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« Paul » en « Amar »

Publié le 06 novembre 2014 par Jean-Pierre Jusselme

Le journaliste qui a présenté le journal télévisé de France 2, animé les soirées électorales et animé l’émission Revu et corrigé, a publié "Blessures" (Taillandier) à la fin de l’été. Il raconte son enfance en Algérie, son adolescence à Villeurbanne et ses premiers pas dans le journalisme comme correspondant de guerre.  Dans un entretien avec des journalistes du Club de la Presse de Saint-Etienne Loire à l’occasion de sa venu à la Fête du livre de Saint-Etienne, il exprime son inquiétude face à la montée du racisme et de l’antisémitisme.

AMAR Paul 300x200 Paul en AmarPaul Amar, vous avez 64 ans, vous êtes né en Algérie et vous venez de publier un livre intitulé « Blessures ». Paul Amar, aujourd’hui vous êtes en colère ou vous êtes blessé ?

Blessé. Et inquiet. Blessé car, vous aurez remarqué que je parle de moi à la 1re personne pour la première fois en 40 ans. Si je raconte mon histoire c’est que j’ai envie de raconter notre histoire, qui est celle du pays. Et si, par exemple, j’évoque mon enfance c’est parce que d’une façon très troublante la situation en France aujourd’hui me renvoie à ma propre enfance. C’est cela qui me trouble et m’inquiète.

Parlez-nous de votre enfance en Algérie…

Je suis né en 1950. La guerre d’indépendance éclate en 1954. Je reste en Algérie jusqu’en 1961. Nous quittons l’Algérie alors que j’ai 11 ans et je suis né Français. C'est une enfance de douleur, une enfance épreuve où ma famille est confrontée à un double antisémitisme. Un antisémitisme que je qualifierais de salon, mais meurtrier. Il y a la Shoah pour les juifs d’Europe et les lois raciales pour les juifs d’Afrique du Nord. Mon père, qui est fonctionnaire de la SNCF, perd son emploi à cause des lois raciales de Pétain. Et d’ailleurs si les Alliés n’étaient pas intervenus à temps (Les Alliés ont débarqué le 8 novembre 1942 sur les cotes du Maroc et d’Algérie, NDLR) je ne serais pas là à vous parler : les Allemands commençaient à lister les juifs d’Afrique du Nord pour procéder à leur déportation.

Il y a ces traces-là dans la famille Amar ?

Complètement. Il y a une grande pudeur dans la famille, ce n’est que plus tard que j’ai appris que mon père avait perdu son emploi et que mes sœurs ont été virées du collège Condorcet comme juives. De 4 à 11 ans je ne connais qu’une situation d’enfant : ce sont les attentats, les bombes, les foules hurlantes. Des deux côtés d’ailleurs : « Algérie algérienne » contre « Algérie française », avec la peur au ventre des assassinats.  Sur le chemin de l’école c’est : « sale Français, retourne chez toi ! ». Je ne comprenais pas car moi je suis né en Algérie ! L’Algérie c’est mon pays. Et « sale juif ». Et des insultes, des crachats, des jets de pierres. D’ailleurs on m’apprend à marcher de trois quarts le long du mur en regardant en arrière, littéralement en rasant les murs. J'ai même été victime touché lors d'un attentat La situation aujourd’hui me renvoie à cette enfance.

 

La théorie du chaos

C’est la première fois que vous assumez  votre judéité ?

Absolument. Je n’ai jamais pris la posture du juif dans ma vie publique, sociale, professionnelle. Comme correspondant pour France Inter au Cambodge puis aux Etats-Unis, à aucun moment je ne rencontre la question juive et deuxièmement… je l’oublie. Et voilà tout d’un coup un homme, Jean-Marie Le Pen, qui me cite dans ses meetings, puis plus tard un autre homme, Dieudonné, et le journal Minute qui m’appelle le « rabbin Amar ». Sartre a écrit un livre très pertinent intitulé Réflexions sur la question juive où il dit : « si le juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait ». Eh bien c’est ce qui m’est arrivé, j’en suis la preuve vivante !

Est-ce un piège pour la communauté ?

Mon livre n’est pas du tout un livre écrit pas un citoyen juif, mais un livre écrit par un Français, né français, de profession journaliste, de conviction humaniste, et j’irai même plus loin : laïc et universaliste. En écrivant ce livre je tente de ne pas tomber dans le piège tendu par les antisémites : ghettoïser la communauté juive, l’inciter à se replier sur elle-même, se poser des questions sur sa propre identité, d’avoir peur et de ne plus se considérer comme français à part entière En réalité c’est la République qui est attaquée dans ses valeurs fondamentales.

Au cours d’un déjeuner avec l’ambassadeur d’un pays arabe, on essaie de comprendre le score de Marine Le Pen aux dernières élections où elle fait 25 % des voix aux Européennes. Il me donne cette information en me disant : « savez-vous que dans les cités il y a eu un mot d’ordre des islamistes auprès de leurs ouailles pour appeler à voter Marine Le Pen ? » Je suis sidéré. Je téléphone à un copain qui est à SOS Racisme et qui connaît très bien les cités. Il me le confirme. Il me dit même qu’il y a une expression qui s’appelle la « théorie du chaos ». Autrement dit il y a une alliance objective actuellement entre l’extrême droite et les islamistes pour mettre le bazar dans le pays. C’est pour cela que je dis que dans ces attaques, si on veut vraiment avoir une lecture politique, ce qui est important ce ne sont pas ces attaques en elles-mêmes mais leur objectif ultime qui est de déstabiliser la République.

Vous n’avez jamais été confronté à cette question juive ?

J'ai vécu mon adolescence bonheur à Villeurbanne où mes voisins du 4e sont Italiens, mes camarades au collège  sont aussi enfants de Portugais, d’Espagnols, d’Italiens qui ont fui la crise et le chômage dans leur pays quand, nous, avons fui la guerre. Je découvre ce qu’on appelle aux Etats-Unis un melting-pot, un creuset magnifique où la France rassemble ses enfants de tout bords, de toutes origines et en fait des Français républicains, laïcs, universalistes, humanistes. C’est Le Pen qui va exhumer cette question juive dans les années 1980. Quand Le Pen est accueilli à l'Heure de Vérité, je dirigeais alors le service politique d’Antenne 2.  L’Heure de Vérité est complètement autonome de la rédaction. Le Pen dit, en répondant à une question qui ne lui était pas posé : « j’ai le droit de ne pas aimer Chagall, Mendès-France et Simone Veil ». C’est à ce moment qu’il fait entrer le poison dans le champ politique. Parallèlement le journal d’extrême droite Minute m’attaque régulièrement. Pas seulement moi mais aussi Ivan Levaï, Anne Sinclair, en supposant notre identité juive.

 

Le mur des fusillés de Dieudonné

Dieudonné va à son tour polluer le débat et faire pire que Le Pen. Dans son petit théâtre, pas loin de chez moi d’ailleurs, Dieudonné cite sans arrêt une liste de personnalités supposées juives J’appelle cela son « mur des fusillés » car il les place sur son mur à lui,Dieudonné m’attaque sur Internet, mais dans son théâtre surtout, il dit : « vous savez ce que dit Amar de moi ? » en me prêtant un propos qui n’est pas de moi. « Amar dit que je suis malade, alors moi je vais vous parler d’Amar. Amar dit aussi qu’il n’aime pas les Arabes ». Vous vous rendez compte du risque qu’il me fait prendre ? Il peut tomber sur quelqu’un d’un peu fêlé qui l’écoute.

Vous portez plainte à ce moment-là ?

J’ai hésite à porter plainte contre Dieudonné. Mon avocat l’incitait à le faire, mais je ne le fais pas parce que je pense que c’est lui faire de la publicité et c’est amplifier le problème. Mais je continue à faire partie de ses cibles. C’est aussi pour cela que j’ai écrit le livre. D’ailleurs bien avant cette histoire de « Amar a dit que je suis malade », il me citait déjà. A un moment il cite plusieurs noms : le mien, celui du président du Crif (Conseil représentatif des isralites de France, ndlr) et Gad Elmaleh. Dans le livre je demande « quel est le lien ? ». J’essaie de démontrer l’absurdité de ces attaques car il n’y a absolument aucun lien entre nous : un représentant d’une institution, un humoriste et moi qui suis journaliste.

Propos recueillis par Club de la presse

 

Paul Amar passe le Rubicon

C'est un fait : Paul Amar journaliste a longtemps rongé son frein. Aujourdhui il livre un constat sur le système médiatique complice de la monétée des extrêmes.

Au cours de ces années vous n’avez jamais exprimé publiquement votre désarroi ou votre inquiétude ?

Ce trouble je le garde en moi des années et des années pour la raison que je suis en fonction : j’anime les soirées électorales, je présente le 19-20, je présente le 20 heures. Jusqu’au jour où je commets un geste très très insolite (chargé d’animer contre son gré un débat qui oppose Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie sur Antenne 2, Paul Amar sort des gants de boxe d’un sac pour les proposer aux deux adversaires, NDLR). Ce trouble je l’ai exprimé de cette façon

Cliquer ici pour voir la vidéo.

J’ai reçu des milliers de lettres, certaines pour ne pas comprendre d’autres pour comprendre, d’autres pour m’approuver, etc. Et je reçois une lettre magnifique d’un collectif d’enseignants qui me dit : « vous avez été surréaliste sans le savoir. Avec ces gants de boxe vous avez posé ce qu’André Breton appelle un objet signifiant. Ils m’ont envoyé la photo de la couverture du livre sur laquelle figurait une paire de gants de boxe. J’ai donc été surréaliste sans le savoir, ou hyperréaliste en le sachant, je ne sais pas. En tout état de cause j’ai répondu avec ce geste insolite et ensuite je l’ai gardé pour moi. Et là aujourd’hui, comme je n’ai plus d’émission depuis un an et demi, j’ai éprouvé le besoin de l’écrire pour expliquer ce geste. Mais cela ne fait que 10 lignes sur 300 pages de mon livre.

Vous sentez-vous à l’aise dans le système médiatique français ?

Il pose problème. Dans mon livre je revisite l’histoire politique de notre pays. Je revisite aussi l’histoire médiatique et je dis qu’aujourd’hui, notamment les chaînes de télévision, mais aussi une certaine presse, devraient réfléchir sur les conséquences de tel ou tel comportement. Je reviens aux années 1980 pendant lesquelles certains journalistes étaient fascinés par Le Pen qui était manifestement la meilleur orateur de sa génération, le plus charismatique, friand de très bons mots ou de mots très sales mais qui connaissait la presse. Du coup il y avait cette fascination/répulsion qui faisait que Le Pen a pris une place médiatique extrêmement importante. Si on devait comparer la place médiatique à cette époque avec la place politique en termes de représentativité électorale, on constaterait un décalage énorme.

Vous pensez que le thermomètre est responsable de la maladie ?

Non ce n’est pas les médias qui ont fait Le Pen, mais ce sont les médias qui l’ont amplifié, qui l’ont fait exister. Il existait déjà dans la IVe République, mais ce sont les médias qui ont contribué à l’ « héroïser, à en faire la vedette des années 1980 comme Marchais avait été la vedette des années 1970, c’est très clair. Quand je parle des médias, j’ai aussi ma part de responsabilité.

Le clash avec Elkabash, une rivalité ancienne sur fond d'éthique

Invité de l'actu, le by Browser_Apps_Pro"> by Browser_Apps_Pro"> by Browser_Apps_Pro"> by Browser_Apps_Pro">journalistearrow 10x10 Paul en Amar Paul Amar répond à son tour à Jean-Pierre Elkabbach, qu'il estime partiellement responsable de la montée du Front national en France et dont il réaffirme qu'il l'a licencié pour avoir refusé de se plier au pacte qu'il aurait passé avec Nicolas Sarkozy. Ce retour du refoulé marquerait deux conceptions du journalisme.

Vous n’avez pas pu, vous, changer cette donne en tant que responsable de la télévision. C’était difficile de dire « non on en fait trop » ?

J’ai été convoqué par la Haute Autorité (de l’audiovisuel, ancêtre du CSA, Ndlr) qui m’a reproché de ne pas en faire assez. On était en 1983, avant les élections européennes, et il y avait certains médias comme L’Heure de Vérité, comme Elkabbach sur Europe 1, qui l’invitaient sans arrêt. Michèle Cotta me convoque, elle me dit : « voilà Le Pen a écrit à François Mitterrand qui nous a transmis la lettre et on vous demande d’inviter plus souvent Jean-Marie Le Pen que vous le faites. » j’étais… choqué ! Ça se passe à l’automne 1983 (Michèle Cotta n’a d’ailleurs pas réagi à mon livre). Elle me dit : « vous avez un devoir de service public et vous devez inviter tous les partis ». Je lui réponds que je suis chef du service politique, que j’anime les soirées électorales et que je n’ai jamais été pris en défaut d’impartialité. Je dis : « je veux bien l’inviter mais du coup je serai hors-la-loi », et je dis cela à la Haute Autorité ce qui est un comble. En effet il y a une loi qui nous oblige à inviter les représentants des partis politiques et à leur donner un temps de parole en fonction de critères extrêmement précis : une double représentativité, d’abord parlementaire, et ensuite électorale.

A l’époque l’extrême droite ne faisait que 2 % des voix soit  200 000 électeurs. Aujourd’hui Marine Le Pen c’est 6 millions d’électeurs. Mais je dis que les journalistes ont une grande responsabilité dans l’émergence ou la résurrection, comme on voudra, de l’extrême droite en France.

Vous pensez que les médias sont responsables ?

Il y a une responsabilité des médias. Je suis ultra minoritaire en disant cela. Aujourd’hui les médias disent dans leur majorité : « on est désolé, on est là pour dire tout ce qui se passe. On est là pour entendre tous les points de vue. On est là pour dépeindre, on est là pour tout raconter. » Moi je dis : « attention, il y a une démarche pédagogique dans ce que l’on fait. Il y a une responsabilité au regard de l’histoire. Il y a une mémoire, il y a l’histoire d’un pays qui est fragile. Ce sont des démocraties qui sont aujourd’hui attaquées, donc on ne peut pas faire n’importe quoi."

Heureusement, quand ils reçoivent une vidéo de l’Etat islamique destinée à effrayer les populations avec l’image d’un homme décapité, ils font preuve de responsabilité, et considèrent à juste titre qu’en montrant cette décapitation ils se font les alliés objectifs des salopards, des barbares et ils contribueraient, s’ils devaient montrer la décapitation, à effrayer les populations et accentuer ce sentiment de peur et donc de désordre, etc. Pourquoi ne font-ils pas preuve de la même responsabilité dans la diffusion des mots qui peuvent être aussi terribles que les images ?

Pourtant Jean-Luc Mélenchon utilise les mêmes ressorts en montrant de l’agressivité à l’égard des journalistes. On ne peut pas dire que cela lui a été bénéfique jusqu’à présent…

La différence entre sa posture poujadiste et celle de Marine Le Pen est capitale : le FN a déjà trouvé son public qui vote pour elle. Mélenchon n’a pas son public, c’est-à-dire son électorat. Actuellement Marine Le Pen répond à un besoin, clairement exprimé par l’électorat. René Rémond, qui a été l’un de mes maîtres quand j’étais jeune journaliste, a dit que Jean-Marie Le Pen avait réussi à répondre à toutes les préoccupations des Français, mêmes contraires. Il a surfé sur ces préoccupations-là et c’est comme cela qu’il a capté un électorat très divers, des anciens communistes jusqu’à un électorat de droite. Et aujourd’hui même des ouvriers qui ont voté Hollande en 2012. Mélenchon n’a pas réussi à faire cela.

On reproche à Eric Zemmour et son Suicide français d’être pessimiste, mais vous n’offrez vous-même pas beaucoup de possibilités d’espérer en l’avenir…

La différence entre Zemmour et moi est essentielle. Moi je décrypte une situation, je tente d’en cerner les raisons, je dis mon inquiétude, mais aussitôt j’affirme du haut de mes convictions républicaines, laïques et humanistes qu’il doit y avoir une résistance. Je dis aussi que la France des droits de l’homme à laquelle je rends hommage est, Dieu merci, encore majoritaire.. Mon devoir est évidemment d’informer, et avec lucidité et honnêteté en disant que la situation est grave. Mais aussitôt j’ai le devoir d’apaiser et de rendre hommage à ce qui est bon chez l’homme. Zemmour fait exactement l’inverse, c’est pourquoi je suis extrêmement sévère avec Zemmou qui a tapis rouge. Il est invité dans des émissions à très fortes audiences et dans des émissions qui mélangent information et divertisseme Zemmour fait son numéro, parfois sans être contredit, ni même contrarié.

Et Zemmour attise, jette de l’huile sur le feu. Je considère que Zemmour est un garçon dangereux. Et je dis même qu’il faut qu’il fasse son coming out, qu’il prenne sa carte au FN, comme Robert Ménard (ancien secrétaire général de Reporters sans frontières, élu maire de Béziers en étant soutenu par le Front national, Ndlr), et qu’il dise qu’il fait partie de ces supplétifs-là qui tentent de faire accéder Marine Le Pen à la présidence de la République.

Propos recueillis par le Club de la Presse Saint-Etienne Loire


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