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Le djihad ce n'est ni la guerre ni le crime

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

Le deuxième trait de l'Islam, qui explique sa rapide pénétration,Le djihad ce n'est ni la guerre ni le crimec'est son ouverture et sa tolérance. Le Coran commandait déjà derespecter et protéger les « gens du Livre » (c'est-à-dire de la Bible),juifs et chrétiens, héritiers eux aussi de la foi d'Abraham (Ibrahim)qui était la référence commune. Cette tolérance s'étendit d'ailleursaux zoroastriens de Perse et aux hindous, si bien que, lorsques'instaura en Perse la domination arabe, seul un très petit nombre dezoroastriens émigrèrent en Inde où leurs descendants constituent,aujourd'hui encore, les communautés « parsies ». Seuls les polythéistesfurent systématiquement combattus.L'acceptation de ceux des juifs, et plus encore des chrétiens, quirefusaient de se convertir à l'Islam, et la confiance en eux étaient tellesqu'ils pouvaient accéder aux plus hautes fonctions de l'Etat : le grandpèrede saint Jean Damascène, Ibn Sarjoun, fut le premier ministre ducalife omeyyade de Damas, et à saint Jean Damascène lui-même futconfiée par le calife la direction de l'administration financière del'Empire à Damas. Cet esprit d'ouverture subsista après 750 avec lesabbassides de Bagdad : lorsque le calife Al Mamoun créa, en 832, la« Maison de la Sagesse », avec son université et son observatoire, ilconfia la direction de ce centre de la culture de son empire à unmédecin chrétien nestorien, Hunayn ibn Ishaq.
Cette attitude nous permet de rétablir, dans son vrai sens et sa vraieperspective, le djihad.Il est de tradition, chez les Occidentaux, de traduire djihad par« guerre sainte », c'est-à-dire guerre entreprise pour la propagationde l'Islam. Le rédacteur de l'article « Djihad » dans l'Encyclopédie del'Islam, l'orientaliste D. B. Macdonald, commence par affirmer :« L'expansion de l'Islam par les armes est un devoir religieux pourtous les musulmans. »Or, djihad ne signifie pas « guerre » (il existe un autre mot pourcela : harb), mais « effort » sur le chemin de Dieu. Le Coran estparfaitement explicite : « Pas de contrainte en matière de religion »(11,256).Tous les textes que l'on a invoqués pour faire de l'Islam unépouvantail, une « religion de l'épée », ont été invariablementséparés de leur contexte. On a, par exemple, appelé « verset del'épée » le verset 5 de la IXe sourate en en détachant « tuez lespolythéistes partout où vous les trouverez » du verset précédent(IX,4) qui précise qu'il s'agit de combattre ceux qui ayant conclu unpacte l'ont ensuite violé, ou ceux qui prétendent empêcher lesmusulmans de professer et de pratiquer leur foi.En un mot, si la guerre n'est pas exclue, elle n'est acceptée que pourla défense de la foi lorsque celle-ci est menacée, et non pas pour lapropagation de la foi par les armes.La guerre ne se justifie, selon le Coran, que lorsqu'on est victimed'une agression ou d'une transgression, actes que les musulmanseux-mêmes s'interdisent formellement s'ils obéissent au Coran :« Combattez dans le chemin de Dieuceux qui luttent contre vous.Ne soyez pas transgresseurs;Dieu n'aime pas les transgresseurs » (11,190).La lutte armée pour celui qui pratique le djihad (le mudjahid) n'estque l'aspect second du djihad. Un hadith célèbre distingue le « petitdjihad» c'est-à-dire la défense de la foi par la force contre un ennemiextérieur qui la menace ou la persécute, et le « grand djihad » qui estle combat intérieur pour vaincre notre égoïsme, maîtriser nos instinctset nos passions, pour laisser toute la place à la volonté de Dieu.Le grand djihad est une lutte contre soi, contre les tendances quitirent l'homme loin de son centre, ce qui, en l'entraînant vers desdésirs partiels, le conduit à se faire des «idoles » et, par conséquent,l'empêche de reconnaître l'unité de Dieu. Cette « idolâtrie » est plusdifficile encore à vaincre que celle des idolâtres de l'extérieur.Il y a là, aujourd'hui encore, une grande leçon pour beaucoup de« révolutionnaires» qui prétendent tout changer, sauf eux-mêmes,comme autrefois tant de « croisés » qui, à Jérusalem, dans l'Espagnede la « Reconquista », ou contre les Indiens d'Amérique, voulaientimposer aux autres un christianisme qu'ils bafouaient en chacun deleurs actes.Séparer lavie extérieure de lavie intérieure, c’est se condamner à
nepropager, sous lenom de christianisme ou de socialisme, que desidolâtries sanglantes.L'un des exemples les plus éclatants de laréalisation humaine de cedouble djihad est celui de l'émir Abd el-Kader, qui ne fut passeulement le grand chef de guerre, qui organisa pendant quinze ans,contre un envahisseur disposant de moyens militaires sans communemesure avec les siens, la résistance armée pour la défense de sonpeuple et de sa foi, mais qui fut aussi l'un des plus grands mystiques dusiècle, disciple d'Ibn Arabiauquel il était lié par filiation initiatique.Dans son Livre des étapes, il médite sur l'enseignement fondamentaldes soufis de l'Islam : la réalité profonde des créatures, c'est Dieu, etDieu n'est pas seulement l'Etre, mais aussi tous les possibles nonmanifestés et l'acte de liberté qui les engendre. Exilé à Damas par legouvernement français, lors des émeutes xénophobes de 1860, ilprend sous sa protection et sauve du massacre les 14000 chrétiens deDamas. Le pape même lui conféra l'ordre de Pie IX. Cette hautefigure chevaleresque écrivait, dans son Livre des étapes, ces lignes sicaractéristiques de l'ouverture de l'Islam : « S'il te vient à l'esprit queDieu est ce que professent les différentes écoles islamiques, chrétiennes,juives, zoroastriennes, ou ce que professent les polythéistes ettous les autres, sache qu'en effet II est cela, et qu'il est, en mêmetemps, autre que celax. »Cette haute conception du djihad, de l'effort sur le chemin de Dieu,s'exprime d'une autre manière encore dans le rôle que joue le« martyre » dans la perspective du mudjahid de l'Islam. Un théologienmusulman iranien, qui lutta dans le mouvement religieux contrele despotisme dès 1960, M. Motaharri, dans son livre Shahid (témoin,martyr) de 19772, définit le martyre par deux caractéristiquesfondamentales : le « martyr », le « témoin », affronte la mort au nomd'une cause sacrée ; il le fait en pleine connaissance du risque :« Ne crois surtout pasque ceux qui sont tuésdans le chemin de Dieu sont morts.Ils sont vivants ! » (Coran 111,169).Ce sacrifice du martyr peut intervenir dans un combat où l'onpouvait espérer triompher, comme ce fut le cas dans la batailled'Ohod, livrée par le Prophète, et à laquelle se rapporte ce verset duCoran ; ou bien ce peut être une mort délibérément acceptée avec lacertitude de la défaite immédiate. Le modèle de ce martyre, dansl'Islam shi'ite, est celui d'Hossein, le petit-fils du Prophète, tué à labataille de Kerbéla. Le martyre a ici une autre signification : par-delà
1. Michel Chodkiewicz a bien voulu me communiquer, avant leur publication,certains écrits spirituels de l'émir Abd el-Kader. Textes présentés et traduits parM. Chodkiewicz, Editions du Seuil, Paris, à paraître en 1982.2. Cité par Paul Vieille à qui je dois cette analyse sur la tradition islamique du« martyre ».la défaite et la mort, parce qu'il est un témoignage au nom de la véritéet de la foi, il est en lui-même une contribution à la victoire de cettevérité et de cette foi. Le cri de « Allah akbar » (« Dieu est plusgrand »), qui a fait se lever en Iran des millions d'hommes et defemmes aux mains nues, face à une armée américanisée, et à vaincrecette armée au prix du martyre de tant d'hommes de foi, traversetoute l'histoire de l'Islam. Il a donné l'espérance et le couraged'affronter les oppressions et les persécutions depuis les premierscombats du Prophète jusqu'à l'insurrection du mahdi du Soudancontre les mitrailleuses anglaises à la fin du xrxe siècle, et à l'héroïsmedes mudjahids algériens, une fois encore, contre des forces militairesinfiniment supérieures mais qui vit la victoire de la foi sur les armes.Le théologien musulman AliShari'ati, l'un des inspirateurs de larésistance à l'oppression en Iran, écrivait en 1972 que le martyre n'estpas une dimension de l'Islam, mais son essence même, unissantindivisiblement la résistance à l'ennemi extérieur de la foi, et la lutteintérieure contre les plus animales vibrations, en nous, de l’égoïsme etde la peur.En essayant ainsi de rendre compte des raisons profondes del'expansion musulmane, et en même temps de dégager la notion dedjihad de ce qu'ont accumulé contre elle des siècles de fanatisme antiislamique, de colonialisme et de préjugés racistes, nous ne voulonspas idéaliser l'Islam historique, mais simplement rappeler qu'en sonprincipe même il exclut la Croisade et l'Inquisition, tout comme lechristianisme les exclut en son principe même, bien que ce soient deschrétiens, leurs rois très chrétiens, leurs clergés et leurs papes, qui enaient accompli les forfaits, du sac de Constantinople et des massacresde Jérusalem aux bûchers de Torquemada en Espagne, et au génocidedes Indiens d'Amérique1
Roger Garaudy. Promesses de l’Islam. Seuil. 1981. Pages 39 à 42
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