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LuxLeaks : le scandale de l'évasion fiscale au Luxembourg !

Publié le 12 novembre 2014 par Raphael57

 

tax-rulings.gif

L'évasion fiscale est depuis longtemps le poison de la démocratie, puisqu'elle conduit à déliter le consentement à l'impôt et augmente la charge fiscale de ceux qui ne peuvent s’y soustraire. J'avais déjà évoqué ce sujet dans le cadre du secret bancaire suisse, mais aussi de la transparence fiscale chez nos élus, et bien entendu dans ma dernière conférence consacrée à l'impôt.

Mais ces révélations sur le Luxembourg, qui ne devraient pourtant étonner plus personne, ont créé une véritable onde de choc dans le landerneau des banquiers et fiscalistes ! C'est pourquoi, il m'a semblé utile de vous livrer dans ce billet une petite analyse de la créativité fiscale du Luxembourg...

D'où proviennent ces révélations ?

Elles sont apparemment issues d'un lanceur d'alerte employé au sein de la filiale luxembourgeoise de la société d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC). Et à l'instar des révélations de l'Offshore Leaks en 2013, c'est l’International Consortium of Investigative journalists (ICIJ) qui partage les documents reçues - en l'occurrence 28 000 pages et 548 accords confidentiels qui portent sur la période 2002-2010 ! - avec une quarantaine de médias dans le monde. La base de données est disponible à cette adresse.

Et dans la liste des entreprises clientes de PwC ayant conclu des tax rulings on trouve certes des géants de l'informatique ou des télécoms comme Apple ou Verizon, mais aussi Ikea, Axa, Pepsi ou Heinz.

Qu'est-ce que les tax rulings ?

Pour faire simple, les tax rulings s'apparentent à des accords entre une entreprise et l'administration des impôts du Luxembourg. Ils servent normalement à sécuriser sur le plan juridique une opération (transfert du siège social, création d'une filiale,...), c'est-à-dire que l'administration confirme officiellement à l'entreprise la légalité de son montage fiscal pour cette opération.

Mais ils ont rapidement été détournées de cette fonction par des spécialistes de l'optimisation fiscale (notamment les célèbres cabinets d'audit, les Big4), qui ont transformé les tax rulings en accords fiscaux avantageux. En effet, les multinationales cherchent à dissocier le lieu réel de leur activité du lieu où elles vont déclarer leurs bénéfices et donc payer leurs impôts. Et ces tax rulings participent de l'environnement favorable à l'implantation des multinationales qu'a souhaité créer le Luxembourg. Le Luxembourg n'est d'ailleurs pas le seul pays à proposer de tels accords, puisque la Suisse, les Pays-Bas et l'Irlande en font aussi une spécialité....

Quoi qu'il en soit, il faut retenir que la politique fiscale du Luxembourg est rendue possible par les défaillances du système fiscal international et se fait donc au détriment des autres pays... et in fine des contribuables !   

Le Monde a réalisé une excellente infographie pour résumer tout ceci :

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[ Source : Le Monde ]

Quelles questions ce scandale soulève-t-il ?

Ce scandale soulève tout d'abord une question politique. Certes, d'aucuns argueront que chaque pays a le droit de bâtir le système fiscal qui lui convient le mieux. Mais lorsqu'un pays est membre d'une union politique, économique et monétaire, il y a également des obligations, en particulier celle de ne pas vider de sa substance le budget du voisin...

De plus, au moment où l'OCDE s'engagent dans une lutte mondiale pour l'échange automatique de données fiscales pour les particuliers et contre l'érosion des bases imposables des entreprises, il est de mauvais ton de laisser les multinationales s'exonérer des règles communes afin de ne pas payer d'impôt. L'OCDE rappelle à juste titre que ces pratiques nuisent à "l'équité et à l'intégrité des systèmes fiscaux" et propose d’obliger les pays qui pratiquent le tax ruling à les notifier à leurs voisins.

Et que dire des différences de traitement fiscal insupportables que cela induit entre les multinationales et les petites entreprises, incapables de se payer une batterie d'avocats fiscalistes pour éviter l'impôt dans un pays donné !

L'onde de choc a évidemment fini par atteindre Bruxelles où Jean-Claude Juncker, tout juste nommé président de la Commission européenne, ne pourra faire l'économie d'une explication sur ces pratiques fiscales scandaleuses qui ont eu lieu pendant son mandat à la tête du gouvernement luxembourgeois. Mais bien entendu, Monsieur Juncker continue à nier que le Luxembourg est un paradis fiscal, comme il l'avait déjà fait avec véhémence en 2008 dans le cadre du journal télévisé de France 2 :


Paradis fiscal :quand Juncker se fâchait chez... par LeHuffPost

L'Union européenne, déjà vue comme un repoussoir par nombre de citoyens, en arrivent à être totalement discréditée par ce scandale. En effet, comment faire confiance à une institution comme la Commission européenne, gardienne des traités, lorsque son président fut pendant de nombreuses années le Premier ministre d'un paradis fiscal membre de la zone euro ?

En outre, la précédente Commission européenne s'était engagée dans un bras de fer juridique avec le Luxembourg... justement au sujet des avantages accordés à certaines entreprises Fiat et Amazon pour ne pas les citer et qui pourraient être assimilés à des aides d’État illégales ! Et devinez qui va représenter la Commission européenne au prochain G20 consacré à la lutte contre l’optimisation fiscale ? Mais si vous le connaissez, c'est bien sûr... Jean-Claude Juncker !

Au reste, peu de gens se rappellent que si le Luxembourg a tant développé sa place financière, et par là-même les dispositions fiscales avantageuses qui ont fait la réputation de la place, c'est d'abord parce que l'industrie luxembourgeoise s'était effondrée dans les années 1980. Voilà pourquoi j'insiste très souvent sur la nécessité absolue de maintenir des capacités de production dans tous les pays, afin de répondre au moins partiellement à la demande intérieure. Cela permet aussi surtout de ne pas tomber dans la situation de la Grèce, qui n'a pas de secteur exportateur suffisant pour éviter une dégradation structurelle de sa balance courante. Or, une balance courante structurellement déficitaire conduit inévitablement à un endettement extérieur croissant qui finit toujours pas déboucher sur une crise grave lorsque les prêteurs se retirent du pays : c'est précisément l'enchaînement de la crise de 2008 !

En définitive, ce scandale devrait nous garder de croire que la réduction des déficits publics ne peut passer que par la chasse aux resquilleurs à l'allocation sociale. Les montants en jeu sont en effet sans commune mesure avec ceux concernant l'évasion fiscale des multinationales. Et pourtant, les politiques n'en parlent que très peu et n'hésitent souvent pas (à dessein) à escamoter cette réalité des chiffres afin de soigner leur image... Mais auprès de qui ?

Conservons toujours à l'esprit cette déclaration de Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor sous la présidence de Roosevelt, qui disait : "les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. Trop de citoyens veulent la civilisation au rabais". 


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