Chroniques de l’ordinaire bordelais. Episode 122

Beckett

Les deux gamins me tournent autour, hésitants. Finalement le plus hardi s’adresse à moi :
– Madame, vous pourriez nous acheter des cigarettes ? D’habitude ça passe mais le monsieur qui est là, il ne veut pas.
- Vous feriez mieux de ne pas fumer, non ?
- Oui ! Mais quand on a commencé…
La fameuse solidarité des fumeurs… Des souvenirs d’adolescence… Ce discours familier… Ils sont gentils et polis… J’accepte pour – rendre un service qui n’en est pas un.
Dans le tabac, le vendeur est en train de parler à une cliente de gamins qui veulent acheter des cigarettes, cela lui est égal, à lui, mais il n’a pas le droit. Je réalise que les deux viennent juste de tenter leur chance. Mal à l’aise, sans croiser son regard, je demande deux paquets de Philip Morris.
– C’est pour les gamins ? s’exclame-t-il.
Je ne réponds rien car je sais qu’il est le seul à avoir raison. Mon silence se veut doute pour sauver la face mais personne n’est dupe. La cliente me lance un sourire amusé ou complice. Je paie rapidement avec la poignée de pièces puis tente de m’échapper mais il me rappelle :
– Attendez ! Je vous dois vingt centimes !
J’explique aux gamins qu’il n’a rien contre eux mais qu’il n’a pas le droit. En m’éloignant je leur glisse tout de même :
– Ce serait quand même mieux de penser à arrêter, non ?
Mais rien n’efface le fait que tout dans la situation, dans le comportement de chaque protagoniste est, qu’on le tourne dans un sens ou dans l’autre, absurde. J’aurais aimé dire à l’homme :
– Vous êtes le seul à avoir raison, mais hélas vous êtes seul…

Une coupable