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Des serviettes à ne pas prendre pour des torchons

Publié le 30 octobre 2014 par Rolandlabregere

Les avez-vous remarqués ? Dans de nombreux hôtels et autres lieux accueillant du public, des messages simples s’offrent à la vue. Il s’agit, au moindre coût, d’influencer l’usager ou le citoyen. Pour inciter les clients d’hôtels à ne pas demander chaque jour une nouvelle serviette de bain, il est désormais d’usage de rappeler à plusieurs reprises des consignes visant à diminuer la consommation d’énergie.

Des prescriptions argumentées
Résultat des recherches en sciences comportementales, le recours à des messages incitatifs argumentés commence à se développer en écologie, afin que le passage à l’acte devienne un automatisme. Les nudges aident l’individu à aller de l’idée à un nouveau comportement approprié aux enjeux. To nudge, en anglais, c’est pousser du coude. Il ne s’agit plus de prescrire et de stigmatiser des comportements qui seraient erronés mais d’inviter les usagers à une attitude conforme à des perspectives collectives. Finis les messages du type si vous consommez trop d’eau, la planète va finir par en mourir, place à la valorisation du bon comportement. Les nudges, pour être efficaces, cherchent à solliciter l’implication du destinataire du message. Le comportement attendu est suggéré : « Grâce à vous, chaque serviette triée représente 6 litres d’eau économisée », précise une chaîne d’hôtels qui a adopté la méthode des nudges pour délivrer des messages à destination de la clientèle. Les communicants qui recourent aux nudges vantent des dispositifs peu couteux qui mobilisent des méthodes douces.

L’utilisation des messages nudges prend modèle sur les dispositifs installés par les communicants du président Barack Obama, pour mettre en œuvre la réforme de l’assurance maladie. En 2010, un petit ouvrage qui fait la part belle aux exemples tirés de la vie privée (santé, choix de régimes alimentaires, épargne, factures dématérialisées des fournisseurs d’énergie, d’Internet ou les banques…) ou de questions sociales (dons d’organes, consommation d’énergie ou de produits alimentaires) a popularisé les avantages de la méthode des nudges. (Nudges. La méthode douce pour délivrer la bonne décision, Richard Thaler & Cass Sustein, Vuibert, 2010).

L’incitation douce, le coup de pouce public et institutionnel : des solutions pour faire partager au plus grand nombre les grandes questions du moment ? A y regarder de prés, l’optimisme des tenants des nudges pourrait être tempéré. Plusieurs interrogations peuvent être formulées quant à l’usage des nudges  comme technique de communication visant à faire prendre des décisions. Les questions abordées par le biais des nudges, et en particulier la thématique environnementale, sont vues sans  que soit effleurée la responsabilité des décideurs comme les entreprises ou les politiques publiques. On réfléchit avec la perspective que la partie (ma serviette est à changer) est prise pour le tout (les décisions et les choix énergétiques des politiques publiques). Cette approche métonymique de la question fait rapidement oublier que les décisions lourdes de conséquences pour l’environnement et le futur échappent au citoyen. Ne pas changer de serviette ne lui permettra pas de donner un coup de torchon aux politiques non-démocratiques. Quand des particuliers se prennent au jeu, le message prend une toute autre tournure. Il s'installe dans le contexte privé et se charge de sens.

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Les théories de psychologie comportementale actives dans les coulisses des nudges ont été d’abord éprouvées en matière de publicité et dans le champ de la mercatique. Qu’elles aient bonne presse aujourd’hui dans certaines écoles de commerce et servent de béquilles à des prescriptions managériales qui visent à promouvoir des comportements passifs ne peut que susciter quelques interrogations. L’environnement est une bonne cause. Son acceptabilité sociale ne fait pas de doute. Les nudges sous le couvert de slogans ou de messages qui d’apparence prennent la position de l’intérêt général s’insinuent dans la vie quotidienne des citoyens. Le conditionnement est en embuscade. Verra-t-on, sous prétexte de l’inefficacité des dispositifs en faveur de l’emploi, ou pour attester qu’un ministre pense que les chômeurs devraient s’activer à se mettre au travail, des slogans douteux sur le fronton de Pôle Emploi du type Le travail rend libre ? Des affiches vantant les bons exemples de comportements attendus sur les lieux de travail sonneraient le retour au stakhanovisme qui cohabitait harmonieusement avec le goulag.

Enfin, last but not least, les techniques comportementales sont muettes en ce qui concerne les motifs qui mènent aux décisions à prendre. Les destinataires des messages façon nudges sont invités à changer de comportement sans passer par la case « comprendre ». Ignorer pourquoi un comportement est bon, ne permet pas de s’approprier durablement celui qui est valorisé. Adhérer au contenu d’un message bien frappé ne signifie pas être convaincu. Cela montre simplement que la technique manipulatoire marche. La publicité, branche de l’économie comportementale, ne s’appuie pas sur l’humanisme. On peut ruiner sa santé avec des alcools de haute qualité. Pour l’apprentissage de la responsabilité, l’éducation et la pédagogie bénéficient des acquis de l’expérience. Les ignorer, c’est considérer que le conditionnement vaut mieux que l’apprentissage.


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