Des cuvettes de toilettes disposées en enfilade, d’une blancheur immaculée, presque à l’infini, à vous dérouter complètement. C’est l’étonnant spectacle qui jaillit de ce terrain vague, planté là, au centre de Beyrouth, au cœur d’une ville où se chamaillent d’imposants gratte-ciels en construction et de vieux immeubles bancals, criblés d’impacts de balles datant de la guerre civile, et parfois perforés … jusqu’à la salle de bain.
Des cuvettes, donc. Et bien, oui, des cuvettes justement. C’est tout le propos de cette intrigante installation montée par l’artiste Nada Sehnaoui pour dire « non » à une nouvelle guerre, alors que les Libanais commémorent le début de celle qui déchira leur pays entre le 13 avril 1975 et début 1990, et que leurs représentants politiques peinent à élire un président dont le siège reste vacant depuis plus de quatre mois.
Alors, voilà, cette artiste qui s’intéresse aux thèmes de l’identité, de la mémoire et de l’oubli collectif ose aujourd’hui poser la question crûment. « Quinze années cachées dans les toilettes n’ont-elles pas suffi ? », interroge le titre de son exposition, qui a été inaugurée hier et sera accompagnée pendant quinze jours de projections de films, débats et soirées poétiques autour de la guerre.
C’est un morceau poignant de l’histoire qu’on retrouve, à quelques mètres de la tour Starco qui domine les toilettes blanches, dans un club de jeux pour enfants (Planet Discovery Exhibition Hall) transformé pour l’occasion en galerie de posters des années de guerre civile. Intitulée « Signes de conflit », l’exposition revisite l’iconographie de la guerre, autour des thèmes du leadership, de l’appartenance politique, de la commémoration et du martyre. Un excellent résumé de ce conflit bien complexe aux lignes de fractures fluctuantes qui vaut mille livres d’histoire.
Et dans le même registre, l’UNESCO s’associe à ce devoir de mémoire en exposant les portraits de personnes disparus pendant la guerre civile. Pour marquer le coup, une panoplie d’ONGs sont également descendues dans la rue, ce week-end, pour crier leur ras-le-bol contre les rumeurs de guerre. « Beyrouth ne mourra jamais », peut-on lire sur la devanture de certaines boutiques.
Mais beaucoup de Libanais, aussi, ont tout simplement préféré bouder ces commémorations. « Y’en a marre de ces manifestations qui ne mènent à rien et où l’on retrouve toujours les mêmes personnes », me confiait, hier, une amie libanaise.
Saturés par les querelles politiques qui animent aujourd’hui les différents clans, nombreux sont les Libanais qui évitent, aujourd’hui, d’aborder le sujet.
Prenez ce petit imprimeur situé sur l’ancienne ligne de démarcation, communément appelée « ligne verte ». Au dessus de son bureau, un poster annonce la couleur : « Il est interdit de parler politique ! ».