Chronique « Soda (T13) » : Vous en reprendrez bien un avant de partir ?
Scénario de Tome, dessin de Dan,
Public conseillé : ado/adultes à partir de 12 ans
Style : Polar/Thriller
Paru chez Dupuis, le 14 novembre 2014
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L’histoire
11 septembre 2001, Soda se souvient de cette journée pas comme les autres. Affublé d’une combinaison de plongeur, il repêchait un macchabée au fond de la baie, menotté à une roue de voiture. Depuis, Soda a la rage. Alors, il boxe avec Lynda, sa copine. Ca ne libère de rien, mais ça anesthésie… un peu.
Après sa séance de sport défoulatoire, Soda rentre chez lui, se déguise en pasteur et vient embrasser Mary Salomon, sa vieille mère au coeur fragile. Pour lui éviter tout stress, Salomon lui fait croire, depuis toujours, qu’il exerce la profession de pasteur, comme ses honorables père et frère. Un métier sans risque, contrairement à celui de flic, où l’on est jamais à l’abri de l’alcool, du tabac, de la dépression ou d’une mauvaise chute dans les escaliers…
Le lendemain, Mary réclame pour son anniversaire, une de ces délicates roses que vend son fleuriste à la sauvette dans une station de métro. Tandis que le « pasteur » négocie l’achat du lot, Mary se met à la poursuite d’un étrange passant. Ce dernier a laissé tomber une enveloppe contenant une grosse somme d’argent, qu’elle tente de lui restituer. Après avoir récupéré son bien, l’homme lui dit : « Ces jours-ci, ne prenez surtout pas le métro ! »
Quand Soda prend connaissance de l’anecdote, il contacte Bab’s pour se lancer sur la piste de Khalid Cheik, un terroriste bien connu de la N.Y.P.D.
Ce que j’en pense
Voilà neuf ans qu’on avait plus vu Soda/David Salomon dans les rues de New-York. Avec un nouveau dessinateur (Dan Verlinden), qui reprend le flambeau de Warnant, puis de Gazzotti, Soda revient plus fort que jamais, avec une histoire en deux parties.
Après cette longue absence et une rupture de dessin présumé, ce fut dur pour moi d’y revenir. Cette série m’avait tellement étonné et accroché par son ironie et sa modernité qu’il était difficile de retrouver le même bonheur… Et pourtant, presque malgré moi, le plaisir est intact !
Puisque la série « Soda » se passe dans un New-York contemporain et réaliste, Tome nous embarque dans une dépression post-traumatique du 11 septembre, mal digérée et paranoïaque. Après ce traumatisme planétaire, il se place en observateur privilégié de cette ville de New-York qu’il connaît bien et qu’il aime.
Son récit, dense et puissant, flirte avec les théories du complot et brouille les cartes entre réalité crue et fiction policière.
En fait, Tome se sert de David Salomon (« Dirty Harry » le jour / Pasteur la nuit) pour pointer du doigt les dysfonctionnements et les mensonges du système. Dans cette ville où tout est possible, le meilleur comme le pire, Tome décrit une Amérique (malheureusement très crédible), engoncée dans sa peur de l’étranger, du terroriste et de et son obsession sécuritaire.
Voilà 24 ans, la série Soda avait commencé comme une gentille petite farce (trop drôle, le super Flic qui se déguise en pasteur pour ne pas effrayer sa vieille maman). Mais ce policier pêchu et ironique est devenu, au fil des années, une véritable éponge de son temps. Contemporain, cynique, moderne, engagé, ce nouvel album ne fait pas exception à la règle. Soda est malmené par une enquête bien poisseuse dans la psychose du 11 septembre. Drones policiers qui espionnent .. les policiers, flics corrompus, fous furieux, vraie désinformation et faux terroristes, Tome joue avec nos nerfs et la vie de « Soda ».
Il nous donne notre dose de polar urbain sous amphétamines, ultra crédible et pas du tout manichéen. Dans Soda, les arabes, arméniens et juifs qui traînent dans les quartiers interlopes n’ont pas tous la gueule de l’emploi. Si vous voulez passer la nuit, il serait de bon ton de ne pas trop croire tout ce que l’on vous donne à voir… Moi j’dis ça, j’dis rien…
Le dessin
Difficile de succéder à Warnaut, puis à l’impeccable Bruno Gazzotti qui avait fait vivre pendant 10 albums l’inspecteur David Salomon et sa bande. Et pourtant, avec un style différent et des codes graphiques qui prolongent intelligemment ceux de ses prédécesseurs, Dan a immédiatement trouvé le ton !
Sans chercher à imiter le dessin de Gazzotti, il nous offre un trait plus nerveux, moins léché, mais qui supporte parfaitement la comparaison.
Aucun doute, sous son crayon, Soda, Mary, Bab’s et Lynda sont parfaitement reconnaissables. C’est un risque majeur du changement de dessinateur, que Dan a su parfaitement gérer, tout en proposant un style plus moderne.
Comme toujours, les cadrages nerveux et dynamiques servent une action haletante et les scènes plus calmes fourmillent de détail (impeccables les scènes de rue).
Sans effacer le travail de Warnaut et de Gazzotti, Dan Verlinden relève le défi avec panache et efficacité. A croire qu’il a été biberonné au Soda, ce gars-là !
Pour résumer
9 ans après le dernier album, Tome revient avec un nouveau dessinateur pour mettre David Salomon (Super-flic le jour, faux pasteur la nuit) dans les rues de New-York. Se servant du climat post-traumatique du 11 septembre, il invente un récit paranoïaque et bien poisseux ou Soda va plonger comme un seul homme.
Dan Verlinden, qui reprend les crayons, assure comme un chef, avec un dessin plus nerveux que ses prédécesseurs, mais dans une véritable filiation. Moderne, haletant, presque sombre, ce nouvel épisode de Soda est adictif. Vivement la suite et fin de l’histoire !