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Les batailles de ponts au Québec

Publié le 18 novembre 2014 par Jclauded
Décidément, le Québec a des problèmes de ponts. À Montréal, la bataille rangée est à propos du pont Champlain et à Québec c’est le vieux Pont de Québec qui envenime le débat. Les deux sont des structures importantes puisqu’elles traversent le fleuve Saint-Laurent.

Le pont Champlain est fédéral et il doit être démoli et remplacé par un nouveau. Pour ce faire le gouvernement conservateur du Canada, toujours près de ses sous, propose qu’il soit construit avec la méthode PPP, par laquelle une entreprise privée fera le design définitif du projet, le construira, l’entretiendra pendant des dizaines d’années, paiera tous les coûts, les frais et les dépenses et imposera un péage pour se dédommager, avec profit. De son côté, le gouvernement ne paiera que les dépenses de concept et de mise en place du projet pour la tenue de soumissions publiques. Les payeurs de taxes canadiens seront épargnés mais les utilisateurs du pont paieront. C’est ce qui fait débat. Pressé par la mauvaise condition du pont actuel, le gouvernement fédéral a mis de côté la formule d’un concours international pour le choix des designers du nouveau pont et il a choisi l’architecte danois, Poule Ove Jenssen, de réputation mondiale, pour en faire le concept. Ce dernier a présenté sa maquette en fin juin 2014 et les Montréalais ont découvert un pont élégant et élancé. Pour traverser la voie maritime du Saint Laurent, une structure à haubans consistant en un haut pylône double d’où de nombreux câbles obliques rehausseront les tabliers pour assurer le passage des bateaux. Le reste du pont ressemblera à l’existant avec ses tabliers quasi-parallèles au niveau de l’eau et assis sur 70 piliers dont les fondations seront creusées dans le sol du fleuve. Parmi les commentaires qui m’ont été faits par des amis et autres sur ce projet, plusieurs se sont montrés quelque peu désappointés car ils ne trouvent rien de spectaculaire dans le design accepté.Malgré que ce projet soit connu depuis plus de quatre mois, le débat principal des Québécois a porté sur son nom et non sur son design. Mais cela peut changer car l’architecte français Roger Taillibert qui a dessiné le Stade Olympique, le vélodrome, les piscines olympiques des JO de 1976 à Montréal, vient de proposer un concept différent. Il suggère un pont à haubans multiples sur toute la longueur du pont à partir de sept pylônes gigantesques inclinés, un peu comme des mats de grands voiliers (peut être voit-il ceux de Champlain). Son concept ressemble quelque peu au viaduc de Millau mais en beaucoup moins spectaculaire puisque ce dernier traverse la profonde vallée du Tarn et est construit en courbe avec son pylône central de la hauteur de la tour Eiffel. Le pont Taillibert serait entièrement métallique et les sept pylônes ancrés dans le sol du fleuve. Taillibert prétend que son pont coûtera moins cher (1,7 milliards $ au lieu de 4) et sa réalisation sera faite en 40 mois, beaucoup plus vite. La maquette qu’il a présentée est remarquable et plusieurs Montréalais jugent cette proposition plus spectaculaire que celle de Jenssen et plus réaliste pour un climat comme le nôtre puisqu’il est tout d’acier comme le pont Jacques Cartier et le pont Victoria, qui sont toujours là et solides. Il me semble que le gouvernement conservateur devrait examiner le projet Taillibert et, s’il le trouve conforme, le soumettre en soumissions avec celui de Jenssen. Que les réalisateurs-constructeurs des groupes PPP, nous présentent la meilleure option avec son prix et son temps d’exécution, car tous ces critères sont importants dans ce projet. Moins cher coûtera le pont, plus bas sera le péage. C’est donc crucial que les politiciens y portent toute leur attention. Du côté du pont de Québec, la situation est tout autre. L’histoire de sa réalisation marqua les annales canadiennes. Il a une structure remarquable. Il fut construit, avec une aide initiale du gouvernement fédéral, par une compagnie privée. De construction métallique rivetée, il est composé de deux porte-à-faux gigantesques de 178 mètres chacun qui retiennent une travée centrale importante. Le pont s’écroula deux fois durant sa construction, tuant 90 de ses travailleurs et en blessant un très grand nombre. Finalement, les travaux furent complétés au coût total de 25 millions $ et le premier train le traversa en 1917. On le considérait alors une des merveilles du monde. De là, les Québécois aiment à dire, en parlant d’une construction nouvelle, qu’elle est « plus solide que le pont de Québec ». Plus tard, on démantela une des deux voies ferrées pour élargir la voie carrossable. Finalement, trois voies furent réalisées. C’est un pont important à Québec qui, jumelé avec le pont Pierre-Laporte, construit en 1970, permet une circulation libre et rapide pour entrer et sortir de la région de la ville de Québec. De son ouverture jusqu’à avril 1942, un péage était imposé à chaque véhicule le traversant. Avec ces revenus, ses propriétaires sont « entrés dans leur argent ».En 1993, le gouvernement du Canada, devenu propriétaire du pont, l’a cédé avec divers terrains d’emprise de chemin de fer situés dans tout le pays à la compagnie d’état des chemins de fers, le Canadien National (CN), pour la somme nominale de 1 $. En retour, la compagnie s’est engagée à faire une restauration complète du pont. Mais en 1995, le gouvernement fédéral a privatisé le CN et a renégocié une nouvelle entente tripartite, valable pour dix ans. Mais, au terme de cette entente, en 2005, seulement 40% du pont avait été nettoyé de sa rouille et repeint à neuf. Le CN a alors refusé d’investir toute somme supplémentaire dans la rénovation du pont et les travaux furent interrompus. Face à cette situation de blocage et malgré d’intenses négociations, le gouvernement du Canada a résolu d’intenter une poursuite légale contre le CN en 2007, pour l’obliger à terminer la remise en état du pont de Québec. L’affaire est encore devant les tribunaux. Le Pont de Québec a été désigné « lieu historique national du Canada ». Les sociétés d’ingénieurs canadiens et américains le nommèrent « monument historique international ». Il est donc partie de notre héritage et un bien à conserver. C’est une structure imposante, fort impressionnante qui, même avec sa couleur brune rouillée, a belle apparence. Aujourd’hui, sa structure n’offre aucun danger et le maire de Québec parle du besoin de le repeindre pour des raisons esthétiques. Le problème est que le CN refuse de dépenser 200 millions $ (son estimation) pour faire ce travail de peinture à moins que la facture soit payée par les gouvernements. Sinon, il propose de remettre le pont à celui des gouvernements qui voudra bien l’accepter. Jamais cette compagnie privée n’entreprendra ce travail sans la résolution de sa mésentente avec le fédéral. C’est pourtant facile à comprendre. Au lieu d’insulter les dirigeants du CN pour se faire des manchettes dans les journaux, le maire LaBeaume devrait cogner à la bonne porte. Il y a une autre solution : le péage. Que l’un des gouvernements accepte de devenir propriétaire du pont et qu’il impose un péage pour défrayer ses frais d’opération et d’entretien annuel. À ce moment-là, les Montréalais et les citadins de Québec débâteront du même sujet : pour ou contre le péage sur leur pont.
Claude Dupras
Note particulière : Les bagues d’acier remise aux nouveaux ingénieurs canadiens lors de l’assermentation des « Sept Gardiens », doivent être portées sur l’auriculaire de la main de travail des ingénieurs professionnels et sont destinées à rappeler aux ingénieurs leurs responsabilités sociales de respecter l’éthique de leur profession. L’anneau est au départ en fer rugueux et c’est avec le temps qu’il se fait polir par le travail, recevant l’expérience qui vient avec l’âge. On a toujours dit aux jeunes ingénieurs que ces bagues avaient été forgées des morceaux d’acier effondrés du pont de Québec. C’est faux. Diplômé en 1955 de Polytechnique, j’avais alors cru en l’origine prétendue. J’ai toujours cette bague à mon auriculaire depuis ce jour et je ne l’ai jamais enlevée.

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