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C'est la lutte... primaire!

Publié le 24 novembre 2014 par Particommuniste34200

Alain Juppé copieusement sifflé par la foule sarkozyste. L'incident laissera des traces profondes dans l'histoire de la droite. Dans l'entourage du maire de Bordeaux, on parlait dimanche d'un événement "fondateur". Manière pudique de reconnaître que la guerre du leadership est bel est bien déclarée. Le crime de Juppé ? Lors du meeting que Nicolas Sarkozy a tenu samedi dans sa ville, l'ancien Premier ministre en a appelé, devant des militants biberonnés au culte du chef suprême, au respect de la règle commune, gravée dans les statuts de l'UMP : le candidat de la droite et du centre à l'élection présidentielle de 2017 sera désormais désigné par la voie d'une "primaire" ouverte. Et Juppé "compte sur la nouvelle présidence" du parti pour en assurer l'organisation.

Traquenard. Ce qui n'était encore qu'une vague inquiétude est devenu, depuis samedi, une quasi-certitude : loin de pacifier la famille, la très probable élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l'UMP, samedi prochain 29 novembre, va exacerber les tensions qui fracturent la droite depuis que l'ancien chef de l'Etat a fait mine, le 6 mai 2012, de se retirer de la vie politique. Le but de guerre est toujours le même : il s'agit de barrer la route à tous ceux qui ont l'audace de prétendre s'imposer comme le nouveau leader de la droite. En 2012, il fallait, par tous les moyens, faire monter Copé pour affaiblir Fillon. En 2014, il faut dénigrer le principe de la primaire pour empêcher Juppé de rafler la mise, alors que souffle dans l'opinion une inquiétante Juppémania.

Candidat déclaré à ladite primaire, l'homme de droite préféré des Français accueillait samedi dans sa ville le candidat à la présidence du parti et plus de 4 000 de ses sympathisants. Juppé serait-il tombé dans un traquenard ? Brice Hortefeux a feint de s'étonner dimanche matin sur Europe 1 : où serait le piège, dès lors que "le maire de Bordeaux s'exprimait devant les adhérents de sa ville" ? En réalité, les militants bordelais étaient minoritaires. Pour leur démonstration de force, les réseaux sarkozystes avaient rameuté depuis toutes les régions du Grand Ouest, du pays basque jusqu'en Bretagne, à grand renfort d'autocars.

Les siffleurs de samedi sont assez représentatifs de l'électorat appelé à choisir, samedi, le nouveau patron de l'UMP : des militants sarko-copéistes à jour de cotisations qu'aucun soupçon de fraude et de putsch ni aucune affaire Bygmalion n'auront découragé. Ils sont restés à l'UMP parce qu'on leur promet, depuis deux ans, la résurrection de Sarkozy. Et alors que le grand jour est venu, il est évident pour eux que le chef de parti qu'ils éliront samedi sera aussi, mécaniquement, leur candidat pour 2017. Ils ne veulent pas entendre parler de cette primaire qui n'est rien d'autre, à leurs yeux, qu'une sournoise arme anti-Sarkozy, agitée par quelques hérétiques comme François Fillon, Xavier Bertrand et Alain Juppé.

Comme il le fait à chacun de ses meetings, Nicolas Sarkozy a protesté, à Bordeaux, qu'il y aurait "bien sûr" une primaire pour désigner le candidat de la droite à la présidentielle. Il s'en occupera, dit-il, "le moment venu" mais ce n'est pas, loin de là, sa priorité. Avec son meilleur sourire carnassier et à grand renfort de haussements d'épaules, Sarkozy fait partager son amusement d'entendre qu'on le soupçonne de craindre la compétition... lui qui l'aime tant !

Sécession. C'est pourtant bien de cela qu'il s'agit : l'ancien chef de l'Etat ne voulait pas de cette innovation dont ses amis ont vainement tenté, début 2013, d'empêcher l'inscription dans les statuts. Ils avaient dû céder. Car au lendemain de l'élection contestée de Copé, candidat des sarkozystes, les fillonistes menaçaient de faire sécession si l'UMP ne se convertissait pas aux primaires ouvertes.

Si Sarkozy craint le match contre Juppé, c'est qu'il n'est plus du tout sûr de l'emporter si la confrontation est arbitrée, au-delà du noyau dur de la droite, par plusieurs millions d'électeurs, jusqu'aux déçus de François Hollande. Nicolas Sarkozy l'a bien précisé à Bordeaux, expliquant à ses supporteurs que la primaire ne peut concerner que ceux "qui auront choisi d'adhérer aux valeurs qui sont les nôtres". Cette réserve vise François Bayrou, ami d'Alain Juppé mais électeur de François Hollande au second tour en 2012. Elle suggère également une élection pas aussi "largement ouverte" que le souhaite Juppé.

Après avoir promis de "tout reconstruire, du sol au plafond" dans son nouveau parti, Sarkozy va devoir, s'il est élu, négocier dès la semaine prochaine le ralliement de ceux qui veulent absolument la primaire : Juppé, Fillon, Bertrand et tous leurs alliés ont prévenu qu'ils ne participeraient pas, sans de solides garanties, au "vaste rassemblement" que célèbrent déjà les sarkozystes. Le président filloniste du Sénat, Gérard Larcher, a donné le ton la semaine dernière : si le nouveau président du parti s'attaque à la Haute Autorité indépendante chargée d'organiser cette compétition, il quitterait l'UMP, suivi, sans aucun doute, par de nombreux parlementaires. On ne saurait imaginer plus mauvaise entrée en matière pour celui qui prétend être "le seul" garant de l'unité de sa famille politique. Comme en novembre 2012, au lendemain de l'autoproclamation de Copé, l'UMP pourrait se retrouver au bord du schisme après la probable élection de Nicolas Sarkozy à sa tête.

Fanfaron. Après le 29 novembre, un bras de fer va s'engager sur les priorités de la nouvelle direction de l'UMP. A chacun de ses meetings, Sarkozy affirme, très sérieusement, que 2017 est encore loin et qu'il n'a, pour sa part, pas d'autre préoccupation que de se mettre au service de sa famille politique pour lui donner de la voix et du souffle. "Il n'y a pas d'élection présidentielle en 2015 et 2016. C'est le temps du collectif pas le temps présidentiel", soutient le candidat. C'est surtout le temps d'installer son leadership. "Quand je serai sur l'autoroute, personne ne pourra m'arrêter", fanfaronne Sarkozy devant ses lieutenants. Mais dès la semaine prochaine, Juppé, Fillon et Bertrand devraient l'inviter à ouvrir sans tarder le chantier de la primaire. "Le meilleur moyen de tuer la primaire, c'est de ne pas s'en occuper" font observer les animateurs de la Boîte à idées, think tank de jeunes élus UMP très en pointe sur le sujet (lire page 5). De l'expérience de la gauche en 2011, il ressort qu'une primaire à 3 millions de votants nécessite, au bas mot, plus d'un an de travail.

Pour les proches de Juppé, l'incident fondateur de samedi est aussi le signe d'une inquiétude croissante, à huit jours de l'élection à la présidence de l'UMP. Plus personne n'ose parier sur le plébiscite à plus de 80% que beaucoup prédisaient à la fin de l'été. Dimanche sur Europe 1, Brice Hortefeux est allé jusqu'à soutenir, avec le sérieux dont il est coutumier, qu'une élection dès le premier tour constituerait "une grande victoire"... De quoi donner de grands espoirs à Bruno Le Maire et Hervé Mariton que certains disaient condamnés à faire de la figuration. Pour se mettre à l'abri d'une mauvaise surprise, l'équipe de campagne de l'ancien chef de l'Etat a décidé de redoubler d'effort. Dans l'argumentaire qui leur est distribué, ses zélateurs sont invités à souligner l'autorité et le charisme de Sarkozy, seul capable de sortir la droite de ses "dérisoires querelles internes". Après les sifflets de Bordeaux, l'argument paraîtra téméraire.


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