires du calife al-Baghdadi. Le magazine, entièrement rédigé en anglais avec une mise en page soignée (un exemple en haut de ce billet), est disponible sur les meilleurs sites internet.
Des sites qui sont nombreux car Mr Facebook et ses amis des réseaux sociaux, incroyablement réactifs dès qu’il s’agit de fermer une page pro-palestinienne comme on l’a constaté il y a quelques mois avec l’affaire de la troisième intifada (voir ce billet d’avril 2011), sont en revanche aussi inefficaces sur le Net que des bombardiers US lorsqu’il s’agit de stopper l’avancée des troupes de Daesh ! Prenez n’importe quel moteur de recherche, et vous trouverez à profusion, et sans la moindre difficulté, Dabiq ou encore Salîl al-sawârim (صليل الصوارم : mieux vaut le chercher avec les caractères arabes), à savoir « l’entrechoquement des sabres bien tranchants », une super-production assez gore, qui en est déjà à son quatrième film de plus d’une heure. On y voit se faire joyeusement trucider, sans le moindre effet spécial et avec un réalisme impitoyable, une multitude de mécréants qui visiblement méritaient l’enfer. Aux dernières nouvelles, le département « agit’prop » de cette organisation vraiment très bien organisée prépare des jeux vidéos, pour distraire ses militants tout en continuant à prêcher la bonne parole comme il est dit dans cet article (en arabe). A ceux qui trouverait cela de mauvais goût, on rappellera que l’armée US utilise la même technique, éprouvée en Irak notamment, depuis des lustres (voir ce billet de juillet 2007).
Du côté de l’islam politique plus institutionnel, on s’intéresse aussi à ces questions. Il y a quelques semaines, le site Al-Monitor révélait ainsi dès septembre dernier que le parti Ennahdha s’était attaché les services d’une des plus grosses (et sulfureuses) boîtes de Public Relation, la société étasunienne (nobody’s perfect!) Burson-Marsteller, laquelle s’est par exemple récemment illustrée en Ukraine (côté atlantiste, faut-il le préciser). Tout cela n’a rien à voir bien entendu avec les prochaines élections tunisiennes à la fin de la semaine. Les termes du contrat ne sont pas publics mais certains parlent de 18 millions de dollars. Qui paiera ? En ces temps de Qatar bashing, le « pauvre » petit Emirat du Golfe fait un coupable tout trouvé, d’autant plus qu’il ne s’est pas privé d’intervenir dans les affaires internes de ce très « cher » (façon de parler bien entendu) pays frère…
Seul point commun dans les trois exemples que l’on vient de citer : le professionnalisme et le sérieux, ainsi que l’absence totale d’humour et d’esprit décalé. Tout le contraire en somme du langage « inventé » par les jeunesses arabes lorsqu’elles arrivaient encore à se révolter et à libérer leur parole. Quelles que soient leurs stratégies, les communications politiques qui se déploient aujourd’hui à l’intention des publics arabes rompent clairement avec le ton du « Printemps arabe » et sa rhétorique décalée, aussi imaginative et créatrice qu’ironique. Une fois de plus s’il en était besoin, on voit que la fin de la récréation, pour la jeunesse arabe, a été sifflée.
Pas totalement malgré tout. Toujours en Tunisie, un petit parti, Afek Tounes (Horizons tunisiens), a réussi à faire parler de lui en proposant une campagne un peu décalée, sous la forme d’une chanson (assez maladroitement ) entonnée par ses dirigeants (article ici). Plus significatif encore, on a beaucoup parlé ces jours derniers d’une vidéo moquant un des principaux candidats, Béji Caïd Essebsi, leader du parti Nidaa Tounes (L’appel tunisien). Cette vieille figure de la politique locale, ancien ministre de l’Intérieur sous Bourguiba (c’est dire si ça ne date pas d’hier !) se fait tailler un costard par un humoriste local, Hatem Karoui. Dans son clip, avec rimes et rythmes anglo-saxons (pas forcément un bon signe par rapport au public visé), Sebsi rime avec sexy, sur fond d’allusions vachardes sur les déclarations politiques du vieux bonhomme et sa santé (voir cet article). On n’est pas obligé de trouver la vidéo (visible ici) extrêmement drôle, ni même très réussie. Mais comme le souligne Riad Guerfali, un des fondateurs historiques du portail Nawaat et des luttes en ligne, l’irrévérence des œuvres de l’esprit, est « un des impératifs les plus vitaux » de la démocratie !
Premier pays des soulèvements arabes, la Tunisie fait donc encore exception dans une région où la communication politique n’est pas vraiment très irrévérencieuse (même les Egyptiens sont visiblement terrorisés aujourd’hui par toute tentative de faire de l’humour et ce n’est pas sous Sissi que Bassem Youssef ferait le guignol comme il l’a fait avec Morsi, « bon prince » finalement malgré toutes les intentions qu’on a pu lui prêter, à lui et aux Frères musulmans). En attendant la suite dans ce pays, à l’issue des élections qui auront lieu à la fin de la semaine, cette courte vidéo, proposée en avril 2012 et présentée dans cet article). Cette publicité pour le chewing-gum Florident, qui purifie l’haleine et même celui d’une grenouille qui ressemble étrangement à l’actuel président – toujours provisoire – de la République, sur fond d’hymne national, est un vrai… sacrilège !