Le chat et l’oiseau

Publié le 08 novembre 2014 par Albrecht

La tentation

Gabriel Gresly, 2eme quart du XVIIème siècle, Musée des Beaux Arts, Dijon


Dans cette charmante   scène, un très  jeune garçon sort de sa cage un oiseau, pour agacer un chat qu’une jeune fille tient fermement dans ses bras.

La tentation dont il est question est bien sûr celle du félin par le volatile ; mais chacun comprend que l’animal parle pour  le propriétaire :  la fille est tentée par le garçon.


Après cette innocente introduction, nous allons suivre quelques occurrences

de la fable du chat et de  l’oiseau.

Le satyre maçon

Agostino Carracci, gravure de la série Lascivie, vers 1584-86

Dans cette iconographie  inventive, la pierre équarrie, sous la main gauche du satyre, justifie la présence du fil à plomb. Mais au  lieu de mesurer la pierre, le plomb taquine le sexe glabre de la femme.

Plus bas,  cette verticale nous guide jusqu’à la métaphore féline que la maîtresse  nous révèle en retroussant le drap.

Le pied griffu du lit établit une continuité entre les deux félins, chatte et lionne, et nous conduit aux pieds de bouc du satyre-maçon. Son  tablier, avantageusement bossué, retient provisoirement l’instrument de frappe qu’il destine au corps marmoréen de la belle.

Plus haut, le fil qui pend sous  la cage guide l’oeil jusqu’à un nouvelle métaphore  : l’oiseau qui ne demande qu’à sortir montre ce que le tablier cache.

Cette gravure met crûment en place la rhétorique du chat dévorant et de l’oiseau becquetant,

que nous allons retrouver, plus ou moins explicitée, sur une longue durée.

“Vanitas Vanitatvm et Omnia Vanitas”
1578, gravure de Hieroymus Wierix, Herzog August Bibliothek

Il est intéressant de noter que Carraci n’a pas totalement  inventé l’idée du satyre-maçon :  il a en fait détourné une gravure imprimée quelques années plus tôt dans une intention  édifiante [1].

Comme précisé par les inscriptions, le  satyre représente ici l’Impudeur (Impudicita) et la femme la Vanité.

L’homme mondain (Mundanus Homo) tout à gauche se trouve a son insu sur la trappe des mille dangers (Milla pericula), dont la targette va être tirée par la femme nue tout à droite, qui se condamne elle-même en montrant doctement une sentence d’Isaïe :

Toute chair n’est que d’herbe (Omnis caro foenum) Isaie 2,6


Au dessus du satyre, la sentence  « Meritrix Abissus Imus » démarque un autre passage féministe de la Bible :

« Car la prostituée est une fosse profonde, Et l’étrangère un puits étroit ». (Traduction L.Segond)
« fovea enim profunda est meretrix et puteus angustus aliena » Proverbes 23:27


Le texte en trois langues en bas de la gravure renfonce le clou : « Onc homme ne sonda coeur de femme impudique ».

Le satyre est donc  ici un satyre-marin, et le fil-à-plomb une sonde, librement réinterprétée par Caracci dans une intention diamétralement opposée. Peut être parce que le mot italien pour fil à plomb, « scandaglio », est très proche de « scandalo ».


Un siècle et demi après cette gravure ouvertement érotique,

sous l’apparence irréprochable imposée par le goût rococo,

un tableau va sournoisement reprendre et amplifier des métaphores similaires.

La belle cuisinière

Boucher, avant 1735, Musée Cognacq-Jay, Paris

On repère assez rapidement la morale de cette charmante scène :

« On ne fait pas d’amourette sans casser les oeufs ».



Car l’œuf cassé n’est pas la seule allusion à l’aventure de la belle cuisinière. Ainsi, la marmite couverte, à côté des clefs, rappelle  que, si la jeune fille est encore fermée, elle est déjà en ébullition, le couvercle prêt à sauter.



A côté de l’oeuf  gisent deux évocations assez parlantes de l’instrument de la casse.



Tandis que le chat dévorant goulument l’entrecuisse du poulet illustre la scène elle-même.


Ainsi, depuis la boîte fermée, à l’abri du feu sur le manteau de la cheminée,

jusqu’au placard ouvert révélant une carafe de vin rouge et un linge tout prêt à être tâché,

le tableau détaille les étapes qui vont faire de la jeune cuisinière une femme.

Le chat et les deux moineaux

1778, Gravure d’après OUDRY pour La Fontaine,  deuxième fable du livre XII

Une fable de La Fontaine explique d’ailleurs que, si le chat peut être ami de l’oiseau et se contenter pendant longtemps de coups de becs (i.e de bisous), vient un moment où, comme on sait, son appétit vient en mangeant (voir note [2]).

La Toilette

Boucher, 1742, Fondation Thyssen-Bornemisza, Madrid

Côté paravent

Nous sommes au lever. La jeune femme en déshabillé blanc  vient d’être maquillée (la mouche au coin de l’oeil) et sa chevelure poudrée (la grande houpette par terre, et l’éventail pour chasser l’excès de poudre). Maintenant elle rattache sa jarretière, tandis que la servante lui présente un bonnet à choisir.

Côté parefeu

Le feu vient d’être rallumé (le soufflet par terre). Le pare-feu est placé de manière à renvoyer la chaleur vers le lit. Noter la tablette permettant de poser de petits objets, qui est ici relevée. Autre accessoire sur le côté droit : un bougeoir vide, sous lequel pend une bourse à ouvrage.

Sur le manteau de la cheminée, un bougeoir allumé, un bâton de cire à cacheter, une lettre ouverte,  un faisan en porcelaine et un ruban rose, jarretière surnuméraire.


Sur la petite table à droite de la cheminée,  la théière du petit déjeuner fume déjà  à côté de deux tasses. Boucher s’amuse à montrer le bord d’une troisième soucoupe, mais qui ne prouve pas qu’on attend quelqu’un (ce peut être pour le beurre, la confiture, les sucre..).

Un espace féminin

Pare-feu et paravent délimitent un espace douillet, strictement féminin, renvoyé à sa clôture autarcique par les miroirs de la cheminée et de la table de toilette. Même le regard qui guette par dessus le paravent est celui d’un portrait de femme, dans le style d’une femme-artiste :  la pastelliste Rosalba Carriera.

La porte entrouverte

Aussi la porte entrouverte pose problème, insinuant au sein de ce lieu protégé la possibilité d’un courant d’air, d’une intrusion qui semble à la fois autorisée (la clé sur la serrure) et limitée (la table qui  bloque l’ouverture).

Les oiseaux

Le paravent est orné de volatiles dans des branchages : deux oiseaux exotiques s’affrontent du regard, un moineau volette humblement, un faisan de fantaisie attend son tour.

Dans le contexte de La Toilette, il est  légitime  y voir, selon une des métaphores les plus fréquentes aux XVIIIème siècle (voir XXX) : celle des admirateurs  de la belle, pour l’instant condamnés à faire tapisserie.

Le seul autre oiseau de la pièce est le faisan en porcelaine, posé sur la cheminée, la queue avantageusement dressée près de la bougie phallique, du mot d’amour et du bâton de cire si facile à faire fondre : à coup sûr, le faisan miniature symbolise ici le soupirant en titre, celui qu’on attend, mais qui ne sera admis à s’introduire qu’après s’être réduit à la dimension de la fente qu’on a bien voulu lui entrouvrir.

La dame qui habite ici reçoit, mais ne se laisse pas envahir.

Le chat


Il s’étire voluptueusement entre les jambes de sa maîtresse, frôlant son bas de satin  de sa queue de velours, dans une continuité charnelle.  Tandis que celle-ci noue sa jarretière, il fait l’inverse, déroulant la pelote, comme s’il anticipait le dévergondage à venir. Et s’amusant avec ce substitut, en attendant le véritable oiseau.

A noter que la pelote est tombée de la bourse à laquelle le fil est resté accroché. Sans doute un trait d’humour : la belle s’entend à vider les bourses de leurs  « pelotes », (au sens figuré, magot amassé).

Ainsi le chat rend visible la part sexuelle de sa maîtresse

– joueuse, nonchalante, vorace

qui dans cet instant de détente git  extravaginée  hors de la robe.

Le chat invisible

Pelote de toilette : est un petit coffret dans laquelle les dames serrent leur bagues et autres choses dont elles ont besoin à leur toilette, et qui est rembourrée sur le couvercle pour y fourrer les épingles. Dictionnaire universel, Furetière, 1727

Il y a donc caché dans le tableau un  « chat » invisible, évoqué par la robe de chambre fourrée ; et une seconde pelote dans laquelle il  plante ses griffes : la boîte hérissée d’épingles.

La dévideuse de laine (The wool winder)
Greuze, 1759, Collection Frick, New York

A titre de preuve a contrario, voici ce qu’une jeune fille sérieuse fait avec une pelote et un chat : l’une, elle l’enroule ; l’autre, elle l’ignore.
A remarquer la  lettre B taillée dans la traverse de la chaise : il pourrait s’agir d’une jeune soeur d’Anne-Gabrielle Babut, que Greuze venait d’épouser cette année là (et qui ferait bientôt scandale par ses nombreux amants – mais ceci est une autre histoire).

Une dame sur son divan

Boucher, 1743, Collection Frick, New York

L’année d’après La Toilette, Boucher s’auto-citera avec gourmandise dans ce portrait de sa femme, Marie-Jeanne Buzeau, alors âgée de 27 ans.

Revoilà le fameux paravent, mais  relégué sur la marge droite : ici les soupirants ne sont pas bienvenus.

La pelote de laine reste reliée par son fil à la bourse : l’absence de chat laisse injustifiée sa présence – sinon pour recycler une détail de La Toilette qui avait dû être particulièrement remarqué.


Sur l’étagère, nous retrouvons le ruban rose et la théière qui pour l’heure ne fume pas, pointée vers la tasse retournée : Madame lit, et n’est pas d’humeur galante pour l’instant…


…même si un mandarin la contemple d’un air énamouré en griffonnant sur ses genoux,

à côté d’un bout de papier signé François Boucher : autoportrait de  l’artiste en porcelaine.

Le Repos

Jean-François Colson, 1759, Dijon, musée des Beaux-Arts

Cette fois, la jeune fille est placée du côté vertueux du pare-feu. Sur sa tablette baissée, un serin s’est posé pour picorer quelques graines. Un ruban bleu le relie à la main de sa maîtresse. On comprend que la fille s’est endormie en jouant avec son oiseau.

Son autre animal favori profite de cette inattention pour surgir par dessus le pare-feu, prêt à gober le serin laissé sans défense hors de sa cage.

Le tableau joue avec la notion d’appât et de prédation : les graines attirent l’oiseau, l’oiseau au bout de son fil attire le chat. Quant au chat, il s’en faut de peu qu’en tirant sur la corde de la sonnette, il ne réveille la maîtresse.

Le pare-feu laisse la jeune fille sans défense face à  un prédateur plus dangereux que le feu : le peintre qui la caresse du pinceau, le spectateur qui la contemple, ou un quelconque séducteur encore en hors champ du tableau.

Mise en garde renforcée par la présence, sur la cheminée, de la théière au long bec prête à verser dans la tasse.

Le paysan amoureux (the rustic lover)

Francis Wheatley,1786, Yale Center for British Art

La fille devrait s’occuper à ses travaux de couture, entre rouet et panier à linge. Au lieu de cela, elle tend une soucoupe de lait à un chaton qu’elle a installé sur ses genoux. Debout derrière sa chaise, un gaillard  jette un coup d’oeil plongeant et lui susurre quelque chose. Elle tourne la tête pour l’écouter, et ne voit pas son autre  main qui va tirer la queue de l’animal.  Tout en haut, dans la cage, un oiseau penché sur son perchoir ne perd rien de la scène.

Ici, pas de symbolisme torride à rechercher : les deux animaux sont là comme interprètes des intentions de chaque sexe.

Le garçon est comme l’oiseau :  un beau siffleur, perché sur la chaise, épiant les choses d’en haut. Ses bras miment le geste enveloppant de la fille, qui tient l’animal de la main droite et la soucoupe de la gauche :  la main droite du garçon est déjà  au contact du chat, sa main gauche n’a plus qu’à quitter le haut de la chaise pour venir empaumer cette autre source de lait, du côté où l’épaule s’est opportunément dénudée.

La fille est comme le chaton : insatiable, et toute prête à se laisser enlacer.

Minet aux aguets

Gravure de Debucourt, 1796

Intéressant exemple d’une inversion de sexe au royaume des métaphores glissantes  !

Minet a sauté de la fenêtre sur la table, queue érigée,  à côté de la canne et du bicorne du visiteur qui va dans un instant entrer en scène.

Pour l’instant, la jeune personne en est encore à apprécier les délices de la lecture.

Du coup, le minuscule oiseau pointant la tête à la porte de sa cage n’est pas sans évoquer  la partie virile du sexe faible.


« Méfie-toi du chat ! »

Boilly, 1820, Allemagne, Neue Pinakothek, Munich

C’est ainsi que deux jeunes filles avertissent un jeune homme, qui tient dans sa main quelque chose  vers quoi un  chat tend la patte. A voir la cage sur le sol, on comprend qu’il s’agit d’un oiseau.

Bientôt, on remarque que la première fille, dans un geste identique à celui du félin, tend sa menotte pour soulever le chapeau du jeune homme ; tandis que par derrière sa compagne tente également de voir ce qui se cache dessous.

Nous sommes dans un jeu de trompeur trompé : le jeune homme fait croire aux filles que l’oiseau est à chercher sous le chapeau – ce qui est vrai, mais au sens figuré.

Au sens propre, le chat va mettre la patte sur lui.

A nouveau au sens figuré, il faut comprendre  que le « chat » dont il faut se méfier n’est pas celui qu’on voit, mais deux  félins autrement plus habiles !

Le chat et l’oiseau

Schall, fin XVIIIème, Collection privée

Dans ce sujet manifestement conçu pour exhiber une  femme dévêtue surgissant hors de son lit, la scène  intéressante se situe à l’extrême gauche : un chat est grimpé sur une cage, dans une sorte de copulation symbolique où deux récipients voraces s’emboîtent autour de l’oiseau captif. Au point qu’on ne sait si la fille s’extrait de son lit vaginal pour se précipiter au secours du volatile, ou pour l’engloutir elle-même.

« La fille se met sur lui à califourchon, le visage en face de celui qui la caresse. Elle met l’oiseau en cage, et par ses mouvements excite son ramage ».  XXXIIème façon, la Badine , Les quarante manières de foutre, 1791


Un siècle plus tard, le prestige des sujets rococo se conjugue avec l’oubli – ou l’édulcoration volontaire -de tous leurs sous-entendus.Ainsi Antonio Gisbert décompose la même scène en deux temps.

Le chat et la cage

Antonio Gisbert, fin XIXème, Collection particulière

Une dame élégante ordonne à Minet de ne pas toucher à ses canaris, qu’elle conserve dans une cage somptueuse sommée d’une couronne royale.

Un chat méfiant (A cagey cat)
Antonio Gisbert, fin XIXème, Collection particulière


Néanmoins, Minet fait sa bêtise : non parce qu’il est goulu, mais parce qu’il se méfie de ces être sauvages, qui pourraient menacer sa maîtresse : elle l’excuse en souriant.

La Harpiste

Début XIXème, George Francis Joseph, Collection particulière


Ici, c’est une musicienne qui s’interpose entre l’oiseau qu’elle nourrit dans sa cage, et le chat soumis à la double tentation du volatile et des poissons.

Posture qui a l’avantage de mettre en valeur, sous son chemisier rose,  une autre double tentation à l’usage des passants : pour une fois qu’une harpiste écarte les bras !

Visuellement, une de ses mains reste en contact avec la harpe tandis que l’autre frôle la cage : manière de signaler une triple analogie entre l’instrument  et l’ustensile :

  • tous les deux sont grillagés ;
  • tous les deux émettent des sons gracieux lorsqu’on les frôle du doigt ;
  • tous les deux, l’un au sens propre, l’autre au sens figuré, trouvent leur emplacement naturel  entre ses cuisses.

Le chat et l’oiseau

Anderson (Sophie Gengembre), fin XIXème, Collection particulière

Progressivement déminé, le sujet était désormais compris comme une admonestation mièvre : « Minet ! Tu ne dois pas bouffer l’oiseau ».

Rien n’empêchait dès lors d’exposer une petite fille relevant sa robe pour montrer son canari à son chat.


Jeune fille et son chat

Charles Nahl, 1866, Collection privée

Par la chasteté de ses bas blancs, la jeune fille réconcilie le chat et le perroquet dans l’harmonie du Nouveau Monde, après avoir pris son petit déjeuner sur le banc. Le peintre allemand devenu californien nous montre une maison bien tenue, où les baquets et seaux béants sont mis à sécher au soleil sans craindre le moindre symbolisme. Tandis que la mère ou la grand-mère, dans sa cuisine rougeoyante, s’occupe à touiller la marmite.

Pendant que les adultes travaillent, les créatures charmantes et inutiles – animaux et petite fille – sont autorisées à prendre du bon temps sur le seuil.

Petite fille avec un chat

Walter Osborne, fin XIXème, Collection particulière

L’intérêt de ce petit tableau tient à ce qu’il inverse les positions  habituelles : le chat est assis sur la chaise, la petite fille sur le sol et la cage se trouve tout en bas, à l’opposé de sa place surplombante.

L’autre originalité est l’orthogonalité des regards : la petite fille regarde horizontalement, vers sa mère ou vers le monde des adultes (le balai) ; le chat regarde verticalement, non vers l’assiette posée à son intention sur le sol, mais vers cette nourriture bien plus attrayante que la fillette, en toute innocence, a mis à porté de sa patte.

Un oiseau en cage (A Caged Bird )

Margaret Murray Cookesley, 1891, Collection privée

Après l’intimisme, l’orientalisme : une odalisque trompe l’ennui en contemplant son perroquet.

Le narguilé, les perles, la tasse de café et les oranges sur le guéridon font partie des poncifs du harem : les douceurs de l’existence contre celles de liberté (voir Gazeuses déités).

La cruche couchée exhibant son orifice est plus originale, renvoyant au symbolisme direct des pots dans la peinture  hollandaise, et rappelant la fonction unique de la recluse.

La claustra à l’arrière-plan éclaire la métaphore du titre : l’oiseau en cage est bien sûr la captive.

Quant au chat, il  est monté en grade tout en se réduisant en épaisseur.

L’opposition chat/oiseau s’est transformée en une alliance entre trois êtres sauvages réduits au statut d‘objet :

  • l’oiseau de compagnie,
  • l’esclave sexuelle et
  • la panthère en carpette.

Chloe

Poynter, 1893, Collection privée

Après l’orientalisme, l’Antiquité. Le sous-titre du tableau renseigne le spectateur latiniste :

Chloe… dulces docta modos et citharae sciens

Chloé me gouverne à présent,
Chloé, savante au luth, habile en l’art du chant ;
Le doux son de sa voix de volupté m’enivre.
Je suis prêt à cesser de vivre
Si, pour la préserver, les dieux voulaient mon sang.

Horace Ode III. 9 À LYDIE, traduction A. de Musset.



Chloé offre deux cerises au bouvreuil  qu’elle vient de sortir de sa cage (un sommet de la reconstitution gréco-romaine !). Mais quel intérêt, pour une musicienne, de s’encombrer d’un passereau peu réputé pour son chant ?
A voir la réserve de cerises sur la table, devant la baie grande ouverte sur la mer, on comprend que le bouvreuil-poète préfère la becquée à la liberté  : « Chloé me gouverne à présent ».


La patte de lion sur le bas-relief, parallèle au pied de la maîtresse, révèle sa nature féline. Un félin qui domine tous les autres,  à voir la peau de panthère sur laquelle elle a posé son luth.

L’esthétique marmoréenne des victoriens s’accommode d’un rien de masochisme.

Ce sacré chat (That Damned Cat)

Charles Spencelayh, début XXème siècle, Collection particulière

Après s’être aplati à une seule dimension, le chat vient de s’évanouir définitivement. De même que le canari, dont il ne reste qu’un peu de poussière jaune sur le plancher.

Dans cet ultime ricochet du thème du chat et de l’oiseau, toute notre théorie de beautés plus ou moins ouvertement aguicheuses  laisse place à un vieux barbon,  qui ne taquine que sa pipe.

Carte postale pour Thanks giving, 1908

Néanmoins, dans cette carte postale innocentée par la présence de la petite fille, une citrouille à la fente dentue sert de support à l’ostention d’un petit chat, hors de portée de bec d’une dinde au cou turgescent.

Comme si les symboles coriaces avaient continué leur vie souterraine pour ressortir,  incognito et sans crainte d’être reconnus,  à l’occasion d’une fête de famille.

Références : [1] Fonti e simboli per il Satiro “scandagliatore” di Agostino Carracci
http://www.bta.it/txt/a0/06/bta00677.html

[2]

Le Chat et les deux Moineaux

A Monseigneur le duc de Bourgogne

Un Chat, contemporain d’un fort jeune Moineau,
Fut logé près de lui dès l’âge du berceau.
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau :
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.
Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu’à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.
Le Passereau, moins circonspec,
Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux.
Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle
D’insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.

La Fontaine, deuxième fable du livre XII, 1693