Magazine Côté Femmes

Un peu de recul

Par Gentlemanw

J'avais trop peu de recul quand mon père a quitté la maison. Laissant mon frère, ma mère et moi, comme des êtres en perdition, certes nous avions gardé l'appartement, mais nos repères devenaient flous. Les fins de mois furent difficiles, et puis l'organisation, les pleurs, les doutes ont suivi le tourbillon des saisons, avec des hauts et des bas.

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Adolescente, je l'ai haï, conforté par la haine démesurée de ma mère envers cet homme parti, la quittant, rompant des années d'amour et puis de mensonges. Elle se sentait trahie, elle le disait, elle restait seule sans croire à d'autres hommes. Le divorce était long, trop long, car chacun voulait emmerder l'autre sans voir les engueulades, les insultes, les menaces et finalement la petitesse de manipulations. Nous les enfants, nous étions aussi sujets à des mots forts, à des enjeux, des mesquineries sur les dates pour embrouiller l'autre, sur des week-ends trops courts ou trop longs, des obligations et leurs contraires. Alors on se rebellait, on croyait notre mère, protectrice, face à ce diable de père. Il avait tous les torts, dont celui, apparemment suprême de vivre déjà avec une autre femme. Heureux en plus.

Je l'ai détesté, assez pour lui cracher tout cela à la figure, pour qu'il me dépose dans une gare pour rentrer chez ma mère, pour préférer ne plus me voir. Enfin ce n'était pas son choix mais bien le mien, tant de haine envers lui, cet homme qui avait été si aimant avant. Je ne l'ai plus vu durant des années, sauf derrière une vitre de voiture, quand il récupérait mon frère, plus neutre dans cette histoire, plus en recul face aux avis des uns et des autres, sans position pour ne pas brusquer ni les unes, ni l'autre. Plus de père. Et un peu de hargne contre les mecs, cette image déconstruite du masculin. 

Mon frère m'avait dit un jour de doutes, un jour où nous étions tous les deux dans nos études, proches des diplômes de fin d'année, que je lui manquait. Juste une phrase, et puis des révisions. L'esprit ailleurs.

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J'ai eu le temps de devenir moi, un être libre, dans mes pensées et mes actes. Mon père vieillissait, amoureux d'une autre femme, avec d'autres enfants, plutôt des jeunes adultes, je crois. Un homme normal dans un monde où les familles recomposées étaient majoritaires. Je l'ai croisé par hasard en allant à un spectacle, ils marchaient dans la rue, ils se souriaient. Il ne m'a pas vu. Voilà dix ans que je ne le vois plus, et que ce père me manque. Surtout le jour, où en rangeant des photos, j'ai retrouvé des instants magiques, nos balades, nos jeux, mon enfance avec lui. Tant de bonheur car il était si présent avec nous, si impliqué, si papa gâteau. Derrière le mur de plomb que ma mère avait construit face à sa propre douleur, il y avait un traître, un salaud à ses yeux, mais aussi mon père tout simplement, un homme. Peut-être même avec ses souffrances.

Alors j'ai invité mon frère, pour lui poser des questions, et surtout avoir des réponses. Je ne pardonnais pas mais je voulais savoir si mes idées étaient fausses, savoir qui il était, savoir qui il est aujourd'hui. Calmement, entre mouchoirs et verres de vin, on a parlé de tout, du pire et du meilleur, de ce que j'avais dit et cru, de ce qu'il était, le bon et le moins bon, un triste bilan. Le sien, le mien aussi.

Mais avais-je le droit de le juger, car finalement ce n'était que la rupture d'une histoire d'amour entre lui et ma mère, mais pas avec nous, pas avec moi. 

Et pour me protéger, il avait pris tous les torts. Il me semble qu'ils étaient partagés. Faiblesse, hypocrisie, lâcheté, sensibilité, je devais trouver la réponse dans ce cocktail d'années perdues.

Nylonement


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