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Si mai 68 devait être réinventé...

Publié le 25 mai 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Dimanche, 25 Mai 2008 13:53

La chronique de  Daniel RIOT

« Et toi que faisais-tu en mai 68 ?...

-J'ai pris un coup de vieux »

Si mai 68 devait être réinventé...

Sous les pavés, les désillusions. L'Utopie crucifiée. Le cynisme triomphant. Et le scepticisme alimenté. Comme dit Glucksmann, Mai 68 a relancé « une recherche de soi ». Et du Nous. Sans mériter,aujourd'hui,  ni sacralisation ni diabolisation.

C'est sans doute pourquoi les commémorations de cette année me laissent dans une complète indifférence, ou presque. En dépit de l'avalanche de livres, de documentaires, d'émissions, de débats, de témoignages, de photos, d'éditions spéciales... Quel festival ! Il est vrai que d'entrée, Sarkozy   avait donné le ton de l'imbécillité collective et   joyeuse avec son exhortation à « liquider l'héritage de mai ». !

Quel héritage ? Ce « dernier soixante-huitard de France », pour reprendre le mot d'esprit de Dany l'Européen[1], n'a rien compris à ces « événements » qu'il n'a ni vécu ni médité.

 L'héritage de mai 68, c'est Sarkozy, précisément. Et cela n'a rien de très réconfortant. Après les bobos et les liblibs, les bling-blings[2] ! La montée de l'insignifiance, la défaite de la pensée, la frime, le toc, et l'arrogante suffisance de soi-même.

Si mai 68 avait été une vraie Révolution débouchant sur un héritage à assumer, nous ne serions pas dans cette situation que les... « Situationnistes »[3] (strasbourgeois) avaient deviné plus que dénoncé avec une bonne année d'avance sur les « Désemparés » des Cités universitaires.

Nous ne subirions pas non plus le totalitarisme rampant et insidieux d'une société de plus en plus liberticide, inégalitaire et anti-fraternelle. Et nous aurions un système politico-économique qui ne rendrait pas indispensable le retour à des réflexions sur le « ré-enchantement de la politique », « le principe d'humanité », la dignité humaine,  la citoyenneté mondiale, les droits de l'homme, la sécurité alimentaire, les effets pervers de l'esprit de compétition mis au service d'un économisme  porteur d'inhumanité, d'une culture muée en « com'cul », d'une information noyée dans l'info-spectacle, d'un égoïsme frileux et de peurs infantilisantes.  .

Mai 68, c'était d'abord un avertisseur. Derrière les slogans ludiques, spirituels, imaginatifs, c'est un SOS qui était lancé. Inconsciemment, mais collectivement.

Les idéaux de la Résistance n'ont pas été honorés pendant ce qu'on appellera les « Trente Glorieuses ». Attention à ce qui risque d'arriver dans les décennies qui viennent si les générations de « l'après-guerre » ne peuvent pas donner à leur vie ce Sens qui fait tant défaut. Nous sommes toujours dans les « Années Piteuses » avec la crise des crises, celle de la confiance dans le progrès...

Car c'est l'absence de Sens qui permet aux nihilismes déclarés ou non, violents ou passifs, mentaux ou physiques, introvertis ou extravertis, de fleurir ou plutôt de se multiplier comme des mauvaises herbes.. Et de faire des ravages.

Si mai 68 devait être réinventé...

Ce « mai 68 » a rarement été vu comme un « avertisseur ». Tout au plus, on y voit une crise de croissance d'une société bloquée, ankylosée, asphyxiée, par ses « camisoles politiques, sociales et morales «  comme le décrit André Glucksmann dans l'un des rares livres[4] dignes d'être lus parmi la centaine qui ont été  publiés en cette saison où tant de ceux qui ont raté l'Histoire voudraient refaire leur histoire.  

Bien sûr ! Quel bonheur d'avoir l'impression de « larguer les amarres », de « se lâcher », de « briser les tabous », « d'interdire d'interdire « , de « jouir sans entrave »...Evidemment, quelle joie de bousculer « le Grand Charles », de secouer la République, de se dédouaner  des crises de puberté dans  un défoulement collectif, dans une effervescence au bout du compte bien maîtrisée par des responsables de la police qui auraient bien des leçons à donner à ceux d'aujourd'hui. Mais quelle tristesse aussi de voir des revirements politiques soudains, des étalages d'opportunisme, ces phénomènes de mimétisme de masse qui conduisent souvent plus au pire qu'au meilleur ! Et ces tartines géantes de conneries chantées ou affichées, du style « CRS, SS », « Elections pièges à cons », « le fascisme ne passera pas »...Ou ces maîtres à penser des totalitarismes érigés en idoles : Mao, Staline, le Che...et d'autres !

Sous les pavés : une belle école de la vie ! Mai 68 ? Un avertisseur   et un révélateur. Cet héritage là n'est en rien « liquidable » Il faudrait même le reprendre pour l'assumer et le développer. Mais la quantité des commémorations célébrées en ce printemps 2008 avec un esprit passéiste n'est guère porteur d'utopies renaissantes et stimulantes. Pourtant, comme écrit Raphaël Glucksmann dans sa lettre ouverte à Sarkozy : « Jogge vite, camarade président, le vieux monde est derrière toi »... : 

Daniel RIOT



[1] Voir aussi Pascal Bruckner « Sarkozy le soixante-huitard », Libération, 14 mai 2007

[2] bobo : bourgeois-bohèmes, liblib : libéral-libertaire, bling-bling : Le terme « bling-bling » est issu du jargon hip-hop et désigne les bijoux et l'accoutrement de certains rappeurs, mais aussi le style ostentatoire et excessif de leur mode de vie. Pax extension : frimeur nouveau riche qui montre qu'il... frime en exhibant des objets de valeur (du type <Rolex de Sarkozy)

[3] L'Internationale situationniste (IS) était une organisation révolutionnaire désireuse d'en finir avec le malheur historique, avec la société de classes et la dictature de la marchandise, se situant dans la filiation de différents courants apparus au début du XXe siècle, notamment de la pensée marxiste d'Anton Pannekoek et de Rosa Luxemburg, du communisme de conseils, ainsi que du groupe Socialisme ou barbarie (Claude Lefort, Cornelius Castoriadis notamment) dans les années 1950. En ce sens, elle pourrait être apparentée à un groupe d'ultragauche. Mais elle représentait à ses débuts l'expression d'une volonté de dépassement des tentatives révolutionnaires des avant-gardes artistiques de la première moitié du XXe siècle, le dadaïsme, le surréalisme et le lettrisme

[4] « Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy », par André et Raphaël Glucksmann ; DENOEL. , Collection médiations



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