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Trèves de comptoir... à Hamra

Publié le 19 mai 2008 par Delphineminoui1974
  trèves de comptoir2.jpgAssis à la terrasse du Café de Paris, en plein cœur de Hamra, une rue habituellement commerçante et cosmopolite de Beyrouth Ouest, Faouzi a retrouvé sa bande. Et son sourire. Après avoir été complètement déserté pendant près d’une semaine, le repère des intellectuels libanais croule à nouveau sous les montagnes de mégots, les tasses de café vides et les commandes de jus d’orange frais. Comme si de rien n’était.

« Hamra, c’est un peu le miroir du Liban. On y trouve des sunnites, des chiites, des chrétiens, des druzes, mais aussi des étrangers. On ne peut pas oublier ce qui vient de se passer, mais on préfère tourner la page. On ne veut pas d’une seconde guerre civile », clame, avec pragmatisme, ce peintre libanais à la chemise blanche et au veston caramel, originaire du Sud, et installé dans ce quartier mixte de la capitale depuis plus de cinquante ans.

A quelques mètres de là, un pick-up des forces de sécurité s’emploie à retirer les barbelés destinés à protéger le Ministère de l’information des combats de rue, qui ont fait plus de soixante morts à travers le pays. Un peu plus loin, une grappe de jeunes filles s’adonne au lèche-vitrine devant les boutiques enfin libérées de leurs rideaux de fer. Dans une buvette faisant face à l’Université Américaine, il est même question de la reprise imminente des cours.

 Hamra (qui signifie « rouge » en français) a pourtant perdu de sa traditionnelle couleur de fête. Dès qu’on s’éloigne de la rue principale, c’est un triste spectacle de vitres cassées, d’amas de pierres et de carcasses de meubles brûlés qui s’impose ça et là. Tous les cinquante mètres, les drapeaux des différents mouvements de l’opposition proche du Parti de Dieu continuent à flotter au vent.

Dans les conversations, les rancunes sont palpables et la méfiance est au rendez-vous face aux miliciens chiites qui persistent à roder dans le coin, en dépit des patrouilles de l’armée.

« Ce n’est pas normal qu’un groupe cherche à s’imposer sur un autre », ose avancer l’architecte Khalil, un vétéran du Café de Paris, qui refuse de décliner son origine confessionnelle. Avant de faire signe qu’il préfère changer de sujet. « Aujourd’hui, je préfère éviter les sujets politiques. Car si je parle, on va aussitôt chercher à me coller telle ou telle étiquette, et ça, c’est dangereux », souffle-t-il, de peur de déterrer les vieux démons de la guerre civile (1975-1991).

« Au fil de ces dernières années, Hamra s’était distingué pour sa neutralité. On avait pris l’habitude de s’y exprimer librement. En fait, les derniers événements ont été une attaque contre cette neutralité », reconnaît, avec amertume, Yahyah, un habitant du coin, venu humer, aux bras de son épouse, Nadia, l’odeur de la vie qui reprend timidement. « Les cinq jours que nous avons passé cloîtrés chez nous nous ont paru aussi longs qu’une année. On ne pourra pas les effacer de nos mémoires », glisse-t-il.

A l’inverse d’Ashrafieh, située à l’Est de Beyrouth, à majorité chrétienne, de l’autre côté de « la ligne verte », l’ancienne ligne de démarcation, Hamra avait toujours su préserver, jusqu’ici, cet esprit d’ouverture et de diversité qui la distingue du reste de la capitale. « Toute la vie du Liban est concentrée à Hamra. On y trouve les meilleures universités de la ville, on y trouve aussi des cafés, des cinémas, des restaurants, des magasins de mode », poursuit Yahyah.

« Avant, quand on croisait les voisins, on parlait de travail, de ses enfants, de ses parents. Mais aujourd’hui, les conversations ont tendance à se politiser », regrette-t-il.

Cette nouvelle réalité, Kheirat al-Zein a du mal à l’accepter. « Pour moi, Hamra reste une grande famille », glisse cette peintre de 50 ans, une des fidèles du Café de Paris. Au pic des combats, elle s’est affairée, dit-elle, à cuisiner pour tout son immeuble, à réconforter les voisines et à divertir leurs enfants, toutes confessions confondues. « A mes yeux, il n’y a jamais eu de différence entre un sunnite, un chiite, un chrétien ou un druze. Ce sont les politiciens qui posent des problèmes », confie-t-elle.

Mais pour cette partisane du Hezbollah, une des rares à revendiquer son penchant politique, la donne a pourtant changé.

« Je continue à croire que la guerre de l’été 2006 a été une victoire du Hezbollah sur Israël. Mais dans le conflit interne qui vient d’avoir lieu, il n’y a ni perdant ni gagnant. Il y a des Libanais qui ont tué des Libanais, et ça, c’est regrettable », dit-elle.

(Photo : Au Café de Paris, repère des intellectuels de Beyrouth, les discussions ont repris).


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