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Pourquoi Barack Obama va perdre les élections de mi-mandat 1/2

Publié le 24 octobre 2014 par Délis

Le 4 novembre prochain, les électeurs américains se rendront aux urnes pour désigner la totalité des 435 élus de la Chambre des Représentants (désignés pour deux ans) et un tiers de leurs 100 sénateurs (élus pour six ans). Par ailleurs, 38 des 50 États rééliront leur gouverneur, et de nombreuses législatures d’Etats (les parlements locaux) et élus locaux (maires, conseils municipaux, juges, commissions scolaires, etc.) seront renouvelés. Enfin, des questions diverses (hausse du salaire minimum, exploitation du gaz de schiste, culture d’OGM, légalisation de la marijuana, projets d’aménagements publics, etc.) seront soumises par référendum aux électeurs.

Les élections « de mi-mandat » – qui se tiennent donc entre deux élections présidentielles – sont très souvent le théâtre d’une défaite pour le parti du Président. Depuis 1862 et la stabilisation d’un système bipartisan américain entre républicains et démocrates, seules trois des trente-sept élections de mi-mandat se sont soldées par une victoire du parti présidentiel à la Chambre des Représentants. Une tendance qui n’a pas grand-chose à voir avec la popularité du président en place, puisque des Présidents très populaires comme Franklin D. Roosevelt en 1938 (57% d’opinions favorables en octobre selon l’institut Gallup), Dwight Eisenhower en 1958 (57%) ou Ronald Reagan en 1986 (63%) ont vu leur parti défait lors du scrutin de mi-mandat aussi bien que des Présidents très critiqués comme Harry Truman en 1946 (33%), ou George W. Bush en 2006 (37%). Certes, l’ampleur de ces échecs diffère (cf. graphique 1), puisqu’elle est comprise entre 77 sièges perdus (sur 435) en 1922 et 4 en 1962 (en plus des trois exceptions, que nous expliquerons), mais pas la tendance de fond.

Graphique 1 – Le nombre de sièges perdus à la Chambre des Représentants par le parti du Président à chaque élection de mi-mandat

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Dans ce premier article, nous allons voir que plusieurs modèles ont été avancés pour comprendre ce phénomène. Ces modèles sont d’autant plus intéressants qu’ils peuvent nous aider à mieux comprendre le même phénomène de ce côté de l’Atlantique, alors que la gauche au pouvoir vient de subir des échecs électoraux historiques, après les déboires d’ampleur similaire connus par la droite entre 2002 et 2012.

Les élections de mi-mandat comme un référendum sur le Président en place ?

Certains voient les élections de mi-mandat comme un référendum sur le Président. En 1975, le chercheur Edward Tufte estimait que « puisqu’il n’y a pas d’autres cibles disponibles lors des élections de mi-mandat, il n’est pas déraisonnable de penser que les électeurs opposés au Président reportent leur insatisfaction envers l’administration sur les candidats du parti du Président ». Deux variables permettraient alors de juger du degré d’insatisfaction des électeurs, et donc de prévoir les résultats des élections de mi-mandat : la popularité du Président, et la situation économique sur l’action du président. Ces deux variables lui permettaient de prédire, avec une grande sûreté, l’ampleur de la défaite du parti du Président aux prochains scrutins.

Toutefois, un tel modèle, s’il permet de prévoir des résultats, ne les explique pas bien. Surtout, il ne permet pas de comprendre pourquoi le parti du Président perd systématiquement les élections de mi-mandat, même quand l’Exécutif est populaire ou quand la situation économique est bonne. En 1977, un autre universitaire, Samuel Kernell, a tenté de répondre à ce paradoxe en s’appuyant sur l’idée largement répandue en psychologie sociale selon laquelle les opinions négatives ont une influence supérieure aux opinions positives. Il a montré que c’était aussi le cas en matière de comportement électoral. Ainsi, l’électorat mécontent des politiques publiques ou de la personnalité du Président a tendance à se mobiliser plus massivement que l’électorat qui s’en satisfait. Le fait que des Présidents populaires aient connu des défaites en des temps de prospérité économique s’éclairait alors.

Enfin, d’autres travaux ont montré que la stratégie des leaders politiques amplifiait l’effet de la conjoncture (économie et popularité du Président). Les responsables des partis prennent en effet des décisions qui ont une influence capitale sur les résultats des élections, et notamment sur ceux des élections de mi-mandat. Gary Jacobson et Samuel Kernell ont avancé que « les politiciens ambitieux sont de formidables candidats. Mais ils sont aussi ceux qui prennent le plus de risque à concourir : une défaite, c’est au moins un retour en arrière, et c’est au pire une mort politique. Les meilleurs candidats sont donc aussi ceux qui prennent le plus de précautions dans leur décision de se présenter ou non devant les électeurs. Ils sont les plus sensibles à analyser leurs chances de victoire et les facteurs qui peuvent influer sur ces chances ». Si les conditions paraissent favorables alors les candidats à la candidature seront nombreux, et inversement. Les militants et les contributeurs financiers font le même calcul : leurs efforts seront mieux récompensés si les circonstances politiques sont favorables, donc ils concentrent leurs efforts pour les scrutins qui paraissent bien engagés pour leur parti. Ainsi, le fait – bien connu – que les élections de mi-mandat sont systématiquement perdues par le parti du Président a en lui-même un effet repoussoir sur les candidats prometteurs de ce parti, ainsi que sur ses militants et ses donateurs.

Un cercle vicieux s’établit donc, qui conduit à une défaite quasi certaine d’un parti présidentiel handicapé par l’apathie de ses électeurs, le désengagement de ses meilleurs candidats, le tarissement de ses mannes financières, la mauvaise volonté de ses militants, etc. Au contraire, l’opposition a toutes les chances, lors d’un scrutin à mi-mandat, de mobiliser ses électeurs, de présenter des candidats encourageants et de réunir des ressources militantes et budgétaires. Dans ces conditions, la défaite du parti du Président et la victoire de l’opposition semblent quasiment inéluctables – ce qu’elles sont, comme l’histoire politique américaine nous le montre.

Les élections de mi-mandat comme le contrecoup mécanique de l’élection présidentielle précédente ?

Un autre type d’explication considère que lors des élections de mi-mandat, le parti du Président connaît un reflux « mécanique » par rapport aux élections présidentielles. Dès 1936, le conseiller de Roosevelt Hyman Schorenstein tentait de rassurer un jeune candidat inquiet du manque d’implication du parti dans sa campagne, dans un dialogue reproduit 20 ans plus tard dans Newsweek :

« - Mon garçon, dit Hymie, as-tu déjà vu un ferry arrivant au port ?
- Bien sûr, répondit le jeune homme.
- Alors tu as remarqué que, quand le ferry entre dans le port, il charrie avec lui des débris de toutes sortes, morceaux de bois, poissons morts, etc.
- Oui.
- Mon garçon, répond Schorenstein, cesse de t’inquiéter. Le Président Franklin Roosevelt est notre ferry, nous sommes les débris. »
 

Pour le dire autrement, lors d’une l’élection présidentielle, les candidats à la Chambre appartenant au parti du candidat vainqueur de l’élection bénéficient de l’effet d’entrainement dû au contexte économique, à la personnalité du candidat, etc. Mais une telle affirmation a une conséquence obligatoire : aux élections de mi-mandat, quand le Président n’est plus directement en lice, il n’a plus pour effet de pousser les candidats de son parti, qui en subissent donc les conséquences.

Cette théorie a été formalisée par Angus Campbell en 1960 et 1966 sous le nom de « Surge and Decline », puis par James Campbell en 1997 sous le nom de « Presidential Pulse ».

Pour eux, lors d’une élection présidentielle, l’intérêt des médias et la participation électorale sont élevés. D’autre part, les circonstances du moment (la personnalité des candidats, la situation économique, les enjeux politiques mis en avant dans les médias, etc.) favorisent un des deux candidats, celui qui va finalement l’emporter. Ces deux mouvements (participation élevée et circonstances du moment) n’ont pas les mêmes conséquences sur les différentes parties de l’électorat. Les électeurs appartenant au parti « avantagé » par ces circonstances votent en masse, car rien ne vient a priori tempérer leur enthousiasme. En revanche, les électeurs du parti « désavantagé » par le contexte sont plus tentés par l’abstention : à leur inclinaison naturelle pour un parti répond la médiocrité de son candidat ou de son programme, ou encore la mise en avant d’enjeux très peu favorables. Enfin, les électeurs peu politisés, qui eux ne se sentent pas liés à un parti, sont structurellement les plus influencés par le contexte de la campagne, et ce d’autant plus que le niveau d’information élevé durant une campagne présidentielle rend ces influences omniprésentes. Perméables à la campagne électorale, ils porteront massivement leurs voix vers le candidat qui sera favorisé par les circonstances de l’élection : ce sont donc eux qui décident du résultat de l’élection, en basculant tantôt vers le candidat républicain, tantôt vers le candidat démocrate. Logiquement, les candidats au Congrès du parti qui est favorisé par ces circonstances en bénéficient eux-mêmes. Leur candidat à la présidentielle les tire vers le haut, les enjeux de la campagne favorisent leur parti, et leur programme paraît le plus adapté pour y répondre. Dans ce contexte, il bénéficient d’une « prime » électorale qui permet à nombre d’entre eux d’être élus.

Graphique 2 – La participation électorale aux élections présidentielles et à la Chambre des Représentants

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Deux ans plus tard, au moment des élections de mi-mandat, les élus à la Chambre du parti du Président doivent retourner devant leurs électeurs. Cette fois, la médiatisation de la campagne est plus faible, car l’enjeu semble moins décisif. Double conséquence, les circonstances du moment (personnalité, situation économique, enjeux politiques mis en avant, etc.) sont moins présentes et l’intérêt pour la campagne est moins élevé ; la participation s’en ressent et diminue très nettement (cf. graphique 2). Cette abstention touche surtout les électeurs peu politisés, qui avaient massivement contribué à la victoire du Président et des candidats au Congrès de son parti deux ans auparavant. En choisissant de ne pas voter, ils provoquent pour les candidats du parti du Président, qui ne peuvent désormais plus compter que sur le vote des électeurs politisés, des pertes électorales qui peuvent aller jusqu’à provoquer leur défaite. En revanche, le fait que le contexte de la campagne joue un rôle moindre provoque une participation plus élevée que deux ans auparavant chez les électeurs du parti qui avait perdu l’élection présidentielle : aucune pression particulière ne les empêche de voter pour leurs candidats. Et au contraire, on relève une participation plus faible des électeurs du parti du président, car cette fois le contexte (personnalité du candidat à la présidentielle, contexte économique) joue peu. En conséquence, contrairement au moment de l’élection présidentielle, la participation différentielle entre les deux camps est très limitée. L’enchevêtrement de ces évolutions conduit à la composition d’un corps électoral bien moins favorable au parti du Président, qui subit donc des pertes notables par rapport au scrutin précédent.

Tableau 1 – Le modèle du « Presidential Pulse »

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Cette théorie permet même d’expliquer une des trois exceptions à la règle : lors des élections de mi-mandat de 2002, il est logique que le parti du Président George W. Bush ait gagné 8 sièges à la Chambre, car son candidat à la présidentielle précédente avait perdu en voix contre Al Gore au niveau national (47,8% contre 48,4% au démocrate). C’est donc le parti républicain qui devait bien bénéficier du reflux mécanique de l’électorat démocrate.

On retrouve tous ces éléments dans le cycle qui a eu lieu entre l’élection triomphale de Barack Obama en 2008 et le désastre des élections de mi-mandat en 2010 pour les démocrates (cf. graphique 3). En 2008, l’importance du scrutin avait entrainé une forte mobilisation (62% de participation). Le parti démocrate était aussi très largement avantagé par le contexte (popularité de Barack Obama et impopularité du sortant républicain George W. Bush, crise économique, guerres très critiquées en Irak et en Afghanistan, scandales touchant le GOP, etc.). En conséquence, les électeurs démocrates ont été plus mobilisés que les républicains, les premiers représentant 39% de l’électorat, contre 32% pour les seconds. D’autre part, les électeurs indépendants, les plus influencés par le contexte, se sont nettement décidés en faveur de Barack Obama (52% des voix, contre 44% à John McCain). Conséquence de cette participation massive des démocrates et de ce choix des indépendants, Barack Obama a été largement élu avec 52,9% des voix, contre 45,7% à son adversaire. Dans son sillage, il a permis à de nombreux candidats de son parti à la Chambre d’être élus, puisque le groupe démocrate est passé de 233 à 257 élus, soit une augmentation de 21 sièges.

Graphique 3 – L’évolution de la participation et du vote par électorats entre 2008 et 2010

image midterms

Deux ans plus tard, dans un contexte général où la participation baisse (40%) à cause de la perception d’enjeux moins importants, l’impopularité grandissante du Président a provoqué un recul de la mobilisation des démocrates, qui sont passés de 39% à 36% de l’électorat. En revanche, très remontés contre la réforme de l’assurance santé, les républicains ont représenté 36% des électeurs (32% en 2008). Surtout, les électeurs indépendants, regrettant leur choix précédent, se sont moins mobilisés (passant de 29% à 27% de l’électorat) et ont massivement voté en faveur des candidats républicains (58%, contre 39% pour les candidats démocrates). Ces mouvements électoraux ont abouti à une défaite cuisante pour le parti démocrate, qui a perdu 63 sièges et sa majorité – la pire défaite pour le parti du Président à des élections de mi-mandat depuis 1938.

Nous verrons dans un prochain article que, à la suite de la réélection de Barack Obama en 2012, le contexte semble favorable à une nouvelle défaite des démocrates. Mais non contents de perdre de nouveaux sièges à la Chambre des représentants, ceux-ci pourraient même cette année perdre leur majorité au Sénat, faisant de Barack Obama un président impuissant pour les deux dernières années de son mandat.


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