Après le tronçonnage territorial, voici une nouvelle lubie
présidentielle : il s’apprêterait à instaurer la proportionnelle intégrale pour l’élection des députés. Si l’on comprend bien l’intérêt du Parti socialiste (sauver les meubles) et le sien
(rebattre les cartes), on a le droit de se poser des questions sur la notion d’intérêt général pour lequel le Président de la République est censé agir.
Battant tous les records d’impopularité dans les sondages, avec à peine 15% de confiance depuis plusieurs mois, le Président de la République François Hollande va s’exprimer devant les Français dans une émission sur TF1 le
soir de ce jeudi 6 novembre 2014. Reprenant le format de son prédécesseur, il répondra à de simples citoyens, en plus des journalistes. Cette intervention marque le milieu de son quinquennat.
Or, depuis lundi, il semblerait que François Hollande s’apprêterait à faire une annonce
institutionnelle : l’instauration de la proportionnelle intégrale pour les élections législatives.
Ces rumeurs proviendraient des conseillers même de l’Élysée et on peut comprendre évidemment pourquoi ces bruits sont diffusés avant la prestation télévisée : pour sonder le microcosme et
voir si les réactions sont favorables ou pas.
Certains conseillers seraient même partisans d’en faire le sujet d’un référendum, avec, à la clef, une
possible dissolution avec le nouveau mode de scrutin. Cela chamboulerait toute la situation politique et pourrait permettre au Président, selon eux, de retrouver une nouvelle virginité dans la
confiance.
Une majorité étriquée
Il faut dire que la majorité présidentielle est de plus en plus étriquée. François Hollande a perdu sa majorité au Sénat le 28 septembre 2014 et lors du vote de la loi de finances à l’Assemblée Nationale, en première lecture, le 21 octobre 2014, la
majorité présidentielle s’était réduite à 266 députés contre 245 opposants en raison de l’abstention des socialistes "frondeurs" plus préoccupés par leur réélection dans leur circonscription que
par leur responsabilité au sein de la majorité. Même le modéré François Bayrou considère que cette situation va conduire inévitablement à une
dissolution.
Fausse bonne solution
Mon opinion contre le scrutin proportionnel n’est pas nouvelle et je compte ici rappeler quelques arguments de principe.
La proportionnelle, comme éventuellement la réduction du nombre des députés, me paraît une fausse bonne
solution qui pourrait, certes, avoir l’appui populaire, mais qui est du même type que l’instauration du
quinquennat dont on peut voir aujourd’hui, avec le recul de quatorze ans, les effets désastreux sur les institutions. À l’époque, les rares (dont moi) qui avaient refusé le principe du
quinquennat étaient ultraminoritaires (à peine 6,8% des électeurs inscrits au référendum du 24 septembre 2000).
L’idée de faire un référendum sur le sujet serait à double tranchant : François Hollande pourrait croire
que la grande popularité d’une dissolution dans les sondages l’aiderait mais on pourrait aussi imaginer l’inverse, que l’idée de la proportionnelle serait plombée par l’impopularité
présidentielle.
François Hollande serait-il capable d’aller plus loin dans le masochisme institutionnel que la dissolution
décidée le 21 avril 1997 par le Président Jacques Chirac (poussé par Alain Juppé et Dominique de Villepin), l’idée de se défaire d’une majorité parlementaire pourtant pléthorique pour se
retrouver …dans l’opposition ?
Des objectifs très politiciens
Bien entendu, François Hollande, qui connaît parfaitement l’histoire politique contemporaine, ne pense pas au
21 avril 1997 mais au 3 avril 1985, le jour où le Président François Mitterrand, au conseil des ministres,
après avoir étudié scrupuleusement les résultats des élections cantonales des 10 et 17 mars 1985, avait instauré la proportionnelle intégrale pour les élections législatives du 16 mars 1986.
L’idée de celui que François Hollande voudrait sans arrêt imiter jusqu’à l’intonation verbale avait trois
objectifs : réduire la victoire de l’opposition UDF/RPR, si possible en l’empêchant d’atteindre la majorité absolue, réduire l’effondrement du Parti socialiste, et surtout, encourager le
Front national à obtenir des sièges pour rendre la situation compliquée à droite. Le FN a obtenu 35 sièges ; le PS a évité l’hécatombe avec 206 sièges ; mais le troisième objectif n’a
pas été atteint, de justesse, la coalition UDF/RPR a gagné 290 sièges, soit un siège de plus que la majorité absolue, une majorité qui fut donc, à cause de sa petitesse, au garde-à-vous face au
premier gouvernement de la cohabitation.
Une projection a déjà fait le tour des médias sur le résultat en sièges si les élections législatives des 10
et 17 juin 2012 avaient eu lieu à la proportionnelle intégrale. Ce mode de scrutin aurait rendu la France totalement ingouvernable, ce qui, dans la situation économique et budgétaire actuelle,
aurait été de la folie pure (imaginons en France un "shutdown" comme celui des États-Unis l’an dernier).
En effet, le PS et alliés n’auraient obtenu que 223 sièges au lieu de 313 (la majorité absolue est à 289),
les écologistes 24 sièges, le PCF et alliés 30 sièges. De l’autre côté de l’échiquier, l’UMP aurait obtenu 204 sièges au lieu de 195, les centristes 11 sièges et la grande différence, c’est le FN
qui serait arrivé avec 85 sièges au lieu des 2 actuellement. Comme on le voit, avec les résultats de juin 2012 favorables à la gauche, il y aurait eu très peu de différence pour l’UMP et les
nombreux sièges supplémentaires du FN seraient acquis essentiellement au détriment du PS.
Une lourde responsabilité
Je n’ai pas eu connaissance de simulation sur la base des résultats des élections européennes du 25 mai 2014, mais il paraît évident que le FN, qui, à la proportionnelle déjà, représentant un quart des suffrages exprimés, avait obtenu un
tiers des sièges à pourvoir (notons que le FN profite désormais du système électoral), aurait un groupe à l’Assemblée Nationale très important si la proportionnelle intégrale était adoptée (le
plus grand, d’ailleurs, avec les résultats de mai 2014).
Pourquoi je considère que proposer aujourd’hui la proportionnelle intégrale est une faute politique
grave ?
1. Le contexte économique et social
François Hollande avait laissé entendre que sa seule priorité était l’emploi, et il avait raison de la
définir ainsi. Le chômage ne cesse de croître ces derniers mois, ne laissant au gouvernement aucune capacité de réussite.
Mais vouloir créer de nouveaux chantiers serait une erreur historique. Tout le pays devrait être focalisé sur
les moyens à mettre en œuvre pour redynamiser l’économie et créer des emplois. D’ailleurs, ces moyens sont discutés, sont discutables, il y a débat, et c’est ce débat public qui devrait faire
l’essentiel de la prestation gouvernementale.
Ouvrir de nouveaux fronts de clivage, après déjà le mariage
gay qui a mis plus d’un million de citoyens dans les rues, cela ne paraîtrait ni sage ni raisonnable. Au même titre que les éventuelles lois qui autoriseraient l’euthanasie active, le vote des étrangers, le débat sur la proportionnelle
intégrale polluerait le débat politique comme une diversion politicienne.
Il suffit de voir les énergies déjà perdues par le chamboulement
capricieux des régions françaises pour voir l’intérêt d’un chamboulement institutionnel. Ce qui a été reproché à Nicolas Sarkozy est
aujourd’hui amplifié par son successeur.
2. La proportionnelle intégrale n’est pas plus démocratique que le scrutin majoritaire
Ce qui nuit à la démocratie, ce n’est pas la manière de représenter le peuple, car la plupart des modes de
scrutin sont démocratiques : un député représente à peu près le même nombre d’électeurs, et même avec la proportionnelle, il y aurait des disparités inévitables en fonction de la démographie
de certains départements, le tout étant de les réduire (ce qui a été fait avec le redécoupage des
circonscriptions).
Ce qui nuit à la démocratie, c’est l’autisme de la classe politique, l’absence d’écoute des citoyens. Or, la
proportionnelle aurait pour effet d’accroître la distance qui sépare la classe politique du peuple.
Pour une raison très simple, les partis mettraient en tête de liste tous leurs apparatchiks. Pour s’en
convaincre, il suffit de revoir la constitution des listes aux dernières élections européennes. Le parlementaire serait alors encore plus l’obligé des partis et la parole des électeurs compterait
encore moins.
Le régime des partis serait donc renforcé avec la proportionnelle et les candidats indépendants ou atypiques
auraient alors beaucoup plus de mal à être élus. Un exemple parmi d’autres, avec la proportionnelle, Nicolas
Dupont-Aignan, qui pense ce qu’il veut mais qui a décidé de faire une aventure solitaire, ne serait jamais élu avec la proportionnelle alors qu’il est très apprécié de ses électeurs d’Yerres
où il a fait du bon travail depuis juin 1995, et où il a toujours été réélu député dès le premier tour (sauf en 2012).
Le FN d’ailleurs devrait aujourd’hui analyser, sur les bases des élections législatives partielles de l’année 2013 (une prochaine se profile avec la démission de Pierre Moscovici), que son intérêt est bien entendu dans le scrutin majoritaire, puisque, aujourd’hui, à son niveau d’adhésion
électorale, il réussit à se placer devant le PS dans de très nombreuses circonscriptions.
3. Une démocratie claire, c’est une bonne visibilité de ses acteurs
Qui connaît les députés européens élus dans sa grande circonscription il y a quelques mois ? Qui connaît
les élus régionaux de son département ? Tous les élus régionaux, pas seulement un ?
Avec la proportionnelle intégrale, le citoyen électeur aura bien plus de mal à connaître non seulement
l’action mais même l’identité des députés de son département. Avec une circonscription, le député tient nécessairement des permanences locales pour garder contact avec les électeurs, à la foi
dans un but de réélection (c’est humain), et dans un but de retour du local vers le national.
Les députés élus à la proportionnelle tiendraient certainement aussi des permanences, mais ils sauraient que
leur réélection ne dépendrait pas de la sympathie de leurs électeurs mais du numéro de la place sur la prochaine liste.
La proportionnelle va d’ailleurs dans le sens opposé de la limitation du cumul du mandat. L’un des arguments contre le cumul, c’était de dire que le député n’avait pas besoin d’être maire
pour savoir ce qu’il se passait localement car il agissait aussi dans sa circonscription… sauf s’il n‘y a plus de circonscription !
4. Le risque majeur de l’ingouvernabilité
S’il y a bien un jeu très dangereux qui risque de faire du perdant/perdant, c’est bien celui de jouer avec
les institutions : sauver quelques sièges au PS d’un côté, plonger la France dans une situation d’incapacité à être gouvernée d’un autre côté. L’irresponsabilité serait manifestement
suprême.
En effet, alors qu’aucun parti, actuellement, n’est en mesure de dépasser à peu près le quart des électeurs,
aucune majorité absolue stable ne serait possible dans la situation actuelle. En 1986, le paysage politique était beaucoup moins éclaté, le FN était naissant, et on revenait de scores encore très
élevés comme la liste Veil (UDF/RPR) qui avait obtenu 43,0% des voix aux élections européennes du 17 juin 1984.
Avec la proportionnelle, la classe politique serait susceptible de se perdre dans toutes les combinaisons
possibles, et renforcerait bien entendu tous les partis antiparlementaires, même s’ils auraient réussi à gagner des sièges.
Si l’idée était de faire admettre une "grande coalition" à
l’allemande, ou une "union nationale", il n’y aurait pas besoin de la rendre obligatoire par le jeu faussé du mode de scrutin, il suffirait
seulement de le vouloir maintenant. François Bayrou avait eu la réponse dès 2012 à sa main tendue.
5. On ne change pas les règles du jeu comme de chemises
Les gouvernements socialistes, depuis 2012, n’ont cessé de changer les règles du jeu électoral.
Ils ont modifié les règles du jeu aux élections municipales de
mars 2014, politisant les communes entre 1 000 et 3 500 habitants. Ils ont modifié le mode de scrutin aux sénatoriales de septembre 2014 pour réduire l’impact contre les sortants
socialistes.
Ils ont complètement refondu les cantons pour les élections départementales, en créant des binômes sexués
sans intérêt politique (et pourquoi seulement des couples homme/femme au moment où l’on a autorisé le mariage de couples de même sexe ?). Pire, le gouvernement a annoncé il n’y a que
quelques semaines que les élections départementales auraient lieu en mars 2015, sans même savoir si les départements seraient voués à disparaître, ni quels seraient leurs compétences dans le cas
contraire. À peine cinq mois alors que la moindre des choses est de donner des règles électorales claires au moins un an avant l’échéance.
C’est pareil avec les élections régionales prévues en décembre 2015 (à l’origine, elles devaient avoir lieu
en …mars 2014 !), et il est probable que les électeurs ne sauraient même pas dans quelle grande région ils voteraient. Et cela au moment où on s’apprêterait à supprimer la "propagande électorale officielle", vous savez, ces enveloppes où les candidats ont droit à une ou deux feuilles
pour présenter leur candidature à tous les électeurs inscrits, y compris ceux qui ne sont pas abonnés au réseau Internet.
L’instauration de la proportionnelle intégrale obéirait à ces changements de règle du jeu pour convenance
personnelle. Elle pourrait certes se faire dans des délais corrects (les prochaines élections législatives sont prévues pour juin 2017) sauf dans le cas d’une dissolution consécutive à la
réforme, car dans ce cas, il n’y aurait que l’espace de quelques semaines pour réagir.
6. Réduire le nombre de députés ?
Là aussi, c’est une proposition qui semblerait très populaire, et le premier à l’avoir suggérée, ce que je
regrette, c’est François Bayrou dans sa conférence de presse du 25 février 2012.
Pourtant, réduire le nombre de parlementaires, c’est le meilleur moyen de renforcer l’exécutif et l’autisme
présidentiel. Au contraire, les parlementaires sont élus non seulement pour faire et voter les lois, mais aussi pour contrôler le gouvernement, et vu la société très complexe dans laquelle on se
trouve, les parlementaires ne sont pas de trop pour aller enquêter sur l’action gouvernementale, que ce soit à propos de l’affaire Cahuzac, de l’écotaxe, ou, comme je l’espère, plus récemment, du
barrage de Sivens.
Il faudrait au contraire donner une plus grande marge d’action aux parlementaires de l’opposition pour
pouvoir faire des enquêtes même si la majorité les refusait. Petit à petit, certains parlementaires prennent leur autonomie avec l’exécutif, mais c’est encore rare. Comme René Dosière qui
n’hésite pas à enquêter chaque année sur le budget de l’Élysée et des ministères et qui vient de déclarer, le jeudi 30 octobre 2014, que les conseillers, dans les cabinets ministériels
d’aujourd’hui, avaient reçu des "rémunérations choquantes".
7. Faire un référendum, pourquoi pas ?
On ne pourra jamais dire qu’organiser un référendum n’est pas pertinent. Tout référendum est une ouverture
vers les citoyens et en tant que tel, il est un outil intéressant pour la démocratie.
Après l’échec du 29 mai 2005, il n’est cependant pas sûr que
le Président de la République prenne le risque d’un désaveu cinglant. Tout comme ce ne serait pas très prudent, pour lui, de dissoudre l’Assemblée Nationale. Jacques Chirac, par ses deux
décisions (dissolution et référendum) a peut-être éliminé de la pratique ces deux outils de respiration démocratique.
Néanmoins, avec un tel climat de défiance dans la population, le Président de la République a besoin de
reprendre pied, de prendre une initiative démocratique. Ce serait à mon avis une erreur historique de la baser sur le mode de scrutin. Il mettrait la France dans une IVe République
finissante. Il serait alors le véritable Président moi-ou-le-chaos.
La proportionnelle intégrale, exemple type de l’intérêt clanique sur l’intérêt national
En résumé, l’instauration de la proportionnelle intégrale ne résorberait pas le problème du chômage
(évidemment), ne redonnerait pas plus de poids au peuple (au contraire, les apparatchiks seraient plus nombreux à l’Assemblée Nationale). Elle n’aurait qu’un seul but, l’intérêt particulier du
clan socialiste, pour éviter le désastre électoral annoncé pour 2017.
Un Président de la République responsable, digne de la légitimité que plus de la moitié des électeurs lui ont
accordée le 6 mai 2012, ne devrait s’occuper que de l’intérêt national. Celui-ci commande de ne pas créer un nouveau front institutionnel où les énergies se perdraient au détriment des forces
vives pendant que l’économie mondiale, elle, se ressaisit.
Le suicide à la proportionnelle intégrale, ce ne serait peut-être pas celui de François Hollande ni celui du
PS, mais assurément celui de la France.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (5 novembre
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Manuel Valls.
L’impopularité alarmante.
Cumul des mandats.
Réforme des modes de scrutins locaux.
Réforme territoriale.
Le serpent de mer.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/suicide-a-la-proportionnelle-159024