Cheveux d’or, Les (The lodger: a story of the London fog)

Par Kinopitheque12

Alfred Hitchcock, 1926 (Royaume-Uni)



D’abord nous laisser croire au vampire. L’inviter à entrer. Le locataire, Ivor Novello, vient de la brume et peut s’y fondre à nouveau. Il craint la lumière et se déplace la nuit. Assez peu Jack l’éventreur dont The lodger est une déclinaison (et bien que la figure ait certainement marqué d’une manière ou d’une autre Hitchcock enfant), dans son interprétation Novello a plutôt le mystère et la rigidité cadavérique du Nosferatu de Murnau (1922). Cependant, si l’on fait volontiers du locataire un Nosferatu, précisons vite qu’il a rajeuni : comme Dracula dans les cales du Démether (Coppola, 1992), il a retrouvé beauté et jeunesse.

Un montage en trois plans, une façon de nous rapprocher de la source d’effroi
(ce que Hitchcock répétera plus tard, par exemple dans Les oiseaux, 1963, avec le cadavre au bout du couloir).

Prolonger l’évocation expressionniste. Cadres, barreaux, chambranles, parfois en ombres portées (effet auquel Hitchcock a souvent recours dans ses films en noir et blanc), ses traits qui traversent les plans de toutes parts coupent, découpent et (dés)organisent les espaces. Cadrer les personnages en gros plan, voire en très gros plan, et exagérer ainsi davantage leur jeu, leurs expressions, leurs grimaces.

Conforter nos suspicions. Tout devient limpide. Clair. Transparent.

Mieux, on pénètre dans les loges, les coulisses (la salle de bain !) et on entrevoit la mécanique même de la pièce qui se joue. Non plus une compréhension trompeuse (l’état dans lequel se trouve le policier amoureux qui, leurré par ses sentiments, croit comprendre et ne comprend rien), mais de la part du spectateur davantage, un semblant de complicité avec le réalisateur (toute la base du suspense hitchcockien).

Le spectateur croit donc tout avoir compris et finit très tôt par croire aux apparences. L’arrière d’un véhicule suivi dont les fenêtres rondes sont comme les trous des orbites d’un crâne. Une vanité peut-être. On pense à la composition de Dalí, sept femmes nues formant un crâne (1951). Ou en meilleure correspondance avec The lodger, All Is Vanity de C. Allan Gilbert (1892) : une femme s’apprête devant un miroir, la mort. The lodger multiplie en effet ces superpositions de défilés de mannequins et de femmes devant leur miroir avec les meurtres qui s’enchaînent. L’idée n’est-elle pas répétée, à peine changée, quand sont associés désir amoureux et pulsion criminelle (les embrassements dangereux, les menottes pour s’attacher l’être aimé, les baisers menaçants) ?

Finalement brouiller les pistes. Confondre le fétichisme du (faux) coupable avec celui du réalisateur. Ou bien celui du spectateur. Voyeurisme et obsessions : la blondeur de quelques boucles de cheveux, des femmes aux épaules dénudées ou dans leur baignoire…



Puis une figure abusivement répétée. Le triangle : le meurtrier laissant, sur chacun des corps laissés sur le pavé, un bout de papier avec dans un triangle sa signature, le « Vengeur ». Hitchcock en insère également dans les cartons de texte au montage. On en reconnaît encore ailleurs : le lustre par exemple lorsque le couple Bunting et le policier lèvent le nez vers le premier étage où loge l’inquiétant locataire. Le triangle permet aussi avant tout l’évocation schématique des relations entre les personnages principaux, un triangle amoureux formé par la blonde Daisy (June), le policier protecteur (Malcolm Keen) et le locataire vengeur (Novello).



Depuis ses entretiens avec Truffaut, on sait que The lodger est le premier film dont il est satisfait. Il a lui-même choisi le sujet, apprécie beaucoup le roman dont le film est tiré (The lodger de Marie Belloc Lowndes publié en 1913) et participe pour la première fois au scénario, bien que cela ne soit pas dit au générique (Mc Gilligan, Alfred Hitchcock, une vie d’ombres et de lumière, 2011, p. 112-114). On sait très bien aussi les concessions qu’il a du faire. Ainsi, à propos de Novello jeune premier suivi par le public, on lit très souvent que les producteurs ont refusé au grand dam du réalisateur d’en faire un coupable (selon les mots d’Hitchcock dans les entretiens, « a star cannot be a villain »). Mais il faut peut-être d’abord rappeler l’importance du contre-emploi initialement envisagé. Si Hitchcock voulait faire d’Ivor Novello un tueur, c’est bien justement parce qu’il avait un physique avenant, ce visage doux et lisse dont personne ne pouvait douter qu’il cachât un pervers et un assassin. La démarche complétait ainsi parfaitement son méticuleux travail sur les apparences. Ainsi, une victime, Daisy, qui n’en sera jamais une et pas davantage une faible personne. Un policier moins fin qu’il n’en donne l’air. Et surtout un faux coupable vengeur qui a failli entretenir toute la complexité d’un M. de Winter (Laurence Olivier dans Rebecca, 1940), d’un Johnnie Aysgarth (Cary Grant dans Soupçons, 1941) ou d’un(e) Charlie (Teresa Wright et Joseph Cotten dans L’ombre d’un doute, 1943).


Dvd sorti en octobre 2014 édité par Elephant films / Elysées éditions.
Critique Cinetrafic.