Les HLM sont en danger, face aux tentatives de privatisation et de marchandisation. L’entreprise de démolition est là, sous nos yeux, et nombreux s’amusent encore à détourner leur regard, non par simple esprit de pudeur, ce serait au moins pardonnable, mais par goût cynique des commodités d’usage. La réalité devrait pourtant s’imposer à tous, révélant ce qu’il y a de plus cru à voir et à constater: jamais dans notre histoire récente, disons depuis plus d’une génération, la France n’a connu une telle crise du logement. Année après année, les indicateurs, quels qu’ils soient, continuent d’afficher le rouge vif. Tous les organismes référents, toutes les associations concernées n’en finissent plus de tirer les signaux d’alarme. Près de quatre millions de personnes sont actuellement mal logées dans notre pays, parmi lesquelles 800 000 enfants. À ces premiers chiffres essentiels, ajoutons en deux autres vertigineux : près de deux millions de nos concitoyens se trouvent en situation d’impayés ; sept millions sont officiellement en situation de «réelle fragilité», pour reprendre la terminologie consacrée…
Chacun le sait: si cette épouvantable crise du logement n’est qu’un reflet de la crise en général, elle a néanmoins la particularité d’aggraver les politiques d’atomisation sociale et d’accélérer ce que les experts nomment « le sentiment de déclassement ». Quand le lieu de vie et d’existence quotidienne devient un handicap ou un facteur d’exclusion, que reste-t-il pour structurer le minimum vital? Jusqu’à aujourd’hui, un secteur du logement aidait à l’élévation républicaine comme facteur de cohésion: le logement social. Douze millions de personnes en dépendent et échappent ainsi aux «lois» du marché. Ce modèle, qui a pourtant fait ses preuves et qui mériterait d’être développé, est en grand péril. La marchandisation mise à l’œuvre dans toute la société menace désormais le monde HLM. Les objectifs de privatisation du logement social imaginés par les sarkozystes n’ont pas subi, depuis deux ans et demi, les coups d’arrêt espérés. Le candidat François Hollande s’était engagé à promouvoir le logement social et à en construire 150 000 chaque année. Une promesse de plus au cimetière des illusions. Certes, la loi SRU a été renforcée et elle impose 25 % de logements sociaux dans chaque commune et un quintuplement des pénalités. Seulement voilà, aucun des financements des organismes HLM n’a été consolidé. Même le livret A (pilier du système et jadis l’une des clés de voûte de l’épargne populaire) est volontairement maintenu à l’état d’agonie. Une question s’impose: le logement social ne sera-t-il bientôt qu’une vulgaire marchandise, laissée progressivement aux intérêts privés? Inquiétons-nous vivement, car tous les professionnels le reconnaissent: la privatisation rampante a déjà commencé, sournoisement, mais par touches successives, comme si l’inéluctabilité de la baisse des financements publics était acquise. Lors du congrès du monde HLM, le mois dernier, le premier ministre, Manuel Valls, a d’ailleurs planté le décor de la pire des manières en affirmant que le logement social n’avait pour vocation que de loger ceux qui ne pouvaient l’être par «le marché». Ainsi, le logement social ne jouerait plus son rôle républicain d’intégration sociale mais serait réduit à une fonction d’exception aux marges de la société marchande. Une entreprise de démolition, on vous dit! [EDITORIAL publié dans l'Humanité Dimanche du 13 novembre 2014.]