Pendant des siècles, la formule latine « Verba volant, scripta manent » est restée valide. Si l’on peut, en l’absence de tout document écrit, conclure un bail oral, on s’en remet presque toujours pour signifier un accord à un texte écrit. Tout simplement parce que, si les paroles s’envolent, les écrits restent.
Cette primauté de l’écrit est constante. Un discours est rarement improvisé. Il a d’abord été rédigé, en particulier à l’intention d’un homme politique, et celui-ci le délivre, selon son talent oratoire, avec plus ou moins de puissance. L’utilisation récente de prompteurs lui permet de feindre une spontanéité destinée à accroître la force de persuasion de son propos mais surtout il évite ainsi de laisser son image à la merci de tel ou tel écart de sa parole.
Dans ma carrière, j’avais pu mesurer combien il était imprudent de s’en remettre à l’oral pour réagir à une situation donnée. Si une note de premier jet me permettait de consigner alors mes sentiments, je me gardais bien de la diffuser immédiatement. Je constatais le plus souvent qu’un temps de réflexion permettait une meilleure analyse de la situation et m’amenait à mieux ajuster ma réaction.
Cette maladresse de l’oral n’était pas toujours lourde de conséquences parce que, jusqu’à ses dernières années, les paroles s’envolaient. Ce n’est plus le cas désormais. Lorsqu’une personne, et a fortiori un homme politique, s’exprime, il court toujours le risque de voir ses actes ou, au moins, ses paroles, capturés par quelque caméra vidéo ou quelque micro. On peut voir les plus habiles biaiser, éviter de répondre aux questions, utiliser des formules vides pour se donner le temps de la réflexion, conscients du fait que tout ce qu’ils disent pourra être retenu contre eux. Mais, désormais, si les écrits demeurent toujours, les paroles persistent elles aussi.
La manifestation extrême de cette évolution de l’oral réside dans les messageries instantanées tel Twitter. Une caractéristique d’un tweet est que sa longueur est limitée à 140 caractères. Ceci pourrait être un avantage si son auteur mettait cette contrainte à profit pour réaliser un message reflétant le plus exactement possible sa pensée, message dont la brièveté augmenterait la puissance. Malheureusement, l’expérience montre que, très souvent, les auteurs perdent tout sens de la mesure et se trouvent parfois réduits à émettre des messages rectificatifs. C’est ce qui vient d’arriver à Gérard Filoche qui, emporté par sa fougue, avait salué la mort accidentelle de Christophe de la Margerie par une condamnation brutale de Total. Ceci lui valut une déferlante de critiques, même de la part de son parti, lui reprochant ce mépris des convenances. Il nous faut donc admettre que seuls les saints sont frappés par la mort, les oraisons funèbres devant rester toujours louangeuses.
Les paroles, conservant la vivacité et la spontanéité qui les caractérisent, ont, du fait de l’évolution technologique, acquis une des spécificités des écrits … elles restent.